« On reconnaît les enfants qui sont allé·es à la crèche ! »
Photo extraite du film " Sur le chemin de la crèche » réalisé par María Castillejo-Carmen
Cette chronique est issue d’un recueil publié par les CEMÉA Belges en septembre 2020. Le collectif d’auteur·e·s nous rappelle qu’à l’origine de ces écrits était l’envie de déconstruire, dans un format court, les « formules toutes faites autour de la vie scolaire » à travers le filtre de l’Éducation nouvelle. Il s’agit de dénoncer l’entretien de paradigmes qui polluent l’école et le développement des enfants, d’analyser les dysfonctionnements et les habitudes non questionnées. Réfléchir le quotidien et les fausses évidences pour transformer sa pratique, sa classe, son école
Juin 2019
Dans les classes d’accueil de maternelle, il n’est pas rare d’entendre ce constat de la part des enseignant·e·s. Il est le reflet d’une réalité : certain·e·s enfants arrivent à l’école avec un parcours en crèche ou ont été accueilli·e·s par un·e accueillant·e, d’autres ont passé les presque trois premières années de leur vie avec leurs parents ou leurs grands-parents. Au-delà du constat, cette phrase anodine sous-entend d’autres choses. Souvent, ce discours est renforcé par des remarques très flatteuses pour les professionnel·le·s de la petite enfance : « Les enfants sont plus autonomes ! », « Ils·elles se séparent plus facilement de leurs parents et pleurent moins », « Ils·elles respectent mieux les règles »… Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Les enfants venant de milieux d’accueil collectif seraient mieux préparé·e·s à la vie de classe ? Leur développement aurait été plus loin, plus poussé, mieux accompagné ?
Les enfants issu·e·s de milieux d’accueil collectif arrivent en classe avec un vécu différent de ceux, celles ayant peu expérimenté la séparation d’avec leurs parents. C’est un fait simple à poser. Ce qui semble plus à nuancer, ce sont les apports que les enfants en retirent.
On souligne moins la capacité d’autonomie, de relation des enfants qui ont passé deux ans et demi avec leurs parents ou grands-parents. Comme s’il était plus intéressant et plus valorisant d’avoir fait l’expérience de la crèche.
Parfois même, les enfants qui ont passé plus de temps dans leur famille sont étiqueté·e·s « d’enfants couvé·e·s ». Grandir dans son milieu familial, avec des personnes proches et aimantes, est alors considéré comme un défaut , une potentielle déviance de la part de parents un peu trop protecteur·trice·s... Nous pouvons pointer un discours paradoxal de la part des professionnel·le·s : les enfants qui restent quotidiennement trop longtemps à la crèche sont plaint·e·s, mais celles et ceux qui n’y vont pas sont trop protégé·e·s... C’est difficile de s’y retrouver !
Ce qui est certain, c’est que les enfants ayant fréquenté des milieux d’accueil avant l’école sont entraîné·e·s différemment à la vie collective. Partager l’attention de l’adulte, le matériel à disposition, les espaces… sont des situations auxquelles ces enfants ont déjà été confronté·e·s. On peut dire alors qu’elles·ils se sont exercé·e·s à vivre ces situations, mais cela ne signifie pas que leur développement et leurs compétences relationnelles sont plus abouties. Ce n’est pas parce que les enfants ont été habitué·e·s à une série de situations, que celles-ci sont intégrées, comprises et appropriées. En effet, à l’arrivée à l’école, les enfants sont au début du développement de leur socialisation en groupe. De plus, vers deux ans, elles·ils vivent une étape importante et bouleversante : la conscience de leur personne, de leur individualité. Jusqu’à ce moment-là, les jeunes enfants ne sont pas capables de se reconnaître comme une personne à part entière. Ce cheminement est un processus long qui doit être accompagné par l’adulte. Jusqu’à ce moment, l’enfant vit une socialisation primaire, c’est-à-dire que la construction de ses représentations des relations se fait en lien étroit avec l’adulte. Plus tard, lorsqu’il peut se reconnaître et s’identifier comme un individu à part entière, sa socialisation secondaire démarre. Des relations avec ses pairs peuvent se construire et se tisser, même si elles ressemblent parfois à des dialogues de sourds : les enfants vivent encore un égocentrisme assez marqué jusqu’à 5 ans ! Par conséquent, si les enfants qui démarrent à l’école semblent avoir plus de facilités à vivre la collectivité, c’est parce que leur entraînement est plus grand, mais pas nécessairement parce que leurs compétences sont plus développées. Au contraire, on pourrait se dire que les enfants qui ont passé de longs moments privilégiés et individualisés avec des adultes de référence ont construit leur socialisation sur des relations particulières et solides.
Pour les enfants, il y a des intérêts tant dans une situation que dans l’autre. Par contre, pour les enseignant·e·s, il est clairement plus simple d’être face à des enfants qui sont entraîné·e·s à un dispositif collectif. Cette préférence questionne profondément les enjeux de la classe d’accueil et invite à les repenser. Les enfants accueilli·e·s vivent une période de leur développement particulièrement déroutante au moment de leur entrée à l’école. Il est fondamental que du temps soit consacré à cet accompagnement dans les classes. Or, actuellement, l’accent est mis sur les apprentissages scolaires, sur les compétences présentes dans les programmes. C’est compter, reconnaître les couleurs, rester assis·es, demander la parole... qui sont, très souvent, des aptitudes valorisées. Dans ce contexte, il est compréhensible que les enseignant·e·s apprécient les facilités que certain·e·s enfants ont à comprendre et à appliquer rapidement les règles de la classe. Ainsi, les aspects relationnels sont évacués, ce qui est vraiment dommage dans cette transition si importante pour les enfants. Apprendre à se séparer, vivre en collectivité, découvrir une vie en dehors de son cercle familial, doivent faire partie intégrante des apprentissages d’une classe d’accueil et être considérés comme aussi importants que le reste. Prendre le temps de consoler et d’accompagner un enfant qui se sépare de son parent le matin, créer petit à petit les règles de la classe, laisser le temps aux enfants de s’approprier l’espace et le matériel, doivent être des priorités. Peu importe le parcours des enfants avant l’école. De plus, si une attention continue à ces dimensions existe pour chaque enfant, il se sent en confiance, en sécurité face à un ou plusieurs adultes bienveillant·e·s. Il peut donc petit à petit acquérir une autonomie relationnelle et se détacher des adultes pour construire avec les autres enfants. Ainsi, les adultes peuvent être disponibles pour accueillir les enfants qui arrivent tout au long de l’année et les accompagner dans cette nouvelle aventure.
Il est plus que nécessaire que les enseignant·e·s et les autres professionnel·le·s soient formé·e·s à la connaissance fine du développement des jeunes enfants pour y faire de la place dans le quotidien de la classe, de l’école. Tout comme il est temps que l’école soutienne les équipes éducatives dans cette recherche et veille à ce que la pression de la réussite ne s’abatte pas dès les premiers pas des enfants en classe. Ce n’est qu’à cette double condition que l’école permettra à chaque enfant de grandir dans un cadre sécurisant prenant en compte ses besoins et lui offrira, en toute confiance, la possibilité d’accéder à son désir d’apprendre et de découvrir.
« L'éducation dans le vrai sens de ce mot consiste à comprendre l'enfant tel qu'il est, sans lui imposer l'image de ce que nous pensons qu'il devrait être. » Jiddu Krishnamurti1
Note
- Jiddu KRISHNAMURTI, « Se libérer du connu », Livre de Poche, 1995.
Un jeu de cartes pour repérer quelques fausses idées sur la pédagogie active
Des réflexions, des arguments pour les déconstruire...