« Sans bulletin, sans compétition, sans notation, les élèves ne feraient aucun effort pour apprendre ! »

Les élèves du lycée et du collège ont été formaté·es à travailler « pour des points ». À chaque entame de travail, ils prononcent les phrases fatidiques : « Madame, ça compte pour le bulletin ? », « Monsieur, c’est pour des points ? », « C’est formatif ou certificatif ? »
Média secondaire

Cette chronique est issue d’un recueil publié par les CEMÉA Belges en septembre 2020. Le collectif d’auteurs et d'autrices nous rappelle qu’à l’origine de ces écrits était l’envie de déconstruire, dans un format court, les « formules toutes faites autour de la vie scolaire » à travers le filtre de l’Éducation nouvelle. Il s’agit de dénoncer l’entretien de paradigmes qui polluent l’école et le développement des enfants, d’analyser les dysfonctionnements et les habitudes non questionnées. Réfléchir le quotidien et les fausses évidences pour transformer sa pratique, sa classe, son école
 

Décembre 2017

Que de fois n’entend-on pas ce discours dans les salles de profs ! 

Les élèves du lycée et du collège ont été formaté·es à travailler « pour des points ». À chaque entame de travail, sont prononcées les phrases fatidiques : « Madame, ça compte pour le bulletin ? », « Monsieur, c’est pour des points ? », « C’est formatif ou certificatif ? » Nos élèves sont conditionné·es à ce que leur travail, leurs efforts, soient « cotés ». Et si vous décidez de changer de fonctionnement, ils et elles acceptent difficilement de travailler pour le plaisir de progresser. Chaque interrogation, examen, compétition, renforce cet état de fait. Leur parcours scolaire en ayant fait des  compétiteurs, compétitrices, supprimer simplement le bulletin, sans y mettre du sens, sans expliciter la démarche, créerait une sacrée déstabilisation, voire une démotivation ! Changer un fonctionnement établi d’un claquement de doigts n’est pas possible. Nos élèves ont développé une incapacité, bien ancrée, à vivre la motivation naturelle à apprendre, et un changement de paradigme devra être progressif.

Cemea

Et pourtant, dans « la vraie vie », chacun·e entreprend ses plus grands apprentissages en dehors d’un système compétitif. De zéro à trois ans, nous avons tous et toutes vécu les années les plus bénéfiques pour nos apprentissages, sans esprit de compétition. Nous avons simplement tenté de nous dépasser en trouvant, un jour, l’équilibre pour rester assis·es, la manière de nous relever en tenant la main d’un adulte, la manière d’attendrir l’un ou l’autre pour obtenir un câlin…

Et cela se poursuit encore. Nous faisons tous et toutes, quotidiennement, des apprentissages nombreux en dehors du système scolaire, sans notes, sans bulletin, sans compétition : nous apprenons à utiliser le nouveau Smartphone, nous parvenons à construire une étagère à l’aide d’un plan, nous réalisons cette recette de cuisine de la tante Olga… Nos enfants font de même et apprennent, parfois, bien plus efficacement en dehors de l’école qu’en son sein… pourtant beaucoup d’adultes continuent à défendre, dur comme fer, qu’on ne peut apprendre sans compétition et sans notes ! 

À l’école maternelle, tout à coup, nous perdrions cette faculté d’être motivé·es sans la compétition et, dès l’entrée en primaire, il faudrait des notes pour trouver une motivation à apprendre, au point de travailler en fonction de la réponse à cette simple question : « Madame, c’est pour des points ? » Ce qui est paradoxal, c’est que l’on reconnaît ces motivations à « apprendre pour apprendre » quand on parle de formation d’adultes, sans noter les participant·es à la fin d’une journée de formation. On y évalue pourtant, mais dans une perspective formative et on est persuadé·e que les personnes auront tout de même appris quelque chose. Même en milieu scolaire, la note a bien moins sa place dans les cours de promotion sociale que dans tout le parcours scolaire. Pourquoi ? Parce qu’il s’agirait d’adultes motivé·es à apprendre, plus enthousiastes que l’enfant entrant à l’école primaire qui a comme désir principal celui d’apprendre à lire ? Nous ne le pensons pas !

Après une seule année scolaire de régime de compétition, de bulletins, de notes à tout-va, l’enfant perd le goût d’apprendre. Soit il devient celui qui réussit et qui performe pour être dans le peloton de tête, soit il se bat au quotidien pour ne pas être relégué, soit il devient le cancre, qui ne réussit pas. 

Le système scolaire belge permet aux collèges et aux lycées 25 jours par année scolaire où rien n’est prévu pour les élèves. De nombreux enseignant·es expliquent que ces journées représentent l’ensemble des jours d’examens et de délibération permis par année scolaire, ce qui est totalement exact. Mais personne ne fait cependant le constat que le système autorise chaque école à « utiliser » un mois complet par an pour les examens. Personne ne dit que chaque enfant perd, sur le temps de l’ensemble de son parcours scolaire, une année entière à être évalué par des examens plutôt qu’à apprendre. Si l’on y ajoute les nombreuses heures d’évaluations externes, d’interrogations diverses, de contrôles, de pré-sessions, c’est plus d’un sixième du temps scolaire qui se passe à évaluer, à trier, à classer, à hiérarchiser, à reléguer… Deux années complètes sur 12 années d’études. Chaque enfant n’irait-il pas plus loin dans ses apprentissages si nous lui permettions d’apprendre deux ans de plus ?

Certes, il est nécessaire d’évaluer, mais l’évaluation formative peut aussi être continue, ce que chaque enseignant·e accomplit en classe tous les jours. Laissez-vous un élève s’exprimer incorrectement en français sans le reprendre, ne corrigez-vous pas l’erreur en circulant dans les bancs ? Au final, avez-vous besoin d’une évaluation sur feuille pour déterminer la compréhension de chacun·e ? Non. Nous entendons souvent dire que l’examen ou l’interrogation ne confirme que ce qui était déjà connu de l’enseignant·e. L’épreuve n’apporte qu’une illusion d’équité au système, alors que chacun·e sait depuis longtemps que l’ordre des copies lors de la correction, l’humeur de l’enseignant·e qui les corrige, le moment de la correction, auront une influence sur les notes finales. De nombreuses recherches l’ont démontré. Un peu comme si toute la recherche médicale n’avait pas fait disparaître la saignée du docteur Diafoirus de Molière puisqu’elle était « scientifiquement » efficace à son époque. 

La question de la note chiffrée a comme corollaire une certaine marchandisation des savoirs. Les points deviennent pour certain·e·s enseignant·es « le salaire de l’élève » : il est rétribué par la note reçue. Ceci entraîne dès lors toutes les dérives mercantiles liées à cette notion : la spéculation (« je vais apprendre tel chapitre plus que l’autre parce que j’ai besoin de points »), l’individualisme, la sélection, la délation, la triche, les petits comptes d’apothicaire lors de la remise du bulletin, les moqueries, la perte de l’estime de soi… Il n’est pas rare qu’un·e adolescent·e, à qui l’on demande comment il ou elle va, s’identifie complètement à ses notes en répondant : « J’ai réussi mes examens » ou « J’ai eu 18 en math ». Interpellant ! 

La motivation par compétition qui régit notre système éducatif peut apparaître comme efficace pour celles et ceux qui s’en sortent avec les honneurs, mais elle laisse 30 % des élèves quitter l’école sans aucune qualification. De plus, elle induit une manière d’envisager la société. Le jour où un élève reçoit son diplôme, il ne perd pas sa capacité à conquérir, tout au contraire… Quinze ou vingt ans de système scolaire ne s’effacent pas par magie, il restera une bête de compétition qui cherche à prendre la tête du peloton, au risque d’écraser au passage la·le collègue de bureau, le ou la voisin·e d’atelier... La plus lourde critique du système n’est donc pas forcément l’iniquité pseudo-scientifique qu’il produit, mais les conséquences qu’il peut avoir sur l’ensemble d’une société préparée à la compétitivité effrénée et à l’individualisme forcené


« On est en train de courir le plus vite possible dans la pire des directions : la direction de la compétition, la direction de la destruction des uns par les autres. Pour devenir moi, j’ai besoin du regard de l’autre, j’ai besoin de tisser des liens avec lui. Dès que je suis en compétition avec lui, je ne tisse plus de liens et par conséquent je suis en train de me suicider. Toute compétition est un suicide. Le pire de tous, c’est d’avoir fait des écoles, des lieux où on est en compétition les uns contre les autres. » Albert Jacquard1
 

Note

  1. Albert JACQUARD, interviewé dans « Noms de dieux », Émission de la RTBF, 1994.

Un jeu de cartes pour repérer quelques fausses idées sur la pédagogie active

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Et si l’école…22 chroniques pour changer l’éducation

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