La montagne comme support de projets éducatifs, quelle valeur ajoutée ?

La valorisation des vertus traditionnelles de la montagne allant du dépassement de soi à la « conquête de l’inutile » sont-elles de nature à convaincre des jeunes urbains de tenter l’expérience, alors qu’ils sont en demande de sensations fortes sur un mode consommatoire ?
Média secondaire

Conférence de Gilbert Berlioz, consultant, sociologue, ancien éducateur spécialisé dans le cadre des Journée d’échanges sur « La montagne comme outil éducatif » le jeudi 19 décembre 2013 au Centre départemental Nelson Paillou à Pau, organisées par la Maison de la Montagne

A quoi peut servir l’expérience de la montagne pour des jeunes de plus en plus urbanisés ?

Voilà maintenant 5 ans que Gilbert a étudié plusieurs projets éducatifs en montagne de l’association « En passant par la montagne » (Haute Savoie). A partir d’interviews de jeunes, d’éducateurs, de guides et par l’analyse de l’association, il nous rapporte le résultat de cette étude qui s’est exclusivement portée sur des groupes de jeunes adolescents en milieu urbain participant à des séjours montagne dans les Alpes.

Plusieurs dimensions ont été soulevées :

Cemea

Le rêve et les représentations (chez les jeunes, dans les familles)

Être attentif aux différences culturelles

Les jeunes ont un idéal de la montagne mais c’est une notion abstraite. La plupart du temps, ils en ont une image de « film américain », de type « Cliffhanger ». Il faut donc les préparer à autre chose de plus prosaïque : au fait que durant le séjour, il n’y aura peut être pas d’électricité au refuge, ce qui signifie ne pas pouvoir charger son portable, ou pas d’eau courante. La nuit, les bruits sont différents de ce que l’on entend habituellement dans son appartement. Il faut faire attention aussi à des détails comme les habitudes alimentaires et ne pas changer drastiquement de pratiques au risque de décourager les personnes avant même qu’elles aient rencontré la montagne en tant que telle.

Le déconditionnement (sortir du quartier)

Beaucoup de jeunes aiment la montagne, mais ils ne le savent pas car ils n’ont pas l’occasion d’y aller

Il faut être particulièrement attentif à cette phase d’acclimatation car les jeunes vivent avec des habitudes, voire des addictions, dont ils n’ont même pas conscience, notamment dans leur rapport au téléphone, à la télévision et aux écrans. Les jeunes sont submergés par notre société de consommation. La montagne est abordée d’abord sur ce mode là. Si elle n’est pas source de sensations fortes comme le saut à l’élastique, le rafting, l’accrobranche… la montagne n’a que peu d’intérêt à leurs yeux, dans un premier temps.

Le risque et le défi (personnel et collectif)

« En montagne on engage sa personne, il existe un vrai risque. Ce n’est pas comme les jeux vidéo, on n’a pas plusieurs vies, si on tombe on se fait mal, ou on meurt »

Le défi et le risque sont souvent au cœur de l’engagement des jeunes dans un projet montagne. Pour réussir un projet avec des jeunes, il doit être suffisamment aventureux pour leur donner envie de s’y impliquer et suffisamment risqué pour nécessiter de l’engagement et gagner en estime de soi et en prestige aux yeux des autres.

Mais il faut d’abord déconstruire leur approche du risque et du défi qu’ils associent à ce qu’ils voient à la télévision, comme le freeride… Parfois les éducateurs renforcent aussi cette image pour augmenter le côté spectaculaire du projet. Il est important de développer une pédagogie sur ces aspects-là. Les jeunes n’ont que peu d’occasion d’apprendre à prendre des risques.

L’effort et le langage : « les mots pour le dire »

L’engagement en montagne n’est pas banal, ni sur le plan physique (l’endurance), ni sur le plan mental (la volonté et la solitude de l’effort). Cette expérience spécifique permet une élaboration intellectuelle et sensible perceptible à travers l’évolution de leur langage. La pauvreté d’expression, qui leur est reproché si souvent, est pour partie liée à une pauvreté d’expérience. Dès lors qu’ils ont vécu des sensations complexes, ils ont besoin d’expressions plus élaborées pour les caractériser, comme « le plaisir par l’effort », « la confiance par le risque », « le danger avec la sécurité ». Tout se passe comme si la confrontation avec une expérience forte leur permettait d’introduire de la complexité dans leur mode d’expression.

De plus, l’économie de la parole aussi est particulière dans les projets éducatifs en montagne. En effet, l’éducation est souvent bavarde. Ici elle le demeure mais essentiellement en début de projet : on fait des réunions, on présente les objectifs, on se met d’accord sur les règles, etc. Mais ensuite, plus on approche du but (souvent un sommet), moins on parle. Les modalités d’échanges évoluent, notamment avec le guide : on parle matériel, sécurité, météo, fatigue, beauté du moment. Bien sûr, on va débriefer le soir au refuge, et raconter l’aventure au retour dans le quartier, mais sur le moment on parle peu. L’énergie est mobilisée pour faire.

L’encadrement : la chaîne des adultes

Chacun tient une place relative dans un processus qui a besoin de tous pour réussir. Il faut insister sur le fait que chacun doit tenir son rôle et accepter que les autres tiennent le leur. Ces rôles doivent être très clairement définis et ne pas changer durant le séjour ou l’activité.

Les jeunes ne vont pas choisir d’aller tout seuls en montagne, ils ont besoin de médiateurs qui les incitent à y aller. De sorte que, contrairement à ce qu’on pense la montagne est aussi un sport d’équipe. Pour sortir de leur quartier et arriver jusque « là-haut », les adultes ont du faire une chaîne et se passer le relais. Les parents ont du accepter de laisser partir leur enfant et faire confiance aux éducateurs, les éducateurs ont du accepter de faire confiance à un organisme ou à un guide pour atteindre l’objectif. Le guide assure la sécurité et l’aspect technique de la sortie. Une guide nous disait : « Moi je ne suis pas là pour comprendre les jeunes, je suis là pour les amener d’un point A à un point B et les ramener ». C’est là où je dois assurer en priorité car si je ne le fais pas, personne d’autre ne pourra le faire ».

Par exemple, il est intéressant de voir comment les éducateurs doivent accepter de sortir de la relation face à face avec le jeune pour se mettre en relation côte à côte derrière le guide. Ils doivent accepter son autorité et prendre une place comme les autres malgré leur responsabilité auprès des jeunes.

La réorganisation des rôles et la dimension initiatique

La montagne permet parfois une redistribution des rôles et une émancipation des places assignées dans le groupe

Dans un groupe de jeunes, chacun a une place, un positionnement, une image, un rôle assigné encore plus fortement dans les quartiers et qui est très difficilement modifiable dans la vie de tous les jours. Mais en montagne, dans un nouveau cadre, face aux difficultés, les rôles peuvent se redistribuer. Le leader d’un groupe « en bas » ne le sera peut être plus «en haut ». La mise en situation réelle permet à certains de faire valoir des qualités, voire des compétences, qu’ils ignoraient jusque là : sang froid, endurance, habileté. Même si cette redistribution des rôles est liée à la situation, elle ouvre des possibilités et permet des découvertes que la vie ordinaire ne permet pas. En ce sens là, la montagne prend une dimension initiatique où le sujet qui revient est différent de celui qui est parti. Si l’on y regarde bien, on y retrouve les grands axes des schémas de l’initiation :

  • « l’arrachement aux mères » avec l’autorisation à devenir membre d’un autre collectif humain,
  • « le cadre » qui doit savoir articuler souplesse et solidité,
  • « le risque de mort » bien que très improbable, il apparaît néanmoins réel
  • « l’espace ouvert », contenant parce que contraignant
  • « le temps de l’expérience » : sortir de l’attente de devenir adulte pour partir, s’engager et s’inscrire dans une réalité temporelle impérieuse pour garantir l’arrivée
  • « la remémoration » qui permettra au retour de raconter l’histoire pour se l’approprier et pour l’embellir selon les circonstances
  • « les passeurs » que constituent tour à tour les éducateurs et les guides.

Dans ce contexte très chargé symboliquement, un jeune qui ne réalise pas ce qu’il avait prévu, s’il n’est pas bien accompagné, peut en sortir affaibli. La puissance dévastatrice de « l’échec », surtout s’il vient s’inscrire derrière d’autres échecs : scolaires, sociaux, affectifs, est inversement proportionnel à la puissance de la réussite. Les passeurs doivent « assurer », et savoir donner du sens à l’expérimentation pour produire un sens à l’expérimentation et identifier les points d’appui dont le jeune pourra se ressaisir.

La réussite, la frustration

La montagne est aussi la confrontation avec une réalité « objective » comme la pluie, le froid, le brouillard. Un éducateur me disait « annuler un projet à cause du temps, c’est insupportable pour un jeune, il faut l’expliquer et l’avoir anticipé ». Aussi bien pour les jeunes, que pour l’éducateur, car c’est parfois lui, qui a besoin d’être aidé quand il s’est démené dans son institution pour pouvoir partir, obtenir un budget etc.

Il faut avoir conscience que le programme annoncé est une promesse, s’il ne s’accomplit pas il peut être perçu comme un mensonge, et ceux qui l’ont proposé, suspectés d’être des trompeurs. L’incapacité à faire ce qui était prévu, habituelle pour les montagnards (du fait de la météo, de la forme physique, du matériel) est particulièrement mal vécue pour les néophytes. La résistance à la frustration qui est au cœur de l’éducation, trouve là un bon terrain d’application.

Le retour, le souvenir…

La montagne produit une diversité de sentiments positifs et négatifs. Les parents ont un rôle de valorisation après l’expérience. Il faut faire attention de ne pas les exclure, ou qu’ils se sentent exclus. Le fait d’avoir couru un risque et de l’avoir maîtrisé procure aux jeunes une estime de soi qui est un ingrédient précieux pour eux. Il doit être compris et valorisé par son cercle proche. Comme milieu difficile, la montagne demande moins mais exige plus. Quand l’expérience est réussie et que les gens reviennent, ils sont riches d’une expérience qui n’appartient qu’à eux et à ceux qui l’ont partagée avec eux. Et ça c’est constituant. C’est un vrai capital qui fructifiera.

Pour conclure :

Les 3 conditions de la réussite d’un projet montagne ?

  • Le degré de cohérence entre tous les maillons de la chaîne éducative.
  • Un caractère aventureux qui décentre les jeunes de leurs réflexes conditionnés.
  • Un cadre souple mais solide qui sécurise la démarche physiquement et psychiquement.

Avec l’expérience on s’aperçoit que 95% des pathologies de la jeunesse actuelle viennent d’un problème de confrontation au réel. La montagne et son univers, c’est du réel et se confronter à ce réel a des vertus structurantes pour les jeunes. Un projet en montagne réussi est une expérience dont en revient changé. C’est peut être là le véritable risque.

Il ne faut pas chercher à faire des projets éducatifs, mais faire éducativement des projets.

La montagne à l'échelle des Hommes

Un outil de développement social, culturel et économique

Depuis 2000, La Maison de la Montagne porte un projet global et transversal autour de la montagne,

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Former les animateurs jeunesse à la pratique de la montagne

Lors de la session 2016 du séminaire international sur les jeunes et les activités de montagne organisé par la coordination Montagne, Rudolph Puygrenier, directeur territorial des CEMEA Rhône-Alpes présente l’action des CEMEA pour la valorisation des activités montagne auprès des animateurs BAFA.

Les rencontres citoyennes de la montagne

En 2016, les Rencontres Citoyennes de la Montagne ont posé la question de l’intérêt des activités de montagne chez les jeunes,
et de comment attirer ce public et l’encadrer. Ce fut l'objet de travail du séminaire international qui s'est tenu du 14 au 18 novembre à l'AFRAT dans le Vercors rassemblant une quarantaine de personne venues d'Albanie, d'Algérie, d'Angleterre, de Bulgaire, de Croatie, d'Espagne, de France et de Tunisie.

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