LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

« L’éducation active, ça ne convient pas à tout le monde ! »

N’est-ce pas ici voir la paille dans l’œil des pédagogies actives sans voir la poutre d’un système qui se nourrit de décrochages scolaires, de redoublements, de piètres résultats toujours explicités par la responsabilité des élèves ou des parents ?
Média secondaire

Image par Manfred Antranias Zimmer de Pixabay

Cette chronique est issue d’un recueil publié par les CEMÉA Belges en septembre 2020. Le collectif d’auteur·e·s nous rappelle qu’à l’origine de ces écrits était l’envie de déconstruire, dans un format court, les « formules toutes faites autour de la vie scolaire » à travers le filtre de l’Éducation nouvelle. Il s’agit de dénoncer l’entretien de paradigmes qui polluent l’école et le développement des enfants, d’analyser les dysfonctionnements et les habitudes non questionnées. Réfléchir le quotidien et les fausses évidences pour transformer sa pratique, sa classe, son école
 

Et si l’école…22 chroniques pour changer l’éducation

Et si l'école

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Mai 2019

Quand vous pratiquez une pédagogie active dans votre classe, que ce soit dans une école estampillée pédagogie active ou plus classique, votre classe peut très vite devenir, dans le regain d’intérêt pour ces pratiques que nous connaissons actuellement, le dernier lieu à la mode à visiter. En effet,  le praticien ou la praticienne de pédagogie active accueille souvent des visiteurs et visiteuses au fond de sa classe C’est dans sa « nature » de promoteur, promotrice de la coopération. Ces visites se terminent quasiment toujours par la même  question : « Ce que vous faites, est-ce que cela convient à tou·te·s les élèves ? »

Vous vous doutez que, pour le groupe École d’un mouvement d’éducation comme le nôtre, qui affirme que l’éducation s’adresse à tous et toutes, sans distinction d’âge, de culture, de sexe, de convictions, de situation sociale, qu’elle est de tous les instants et que tout être humain peut se développer et se transformer au cours de sa vie, notre réponse ne peut être qu’un grand OUI ! Oui, la pédagogie active s’adresse à tout le monde !

Pourquoi sommes-nous dès lors confronté·e·s sans cesse à cette question ? Ne cache-t-elle pas en réalité une manière de protéger le système en place ? Si cette école « différente » que je découvre aujourd’hui ne convient pas à tou·te·s les enfants, cela me permet de ne pas questionner ma classe, mon école, ma pratique, car forcément, mes élèves, ça ne leur convient pas puisqu’ils·elles fonctionnent dans l’école telle que je leur propose.

Il n’y a pas que sur ce point que l’école contemporaine1 se protège en questionnant l’Éducation nouvelle. N’est-ce pas ici voir la paille dans l’œil des pédagogies actives sans voir la poutre d’un système qui se nourrit de décrochages scolaires, de redoublements, de piètres résultats toujours explicités par la responsabilité des élèves ou des parents ?

L’école active convient à tou·te·s les enfants parce qu’elle fait émerger les savoirs de la vie de l’enfant, de ses intérêts, de ses préoccupations. L’enfant, le jeune, qui augmente son potentiel de vie, ses compétences dans un projet né et porté par le groupe aura forcément une autre mémorisation que celui, celle qui a découvert cette compétence parce que c’est la page suivante du manuel et qu’il·elle a dû préparer l’interrogation finalisant cette compétence.

L’école active convient à tou·te·s les enfants parce qu’elle a comme principe de prendre l’enfant là où il est et non là où la norme scolaire voudrait qu’il en soit. C’est tout ce que l’on retrouve dans des techniques de « Plan de travail » chez Célestin Freinet, de  travail autonome, d’évaluation individualisée et non commune à tou·te·s, des activités de la pédagogie Montessori, dans l’attention à l’individu au sein d’un groupe apprenant. Dans l’école contemporaine, l’individu n’est vu que comme un rapport à la moyenne : s’il est en retard, il doit partir en remédiation, s’il avance trop vite, il faut qu’il s’occupe ou attende. L’école active travaille à l’augmentation du pouvoir d’agir de chaque individu au sein d’un groupe coopératif. L’école contemporaine travaille bien souvent à une augmentation de puissance du groupe au sein d’un groupe en totale compétition. Cela laisse des apprenant·e·s sur le bas-côté.

L’école active convient à tous et toutes parce que, quand elle est observée, analysée sérieusement par le monde académique, il s’avère qu’elle ne fait pas mieux que l’école contemporaine en termes de résultat pur, mais qu’elle développe largement les compétences de connaissance de soi, de travail au sein d’un collectif, de prise de parole en groupe et, surtout, de confiance en soi et en les autres. On peut, par exemple, citer le travail du laboratoire Théodile de l’université Lille III sur l’école Freinet Hélène Boucher de Mons-en-Baroeul.2

Et pourtant la pédagogie active ne convient pas à tout le monde. Nous en sommes bien conscient·e·s !

La pédagogie active ne convient pas à tou·te·s les enfants lorsqu’elle est juste envisagée comme un panel de méthodes, des outils appliqués à certains moments de la classe ou pour certains apprentissages alors qu’il s’agit d’une vision globale, d’une autre manière de penser et d’agir à chaque instant.

La pédagogie active ne convient pas à tou·te·s les enseignant·e·s. Travailler en pédagogie active nécessite un autre regard sur l’enfant, une diminution de l’asymétrie des relations adulte-enfant, une remise en question au quotidien. Cela implique également de la part des professionnel·le·s de repenser leur rôle dans leur classe, leur école. Cette démarche n’est pas facile et se nourrit de beaucoup de travail, de patience et de modestie.

La pédagogie active ne convient surtout pas au pouvoir politique. Si individuellement tout·e politicien·ne défend l’émancipation des futur·e·s citoyen·ne·s, le monde politique désire-t-il être face à une collectivité d’esprits critiques qui remettront ses décisions en cause ? Les décideurs et décideuses politiques n’ont jamais été les plus grand·e·s défenseurs et défenseuses de l’éducation populaire, de l’éducation active quand elle donne la parole à chacun·e, quand elle permet au groupe de s’organiser, d’édicter ses propres règles, ses propres institutions de régulation. Le 6 août 1921, il y a près de 99 ans, s’achevait le premier congrès de la ligue de l’éducation nouvelle qui avait vu se rencontrer Ovide Decroly, Maria Montessori, Alexander Neill, Jean Piaget et 150 autres militant·e·s de l’Éducation nouvelle. À cette occasion paraissait le numéro 1 de « Pour une ère nouvelle » qui débutait par un éditorial de l’initiateur de ce congrès, Adolphe Ferrière. Il concluait par ces mots : « Bientôt les gouvernements et les parents verront que, par nos méthodes, on peut obtenir beaucoup plus de résultats utiles avec moins d’efforts inutiles. Alors la vérité s’imposera. Combien de temps faudra-t-il encore pour cela ? L’avenir le dira ! » Cent ans plus tard, Ferrière attend toujours que l’avenir le lui dise, que la vérité s’impose, qu’on ne dise plus que la pédagogie active ne convient pas à tous et toutes.

Si nous désirons que l’école forme des futur·e·s citoyen·ne·s du monde plutôt que de sages consommateurs, consommatrices nationalistes. Si nous voulons que l’école entraîne nos futur·e·s adultes à lutter collectivement contre la reproduction sociale et le « struggle for life » prônés par le néolibéralisme. Si nous souhaitons que l’école permette à nos enfants, nos jeunes, d’être bien dans leur peau et d’accéder à leur désir d’apprendre, de découvrir, de se développer… Alors il est temps d’en changer pour une école qui émancipe, qui « grandit » les enfants et les jeunes, sans que l’effort inutile vienne entraver l’envie d’augmenter leur potentiel de vie et ça, c’est le projet de l’Éducation active !


« Ce n’est pas grave de ne pas plaire à tout le monde, ça veut dire que l’on plaît au reste. » Michèle Bernier3

Notes

  1. Nous désignons par « école contemporaine » ce qui est habituellement appelé « école traditionnelle ». En effet, nous considérons que les pédagogies actives sont bel et bien des pédagogies de tradition issues d’une histoire longue traversée de courants de pensées et de mouvements politiques. Elles intègrent les avancées scientifiques, techniques et sociales et évoluent grâce aux expérimentations et aux échanges des individus et des collectifs qui la pratiquent. Ainsi, elles cherchent sans cesse à s’inscrire dans la réalité tout en conservant leurs valeurs fondamentales. 
  2. Yves REUTER (dir),  « Une école Freinet, Fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative en milieu populaire », Paris : L’Harmattan, 2007.
  3. Michèle BERNIER in http://evene.lefigaro.fr/citations/michele-bernier

Un jeu de cartes pour repérer quelques fausses idées sur la pédagogie active

Des réflexions, des arguments pour les déconstruire...