Pourquoi et comment jouer ? Les variantes. Entretien avec Pierre Parlebas

Peut-on dire de certaines activités qu’elles constituent les « vrais » jeux, c’est-à-dire les jeux-souches dont les autres ne seraient que des « variantes », des représentants moins élaborés ?
Média secondaire

L’observation du terrain révèle que les pratiquants adaptent les règles des jeux à leur lieu d’action, au relief de la région, aux particularités locales des objets et de l’environnement. De village à village ou de rue à rue, le même jeu connaît des variations de logique interne pouvant affecter son espace, ses effectifs, ses façons de gagner ou ses instruments ludiques (bâtonnet, cailloux, boules…). C’est un phénomène qui rappelle celui que l’on observe dans la langue à propos de la dénomination des jeux : la même activité ludique est souvent désignée par de multiples noms, plus ou moins semblables d’une région à l’autre; Le strac par exemple connaît ainsi des appellations variées selon ses lieux d’implantation : quinet, bâtonnet, tenet, beuille, kinekel, bertole, guise, pirli…

Dans certains cas, les transformations des règles modifient le jeu au point d’en faire un autre jeu, c’est-à-dire une pratique dont la logique interne est franchement différente de la logique initiale : les conduites motrices des joueurs, leurs rapports à l’espace et à autrui donnent à ces participants le sentiment qu’ils s’adonnent à un autre jeu.

Existe-t-il un seul et vrai jeu de Barres ou de multiples jeux de Barres plus ou moins proches les uns des autres? Le problème posé est celui de l’identité d’un jeu, de son unicité face à la pluralité des versions locales. Prétendre à l’existence d’un jeu-phare, d’une version mère, authentique et seule dépositaire de « l’essence » de ce jeu ne nous paraît guère acceptable. C’est la raison pour laquelle nous parlerons de la « famille » ou du « groupe » de tel ou tel jeu, groupe qui rassemblera plusieurs représentants significatifs appelés des « variantes ». Dans une culture donnée, l’observation du terrain permet d’identifier le système de règles propres au groupe considéré qui induit la logique interne la plus propice à un déroulement ludique intéressant.

Chaque animateur qui a vécu des expériences ludiques fortes a tendance à penser, de bonne foi, que les règles qu’il a appliquées sont les « vraies » règles, celles qu’il faut généraliser et conseiller à tout le monde. La confrontation des points de vue et l’analyse des jeux permettent de prendre du recul et d’éviter cette illusion : le système de règles, favorable à un heureux fonctionnement ludique n’est pas unique. Il n’en reste pas moins que les différents systèmes ne sont pas équivalents : certains suscitent des engouements spectaculaires, d’autres engendrent des pratiques peu motivantes qui n’entretiennent pas l’envie de jouer. Il est donc important d’identifier le « noyau dur » de la logique interne des jeux intéressants, c’est-à-dire les traits pertinents qui caractérisent un système « équilibré » provoquant la satisfaction des pratiquants.

C’est la démarche choisie dans les fichiers des CEMÉA: en début de fiche est énoncé le principe du jeu qui est ensuite décliné selon ses éléments considérés les plus significatifs : terrain, instruments, structure d’interaction, nombre de joueurs… Pour chaque micro-famille ludique, est retenu un représentant exemplaire dont les traits les plus saillants sont exposés. Ainsi, la fiche du jeu de Barres, ou celle du Chambot, correspond-elle au code qui paraît le plus propice à un fonctionnement ludomoteur harmonieux, riche en péripéties et susceptible de bien se dérouler. C’est là que va se situer le « noyau dur » de la logique interne : aux Barres par exemple, le droit de prise, lié à l’instant de sortie du camp est une règle-clef en dehors de laquelle il n’y aurait plus de jeu de Barres. Au Chambot, la négociation du contrat puis l’alternance dissymétrique des frappes des attaquants et des défenseurs sont au cœur du principe du jeu et apparaissent donc dans les caractéristiques fondatrices de l’activité.

La position du groupe Jeux et pratiques ludiques des CEMÉA est donc claire : un système de règles est choisi, celui qui parait associé à la plus grande réussite ludique. Cependant, deux importantes précautions ont été prises : d’une part les traits du jeu n’ont pas été fixés de façon rigide mais toujours situés à l’intérieur d’une souple « fourchette » de variation (effectif, âge, matériel…); d’autre part, ont été mises en bonne place « d’autres manières de jouer », fort intéressantes, qui correspondent à ce qu’on appelle habituellement des variantes.


Outre le rôle de l'animateur·ice dans l'animation des jeux, cet entretien avec Pierre Parlebas explore les questions de la compétition, la violence, les gages, les variantes et l'élimination dans les jeux traditionnels et sportifs. Il est publié dans le livret pédagogique du fichier 24 jeux sportifs sans frontière.

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : Le rôle de l'animateur

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : La compétition

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : La violence

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : Les gages

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : L’élimination