Vacances apprenantes mode d’emploi

Il en aura fait couler de l’encre ce dispositif ! En effet chacun·e s’est exprimé·e à propos de son opportunité et de sa légitimité. Mais au-delà des opinions, toutes recevables, il n’en reste pas moins que cet été, nombre d’enfants en ont bénéficié. Et c’est le principal.
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Le terme « vacances apprenantes » est générique et chacun·e est libre de s’en accommoder.

Il est déclinable à l’envi. C’est son plus grand avantage. La Covid a eu raison du grand silence qui enveloppe le monde des centres de vacances depuis si longtemps. L’après confinement se serait-il révélé un accélérateur d’évidences ? Si oui c’est tant mieux.

Et conséquemment à l’aide financière substantielle apportée, c’est aussi un excellent moyen de convaincre des familles dont les enfants ne partent jamais en vacances de l’intérêt de l’ailleurs et du partir. Les PRE (programme de réussite éducative), l’ASE (aide sociale à l’enfance), les familles d’accueil ont également eu la possibilité de  favoriser l’accès au départ en séjour pour les enfants dont ils ont la responsabilité.

Cemea

Scolariser les vacances, on pourrait légitimement se dire : quelle drôle d’idée ? On se dit que si on participe, on perd notre âme, mais on peut aussi agir sans adhérer. Laisse-t-on pour autant l’école pénétrer les vacances, alors que les vacances n’ont jamais eu le droit de s’immiscer dans l’école ? Le principe de réflexivité n’a pas cours dans la coéducation ? La réciprocité symétrique de l’avancée des isthmes semble impossible. Et pourtant si l’école ne possède aucune nuance de vacances, les vacances, elles, regorgent d’occasions d’apprendre.

L’inégalité dans la coéducation semble inéluctable. Plus sérieusement l’irruption de ce dispositif dans la sphère des colos ne peut qu’apporter de l’eau au moulin des acteurs et actrices de l’éducation populaire.

Encore faut-il éviter les pièges que comporte son libellé. L’illusion de faire l’école après l’école et pendant les vacances est tentante.

Comment prouver d’une autre manière que les vacances collectives sont de fait apprenantes ? En ne changeant rien au fonctionnement habituel, au risque de passer pour le cancre du dispositif ? Ou alors en le prenant à la lettre, en bon élève studieux et soucieux de bien faire ses devoirs, au risque de passer pour le fayot de service ?

Une déclinaison discutable pour illustrer le dilemme

Jérôme Martin, conseiller pédagogique d’EPS, nous présente l’association EJN (éducation jeunesse Aisne, issue de la JPA 02), qui gère des classes de découverte, est  engagée dans le programme ambition réussite, participe au programme de réussite éducative (PRE), développe les opérations déblocamaths, déblocafrançais, et organise des centres de vacances.

Habituée à développer des pédagogies novatrices, l’association a mis en œuvre cet été le dispositif « vacances apprenantes ». Dès l’annonce de cette décision il y a eu une déferlante des inscriptions, il faut dire que c’était gratuit pour tout le monde.

Les séjours duraient de 7 à 21 jours. Dans l’encadrement  de chaque séjour il y avait au moins deux enseignant·e·s (présence facilitée par le partenariat avec l’inspection d’académie). Un enseignant·e (rémunéré·e 50 euros net par jour) pour 10 à 12 enfants (1 adulte pour 5 enfants).

Il n’y a eu qu’une réunion de préparation pour le corps enseignant : autour d’une mise en route de la posture « apprendre sans être à l’école ». Les tableaux, photocopies et manuels ont été proscrits. Les enseignant·e·s venaient surtout du premier degré et il y avait des profs d’EPS. Pour beaucoup ils et elles  vivaient leur première expérience de vacances collectives avec des enfants. Il a fallu réguler la présence des adultes. On a veillé à ce que leurs interventions aient lieu au moment opportun. Globalement les organisateurs en tirent un bilan positif. La colo était normale pour la plupart des enfants et pour d’autres cela a été l’occasion de reprendre pied et se préparer à retourner à l’école en travaillant le métier d’élève. Ils et elles vivaient un acte éducatif complet tout au long des journées.

Au bout du compte lorsqu’on visionne les images tournées pour le film commandé par le ministère, on a quand même l’impression que l’école a gagné, même s’il n’était pas question de compétition. Et ça laisse un goût amer et du grain à moudre pour celles et ceux qui pensent que le dispositif ne vaut pas le coup qu’on s’ y attarde et que ce n’est qu’un coup de com opportuniste du gouvernement.

Tenter de définir la notion d’apprentissage

Au préalable pour éviter cette remise en cause et pour faire de ce dispositif un véritable concept, on a tout intérêt à définir ce qu’est l’apprentissage scolaire (cognitif, affectif, métacognitif, apprentissages formel et informel (où est la frontière?). Et faire de cet apprentissage un objectif prioritaire mais non exclusif. Défendre avec opiniâtreté la primauté de la mise en œuvre est essentielle dans la transformation des savoirs en compétences. L’apprentissage a des mécanismes. Il faut les connaître et en maîtriser les rouages. Si l’on veut que les séjours de vacances participent du geste d’apprendre, il peut s’avérer judicieux de permettre à l’équipe d’animation de creuser et d’approfondir la part d’apprentissages contenue dans l’activité et leur nature. Judicieux ou pas.

Il paraît toutefois nécessaire de se pencher d’une manière ou d’une autre sur la question de la formation. Elle permettra aux acteurs et actrices des séjours de s’approprier en toute conscience les tenants et les aboutissants des activités proposées.

Faut-il profiter de l’ouverture qui fissure l’immobilisme, opérée par le concept « vacances apprenantes » ? Le jeu en vaut la chandelle, sans conteste. Il est nécessaire toutefois de se garder des évidences, de ne pas perdre son âme, et de ne pas abandonner ses valeurs aux affres de l’effet de mode. Prendre garde également à tout dogmatisme qui irait dans le sens du vent, au catéchisme scolaire diffusé par telle ou telle chapelle, qu’elle soit clanique, scolastique ou laïque.

Attention quand même à la dérive involontaire constituée par un afflux d’inscriptions qui modifierait la composition des effectifs, faisant de ces séjours de vacances des espaces réservés aux seuls publics empêchés. Malgré ce danger, le concept a néanmoins permis de travailler vraiment autour de la mixité, même si cela reste très divers selon les territoires et les organisateurs.

L’éducation nationale ne sera jamais capable d’organiser des vacances collectives. Et jamais les structures de vacances d’organiser l’école. Mais ensemble il est possible de penser l’éducation autrement. C’est à l’aune de cette affirmation qu’il faut lire et comprendre les « vacances apprenantes ».