Pourquoi et comment jouer ? La violence. Entretien avec Pierre Parlebas
Il est évident qu’il convient de bannir les situations susceptibles d’engendrer de réels dangers. Les jeux brutaux qui encouragent systématiquement l’agressivité et qui valorisent la domination physique sont à proscrire. Cependant, il serait maladroit d’interdire toute forme d’affrontement physique et toute confrontation avec certaines contraintes relationnelles présentant quelque rudesse.
Pour contrôler son agressivité, l’enfant doit en faire l’expérience. La maîtrise de l’agressivité est une conquête qui se réalise peu à peu, et les jeux peuvent offrir d’excellentes occasions de mise à l’épreuve de ce progressif auto-contrôle. À titre d’exemple, choisissons un jeu souvent contesté sous l’angle de la violence : L’ours et son gardien, au cours duquel les participants ont pour objectif de frapper d’autres joueurs à l’aide de leur foulard. Le frappeur a ainsi l’occasion de prendre conscience sur le vif qu’il est lui-même producteur de violence et que ses attaques peuvent être douloureusement ressenties par ses victimes. Puis par le jeu des changements de rôles, il devient à son tour la cible de ses anciennes victimes : le frappeur devient le frappé. La prise de conscience des conséquences auprès d’autrui des comportements violents en est alors d’autant plus aiguë. En dehors de tout discours de morale, l’enfant vit dans son corps, sur un mode direct et exacerbé, une relation de « violence », à tour de rôle subie et exercée (violence à vrai dire légère puisqu’elle ne s’actualise qu’à l’aide de foulards). Les réactions à chaud des différents joueurs, victimes et agents de cette agressivité, accentuent cette révélation du pouvoir d’oppression que chacun possède sur les autres. Une dynamique de groupe originale, reposant sur un affrontement rugueux, se déroule alors, dans le cadre de règles qui autorisent certains gestes agressifs habituellement interdits. Les échanges ludiques donnent l’occasion de faire comprendre qu’au delà de « la lettre » des règles, « l’esprit » de ce jeu impose un principe fondamental : le respect de l’autre. À l’animateur, éventuellement, d’intervenir en quelques mots pour le faire saisir. Très souvent d’ailleurs, d’eux-mêmes les enfants et les adolescents n’appuient pas leurs gestes, et le prennent sur le ton de l’humour. Une telle pratique de l’agressivité autorisée est bien sûr délicate, mais lorsque la situation donne à penser que cet auto-contrôle de la violence a de fortes chances d’être mené à bien, l’animateur ne doit pas hésiter : des jeux tel que L’ours et son gardien deviennent des activités éducatives dont la portée socialisante se révèle d’autant plus incontestable qu’elle s’inscrit dans des interactions corporelles à forte implication.
En fin de jeu, un rapide échange des réactions et des points de vue peut être le bienvenu. Il permettra d’insister sur le sentiment vécu d’une violence contrôlée, orientée paradoxalement vers le fondamental respect de l’autre.
Outre le rôle de l'animateur·ice dans l'animation des jeux, cet entretien avec Pierre Parlebas explore les questions de la compétition, la violence, les gages les variantes et l'élimination dans les jeux traditionnels et sportifs. Il est publié dans le livret pédagogique du fichier 24 jeux sportifs sans frontière.
→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : Le rôle de l'animateur
→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : La compétition
→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : Les gages
→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : Les variantes
→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : L’élimination