Structure des jeux traditionnels et sportifs et lien social

Chaque pictogramme figure de façon claire la structure d’interaction propre à la logique interne du jeu considéré : est-on en présence d’un duel d’équipes par exemple ? Ce duel est-il symétrique comme aux Barres , ou dissymétrique comme à la Baguette ? N’est-on pas plutôt en présence d’une structure d’un contre tous ainsi qu’on le reconnaît à La main chaude , de chacun pour soi tel qu’à La balle assise ou d’une structure de multi-affrontement qui oppose trois équipes comme aux trois camps ?

Les propriétés de ces structures relationnelles vont être en partie à l’origine du plaisir de jouer; elles vont prédéterminer les conduites des joueurs, notamment dans leurs aspects de solidarité et de rivalité : ce sont les règles qui désignent ceux qui sont partenaires et ceux qui sont adversaires. Chaque jeu propose son propre univers de relation. On devine qu’il s’agit là d’un facteur déterminant de la socialisation engendrée par la pratique des jeux

Une grande variété de structures

Ainsi est-il important d’identifier les grands types de structures ludiques, ce qui permettra à l’animateur, à l'animatrice de prévoir globalement le déroulement du jeu et de mieux anticiper les effets provoqués dans les comportements des pratiquant·es. Par exemple, sur l’ensemble des vingt-quatre jeux du fichier "Jeux sportifs", nous avons distingué six réseaux de communication dont deux acceptent chacun deux modalités (symétrique ou dissymétrique); nous disposons ainsi d’un total de huit types de structures, donc de huit pictos différenciés. Il s’y ajoute éventuellement le picto indiquant la présence de la dimension paradoxale (signalant que deux joueur·euses peuvent être en même temps partenaires et adversaires, ce qui déstabilise les pratiquant·es et suscite des échanges contradictoires, souvent empreints d’humour).

Nous avons introduit les deux pictos du duel d’individus, bien qu’il n’y ait dans le fichier "jeux sportifs" pris en exemple aucun jeu de cette catégorie, car c’est une structure fréquente et très prisée dans les jeux modernes (tennis, sports de combat, escrime…). Nous n’avons pas retenu de duels d’individus car nous avons pensé qu’il s’agit d’une structure d’interaction de pure domination moins intéressante dans un premier temps que les autres sous l’angle éducatif et sous l’aspect des échanges au sein d’une collectivité. Cependant, nous la retrouvons dans d’autres fichiers, et la comparaison des jeux sera alors facilitée par une claire identification de toute la palette des structures marquantes.

Une richesse que l'on trouve rarement dans les sports

Dans cet exemple de vingt-quatre jeux du fichier "jeux sportifs", nous observons une nette diversité des structures (six réseaux) et une surabondance de duels d’équipes dissymétriques (huit jeux). Ce caractère dissymétrique des structures représente manifestement une caractéristique des jeux traditionnels alors que les sports valorisent les duels d’équipes symétriques (football, rugby, volley-ball, basket…).

Les joueurs y changent d’adversaires et de partenaires, voilà une propriété à laquelle nous ne sommes plus aujourd’hui habitué·es dans les pratiques sportives : au cours de la même partie, des joueur·euses qui étaient partenaires deviennent brutalement des adversaires, et vice-versa. Autrement dit, dans de tels cas, les relations de coopération et d’opposition sont instables; les participant·es peuvent changer d’équipe et doivent alors radicalement renverser leurs attitudes et leurs réactions vis-à-vis des autres joueur·euses. Les coalitions se forment, se déforment et se transforment. Ce phénomène est totalement inconnu du sport : on ne voit guère de footballeur tirer subitement dans sa cage et marquer volontairement un but contre son camp!

Ce type de relation instable et évolutive invite les joueurs à changer de rôle sociomoteur, à endosser successivement un rôle puis son contre-rôle, comme par exemple les rôles de chasseur puis d’ours, ou encore de gardien puis de chasseur au jeu de L’ours et son gardien .

Ce genre d’expérience sociale et de relation changeante qui invite à s’adapter à brûle-pourpoint à des situations contradictoires possède un impact éducatif de grande portée. Aussi est-il intéressant que l’animateur·ice en soit averti·e et choisisse ses jeux en conséquence. Dans le fichier "jeux sportifs", le tiers des jeux est à relations instables. En outre, cette inconstance des liaisons peut être actualisée selon des formules différentes susceptibles d’entraîner des vécus fort variables selon les joueurs.

Avec qui vais-je finir ?

Nous distinguerons trois catégories de réseau dont la logique interne organise, de façon différente, les renversements du lien d’affiliation et d’interaction entre les joueurs :

Le réseau absorbant

• Une coalition « absorbe » petit à petit tous les participants, qui deviennent ainsi brutalement adversaires de leurs anciens compagnons. À la fin du jeu, ils se retrouvent tous ensemble, partenaires de leurs précédents adversaires; l’objectif de la partie est souvent d’arriver à cette issue où il ne reste qu’un seul « survivant » de la coalition primitive, qui sera déclaré le « gagnant ». Quatre jeux du fichier répondent à ce réseau évolutif : Où sont les cerfs?, Mère Garuche, Le filet du pêcheur et La grande cachette.

Le réseau permutant

• Les péripéties gagnantes sont ponctuées par des permutations de joueurs dans leurs rôles respectifs : ainsi, à La balle nommée, le lanceur est-il remplacé par le joueur qu’il appelle et qui devient le nouveau lanceur. À L’ours et son gardien, dès qu’un chasseur est touché par le gardien, il endosse le rôle de l’ours dont le titulaire prend le rôle de gardien qui lui-même devient chasseur. Il y a permutation circulaire de ces trois rôles sociomoteurs. Trois jeux correspondent à ce réseau permutant : La main chaude, L’ours et son gardien, La balle nommée.

Le réseau fluctuant

• Les changements de rôles s’effectuent au gré des nécessités des joueur·euses mais sans permutation systématique ni absorption progressive d’une coalition par son opposée. Un exemple : La balle assise. Jeux à réseau évolutif du fichier : dans huit de ces jeux, les joueurs changent de camp, de partenaires et d’adversaires au cours de la partie.

• Duel symétrique : Sont opposés 2 joueur·euses « équivalent·es », disposant des mêmes pouvoirs. Ex. : la lutte, le tennis.
• Duel dissymétrique : Sont opposés 2 joueur·euses dont les rôles et pouvoirs respectifs sont différents. Ex. : Le quinet à 2, la situation de « tir au but » de football.

• Duel symétrique - Sont en opposition 2 équipes dont les statuts, les pouvoirs et les matériels sont identiques : La balle au tambourin, Les barres, La crosse canadienne, Le voleur de pierres.
• Duel dissymétrique - Sont opposées 2 équipes dont les rôles et les pouvoirs sont dissemblables : La baguette , La balle à l’ours, La balle cavalière, Le chambot, Les maîtres du souffle, L’ours, Le strac, Le Tchalan foup.

• Structure de coalitions. Dans ce réseau de coalitions toutes antagonistes, sont opposées. 3 équipes ou davantage : Les trois camps (avec le trait paradoxal)

• Plusieurs joueur·euses (au moins deux) formant une équipe, sont opposé·es à toustes les autres en ordre dispersé : Le filet du pêcheur, L’ours et son gardien.

• Il n’existe aucune coalition instituée ni aucune équipe : La balle assise avec la dimension paradoxale, La balle nommée, Numa le brigand.

• Un·e joueur·euse est opposé·e à toustes les autres : Boma, La grande cachette, La main chaude, Mère Garuche, Où sont les cerfs ?, Pi le hibou.

Et si l'on regardait tous les fichiers ?