Les trois camps mélangés
Comme dans une partie de poule-renard-vipère classique, trois camps de base de différentes couleurs s’opposent. Par exemple, les joueurs jaunes peuvent capturer les Bleus ; ceux-ci peuvent attraper les Rouges qui eux-mêmes ont prise sur les Jaunes. Prises et délivrances se font par toucher ; mais ce n’est pas si simple car les joueurs peuvent également s’opposer par le numéro qui leur est attribué.
Chaque pratiquant fait partie d’une des trois équipes numérotées, différente de celle de son camp de base. Cette autre appartenance est affichée par un numéro bien visible ; l’équipe des «1», l’équipe des «2» et l’équipe des «3».
Le n° 1 d’un camp de base (couleur) peut capturer le n° 2 de tout camp y compris du sien. Le n° 2 peut s’emparer de tout n° 3 qui, lui-même peut prendre tout n° 1 (ici aussi, les prises se font en cercle).
Chaque joueur appartient donc à deux groupes différents, identifiés l’un par une couleur et l’autre par un numéro. Ces situations de prise intra et inter-équipe traduisent une originale aventure paradoxale, qui paraît très complexe au départ mais dont les joueurs se débrouillent fort bien.
Caractéristiques
Terrain : Le terrain est relativement plat et dégagé mais il peut être agrémenté d’arbustes et de buissons. Chaque camp est figuré par un cercle d’environ 4 m de diamètre. Les trois camps sont sensiblement disposés comme les sommets d’un triangle équilatéral, distants de 30 à 60 m environ. La bonne distance dépend des caractéristiques des joueurs et de l’effervescence relationnelle que l’animateur veut créer.
Durée : La durée variera selon que l’on a adopté ou non une règle de fin de jeu (nombre de prisonniers défini, temps limité, pas de règle d’arrêt,…).
Effectif : Les trois camps sont de même effectif ; une répartition de trois à six joueurs par camp permet un bon déroulement du jeu une fois les règles intégrées. Ce jeu est surtout adapté aux plus âgés.
Matériel : Il est indispensable de prévoir des signes distinctifs pour chacun des trois camps (des maillots, des foulards ou des brassards de couleur par exemple) et pour chacune des trois équipes (des numéros de 1 à 3, bien distincts par exemple). Chaque joueur possède donc deux signes différents de reconnaissance (couleur et numéro).
Structure : Ce jeu met en scène six groupes tels que chaque membre appartient à deux groupes différents caractérisés par des droits de prise circulaires. Sa caractéristique est d’imposer une sorte de contradiction interactionnelle : les Jaunes par exemple doivent prendre les Bleus, mais cela revient pour ces Jaunes à supprimer les joueurs qui les protègent (puisque les Bleus prennent les Rouges qui menacent les Jaunes !). Cette structure juxtapose simultanément deux contraintes qui s’opposent l’une à l’autre : prendre et ne pas prendre.
Cette situation d’ambivalence relationnelle correspond à ce que l’on appelle une situation paradoxale. Qui plus est ici, le jeu se complique car les joueurs d’un même camp de base peuvent se capturer entre eux en fonction de leur numéro ! Cette interaction déconcertante se surajoute à la précédente et plonge les joueurs dans une situation doublement paradoxale particulièrement stimulante.
Action dominante : Courir, poursuivre, esquiver, délivrer, négocier une alliance provisoire avec ses adversaires et/ou ses partenaires.
Le jeu commence
Avant de présenter ce jeu, il est souhaitable que les pratiquants connaissent bien le jeu des trois camps classique (poule-renard-vipère). Au signal de début du jeu, les joueurs commencent à sortir de leur camp en cherchant à deviner les réactions, craintives ou menaçantes, des autres participants. Ils partent à leur rencontre plus ou moins aventureuse.
Le jeu se déroule
Les prises et les délivrances se font par simple toucher. La situation est complexe et invite à s’engager dans l’action pour bien la comprendre.
Par exemple, Jaune n° 1 peut prendre n’importe quel Bleu, mais il est menacé par n’importe quel Rouge ; il peut également capturer tout joueur n° 2 qu’il soit Jaune, Bleu, ou Rouge ; en revanche, il peut être pris par tout joueur n° 3 qu’il soit Jaune, Bleu ou Rouge. Ainsi, ce joueur jaune n° 1 est partenaire de Jaune n° 3 (même couleur) mais en même temps, il peut être pris par ce n° 3 (numéro supérieur). Et lui même Jaune n°1 peut faire prisonnier Jaune n° 2 qui est son partenaire faisant partie de son camp de base ! Chaque joueur, plongé dans ce réseau contradictoire d’amis et d’ennemis, doit faire des choix et … subir ceux des autres.
Un joueur touché est raccompagné jusqu’au camp de base du captureur, tenu par le bras. Tous deux sont alors intouchables jusqu’au camp de base. Le prisonnier pose un pied sur la limite du camp et tend le bras afin d’être délivré par un membre de son camp de base. Un joueur délivré regagne son camp en levant le bras pour indiquer qu’il est momentanément hors jeu.
Chaque joueur peut contracter des alliances et choisir ses complices. Aucun ne domine tous les autres ; chacun possède des pouvoirs de prise mais est lui-même la cible de plusieurs dominants.
Chaque joueur peut-être conduit à se faire protéger par un autre sur qui il a prise, ce qui produit des situations circulaires paradoxales suscitant d’âpres négociations.
Certains joueurs sont deux à deux en prise réciproque, ce qui annule leur pouvoir l’un par rapport à l’autre : par exemple, le jaune n° 2 peut prendre le rouge n° 3, mais ce rouge peut lui aussi faire prisonnier le jaune ; donc, dans ce cas, leur pouvoir réciproque s’annule.
Quand un joueur en capture un autre, il risque de se priver d’un protecteur potentiel ; par exemple, quand Jaune n° 1 capture Bleu n° 2, il se prive d’un joueur qui le protège du bleu n° 3 et de tout joueur rouge. Tout pratiquant est donc engagé dans un «double jeu» ou même dans un «triple jeu». C’est là le cœur du paradoxe. Le joueur doit négocier, user de promesses et de menaces, et tenter de déjouer les ruses inéluctables qui le guettent. Dans ce jeu, les échanges verbaux prennent beaucoup d’importance : on voit se succéder à profusion des connivences, des alliances, des menaces de représailles, des comportements de trahison ou de fidélité. Les ressources du lien social sont en pleine effervescence.
Le jeu s’achève
Il ne semble pas nécessaire de fixer un objectif final. Les joueurs réussissent souvent à établir une sorte d’autorégulation où prises et délivrances s’équilibrent, d’autant qu’ils s’aperçoivent rapidement que prendre un adversaire, c’est se priver d’un protecteur potentiel.
L’intérêt de ce jeu ne réside pas dans la recherche du gain de la partie, mais dans ses multiples péripéties qui provoquent des contacts insolites, des rencontres animées, des renversements de situation et des occasions inhabituelles de relation.
Autres manières de jouer
- On peut désigner un lieu précis, bien délimité, qui sera la prison commune où tous les joueurs capturés, quel que soit leur camp, seront conduits, dans l’attente de leur délivrance.
- Les dimensions et la nature du terrain, dégagé ou buissonneux, doivent être choisies avec soin car elles influencent la manière de jouer.
Remarques pédagogiques
Ce jeu apparemment très complexe, est en réalité bien assimilé par les enfants qui, après s’en être étonnés, en apprécient les entrecroisements déconcertants mais stimulants. Cependant, il demande à l’animateur de prendre parfois des initiatives et d’intervenir avec clairvoyance dans l’adaptation des règles aux caractéristiques des joueurs : dimensions et nature du terrain, espacement des camps, effectif des participants, clarté dans les prises et les délivrances, …
Les formes d’interactions paradoxales qui déstabilisent dans un premier temps, enchantent ensuite souvent les enfants qui découvrent la richesse des communications dont ils ont en partie la maîtrise par voix verbale et par voie motrice. Ce jeu est une excellente sensibilisation aux subtilités du lien social.