On sent que c'est le petit enfant qui a du partir trop tôt

Connaitre le quotidien et l'accompagnement des jeunes Mineurs Non Accompagnés en Maison d'Enfant à Caractère Social. Difficultés, prises en charge, issues : Mathilde Walter témoigne sur son travail d'éducatrice spécialisée auprès de jeunes migrants.
1 personne a aimé cette fiche
Média secondaire

Image par Yves Bernardi de Pixabay

Mathilde Walter est éducatrice spécialisée et travaille en MECS. Après avoir fait son mémoire sur la problématique de l'autonomie des jeunes migrants, elle travaille depuis avec le public MNA. Elle nous raconte son expérience.


Pouvez-vous nous présenter le contexte dans lequel vous accompagnez des jeunes migrants ?

Je travaille dans une association de protection de l'enfance qui accueille, essentiellement, depuis quelques années, des jeunes MNA. Ces jeunes sont envoyés soit par l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance) 93 (où ils étaient dans des hôtels sociaux), ou la CAMNA (cellule d'accompagnement des MNA) qui est un service de l'ASE créé en 2018 devant l'affluence du nombre de ces jeunes. Dans cette association, il y a plusieurs services : du milieu ouvert et des MECS. J'ai travaillé dans les deux. L'orientation d'un jeune dans un service dépend de l'âge auquel ils sont reconnus. S'ils sont reconnus comme ayant moins de 15 ans, ils sont généralement envoyés dans les MECS, s'ils sont reconnus comme ayant entre 15 et 18 ans, généralement, ils vont en colocation, de deux ou trois, dans des appartements, ils ont un budget qui leur est confié avec des éducateurs qui viennent les voir.

En MECS, ici, chacun a sa chambre. Ici, il y a une école interne, adaptée, où ils peuvent apprendre les bases du français. Je pense que c'est aussi pour cela que ce public est orienté dans notre association.

Cemea
Que voyez-vous comme particularités, chez ces jeunes ?

On parle beaucoup de leur exigence, c'est ce que j'entends beaucoup de la part de collègues, dans plusieurs endroits. Ils ont cette image. Je pense qu'il y a plusieurs choses dans ces "exigences". Je pense qu'il y a une particularité par rapport à la maîtrise de la langue. Par exemple, B. ne savait pas dire "je voudrais", il disait "je veut". Il n'arrivait pas à nuancer ses propos en fait.

Dans la communication et dans l'apprentissage de la langue, il leur manque des mots pour pouvoir mettre les formes pour accompagner leur demandes. Je pense aussi que c'est des jeunes qui ont eu un parcours très compliqué.

Ce besoin d'exiger des choses ... ils ont appris à le faire pour leur survie, pour leurs droits, se battre pour tout, pour avoir le droit d'exister. "Je veux un k-way parce qu'il pleut dehors et que c'est pas normal que j'aille au travail, sans K-way"; C'est une façon aussi de revendiquer des droits.

En tant qu'éducateur, on doit apprendre à lire leurs besoins dans ces revendications et leur apprendre à formuler ces demandes autrement que par quelque chose qui pourrait paraître hautain et qui donne tout de suite envie de dire non.

Ce sont aussi des jeunes qui font preuve d'une grande maturité. Cela peut être dû à quelque chose de culturel (par rapport à ce qui se fait dans leur pays en termes de responsabilités), mais cela peut aussi être du à ce voyage : ça a été traumatisant et les a fait grandir.

Et quand on doit se débrouiller seul, forcément, on grandit un peu plus vite. Il y a aussi une maturité émotionnelle qui n'est pas très grande. Il y a des jeunes, au fond d'eux, on sent que c'est le petit enfant qui a du partir trop tôt de son pays. Il y a vraiment un travail à faire sur l'attachement, les émotions. Ils ont du se couper de leurs émotions avant de partir, leur construction psychologique et psychoaffective a du se couper avant le voyage et là, il faut les aider à pouvoir continuer à se construire.

Concernant les émotions, par exemple "là, quand tu dis que c'est pas normal, en fait tu ressens de l'injustice". Et ça les aide à faire le point sur leurs émotions.

 

Est-ce qu'il y a des jeunes qui ont des troubles psychiques ?

Complètement. Et là le travail de l'éducateur dépend du fonctionnement du service En fait, il y a deux cas. Dans le milieu ouvert, où ils sont beaucoup, avec peu d'éducateurs c'est très difficile de voir ce qui ne va pas. Il faut vraiment être très à l'écoute. C'est très difficile de pouvoir écouter, comprendre et pouvoir orienter vers une structure ... psychiatrique même. S'ils ont 17 ans, dans un an il va falloir demander un titre de séjour à la préfecture. Si c'est un titre de séjour maladie à cause d'un problème psy, il faut le prouver et il faut se dépêcher.

En MECS, on est au quotidien avec eux, on le voit beaucoup plus. Cela peut être accompagné différemment. récemment, on avait un jeune qui avait des gros troubles, des accès de colère, et ça peut faire peur, ça peut être compliqué à gérer pour lui ... on sent qu'il y a quelque chose. Le problème c'est que c'est très difficile de prendre en charge ces situations dans les déserts médicaux de certaines régions. Trouver un psychiatre, c'est déja compliqué, alors un psychiatre qui soit formé au multiculturel c'est encore plus compliqué. Qu'est-ce qui est de la folie, qu'est-ce qui n'en est pas, c'est aussi culturel.

 

Qu'est-ce qui est le plus difficile pour eux dans leur parcours en MECS ou en milieu ouvert ?

Je pense que c'est la relation de confiance. Elle est parfois très difficile à mettre en place. Ce sont des jeunes qui ont une relation à l'adulte différente parce que l'adulte, c'est la personne qui l'a mis en dehors de son pays pour lui dire "va nous rapporter de l'argent". L'adulte c'est celui qui l'a torturé, qui l'a violé, qui lui a fait subir des violences pendant son voyage ou qui a fait subir des violences à des personnes qui étaient autour d'eux. L'adulte c'est celui qui juge, qui lui dit qu'on n'est pas sûr qu'il ait vraiment l'âge qu'il a. Ils font parfois une rétention d'informations par peur d'être jugés. Et d'un coup, ils se retrouvent avec des éducateurs qui eux ont leur visions, se disant "nous on est bien-pensants, on veut vous aider" et eux, ils font "oui, oui, le juge aussi, il voulait m'aider et on a eu des soucis" .

C'est assez complexe parce que, en même temps on vit avec eux au jour le jour. On fait des parties de foot, des parties de Monopoly, on rigole, on s'amuse dans le quotidien de nos journées et en même temps, à un moment, il va falloir écrire son histoire de vie pour la préfecture pour avoir son titre de séjour, il faut faire une synthèse pour le référent ASE , pour savoir si on va avoir un APJM (Accompagnement Provisoire Jeune Majeur). Et là, c'est "qu'est-ce que je lâche, qu'est-ce que je ne lâche pas ? ". J'ai vu des jeunes qui se sont bloqués, qui se sont cachés pendant toute leur prise en charge. Des fois, on travaille avec des jeunes qu'on ne connait pas vraiment.

 

Avez-vous quelque chose que vous souhaitez ajouter ?

Souvent, on a cette peur, en travaillant avec les jeunes migrants, d'être dépassé par l'administratif. On arrive et tout de suite, même si on n'y connait rien, on entend parler de carte consulaire, de carte de séjour ... et ça peut faire peur. En fait, au fur et à mesure des situations, on va apprendre. On peut poser des questions aux collègues. La communication en équipe est très importante; Il ne faut pas non plus hésiter à aller chercher les informations sur internet avec le jeune, ce qui permet de lui montrer comment faire ses propres recherches. On m'a demandé "Pour un titre de séjour, comment on fait pour obtenir un "vie privée et familiale"? ". On va sur le site du gouvernement et on regarde. On en discute "est-ce que cela correspond à ta situation ?" et on apprend en même temps tous les deux.