Pourquoi et comment jouer ? Le rôle de l’animateur. Entretien avec Pierre Parlebas

Plutôt que de laisser le jeu se dérouler au gré des enfants, ne serait-il pas préférable d’en organiser le déroulement, de le didactiser afin de le rendre plus éducatif ?
Média secondaire

Laisser l’enfant jouer sans intervenir, sans orienter ses actions vers des dispositifs pédagogiques reconnus, peut apparaître comme une prime au désordre et à la confusion. N’est-ce pas là une regrettable perte de temps? Ne peut-on y voir une démission de l’animateur et un abandon de ses responsabilités?

Il a toujours été tentant de mettre l’engagement suscité par le jeu au service d’objectifs visant à l’acquisition de savoirs et de connaissances. L’intention est noble mais la démarche est quelque peu une tromperie : on détourne le jeu qui devient une façon masquée de présenter un autre contenu réputé sérieux, extérieur au jeu lui-même. Lorsqu’elle est systématisée, cette perspective qui valorise les « jeux éducatifs » risque de dénaturer l’activité et est vite dénoncée par le participant qui se sent dupé.

Il paraît préférable de faire confiance à l’enfant et à ses propres activités ludiques. Le jeu est l’univers de prédilection de l’enfant, le monde dans lequel il aime à retrouver ses pairs et non plus son père. Il y apprend à entrer en relation avec ses compagnons sous des formes extrêmement variées et parfois insolites (à distance ou au corps à corps), il y tient des postes qui lui offrent l’occasion d’interpréter une large palette de rôles stimulants et enrichissants. Les situations ludomotrices, par leur structure même, donnent à l’enfant l’occasion de résoudre des conflits et de nouer de nouvelles camaraderies. Le jeu produit de la sociabilité ; il offre au pratiquant des expériences du lien social irremplaçables, en dehors des sanctions habituellement associées à ce genre de comportement dans la vie ordinaire. Le jeu plonge l’enfant dans un monde enchanteur où il découvre les ressources de son corps, ses capacités d’agir et de communiquer. L’animateur ne doit pas désenchanter le monde ludique de l’enfant.

Cependant l’adulte éprouve beaucoup de difficultés à faire confiance au jeune; il a tendance à citer le projet de l’enfant tout en y substituant son propre projet d’adulte. Il s’ensuit de constantes tentatives de didactisation du jeu sportif, du sport bien entendu mais aussi du jeu traditionnel. Le jeu est alors décomposé, modifié en fonction de visées pédagogiques, traité sous forme de séquences et de progressions éducatives. Bref, le jeu est déjoué. La magie du jeu tend alors à se perdre dans le formatage de l’ingénierie didactisante.

Il ne s’agit pas de suggérer à l’animateur de disparaître quand l’enfant joue. Son rôle reste primordial sur le plan de la régulation socio-affective : susciter un climat convivial, encourager le respect des règles, éviter les brimades, veiller au contrôle de l’agressivité et de la violence, favoriser la solidarité et le respect d’autrui. Son intervention décisive se fera dans le choix des jeux. Une bonne connaissance des jeux et de leur logique interne est indispensable pour bien anticiper leurs effets sur le plan de la sollicitation corporelle, de la communication et des habiletés motrices mises en œuvre. Choisir tel jeu ou faire découvrir tel autre, engagent la responsabilité de l’animateur qui, en ce sens, adopte une démarche éducative sans duper les joueurs. Au-delà de la fantaisie et de la spontanéité qui s’y déploient sur le vif, le jeu possède une fonction structurante dont la portée éducative potentielle est manifeste.

Le jeu étant choisi, laissons-le se dérouler selon ses péripéties propres, sans que l’animateur, se croie obligé de l’interrompre à tout instant afin d’expliquer la meilleure technique d’interception ou de démarquage. Laissons les joueurs libres de leur conduite et de leur stratégie dans le cadre des règles et du contrat ludique adopté; laissons les enfants vivre à leur gré leurs difficultés et leurs réussites. Ne gâchons pas avec nos préoccupations didactiques le plaisir du jeu.


Outre le rôle de l'animateur·ice dans l'animation des jeux, cet entretien avec Pierre Parlebas explore les questions de la compétition, la violence, les gages, les variantes et l'élimination dans les jeux traditionnels et sportifs. Il est publié dans le livret pédagogique du fichier 24 jeux sportifs sans frontière.

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : La compétition

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : La violence

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : Les gages

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : Les variantes

→ Pourquoi et comment jouer ? Entretien avec Pierre Parlebas : L’élimination