LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Pratiques de pédagogie interculturelle

Partir pour ailleurs, c’est toujours une aventure. Plus palpitante encore quand c’est à l’étranger. C’est un défi stimulant qui demande d’accepter l’autre pour le rencontrer dans des altérités à partager. Il existe une pédagogie de l’interculturel et une nécessité de s’y former.
Média secondaire

Un premier texte aborde, croisées, les questions de migration et d’identité. À travers la problématique de la double culture (et la difficulté de se situer au confluent de deux cultures qui peuvent être antagonistes); la situation d’immigration  suppose le passage de l’adaptation à l’assimilation et la langue y joue un rôle majeur. Et parfois le corps est un média qui supplée la parole !

Le deuxième texte pour dire la complexité d’un BAFA interculturel à l’étranger. Plus que jamais le·la formateur·rice y est un·e passeur· euse. De la maîtrise de la langue à la rencontre de l’autre, la compréhension de la culture n’est effective que par l’échange direct. Et ce n’est pas si simple, il y a des ponts à construire entre chaque identité culturelle.

Migrations, identités. Une approche psychologique

Par Dominique Besnard, Psychologue

La culture est cette tradition dont on hérite à condition d’avoir un lieu où situer ce que nous recevons  Winnicott.

Lors du dernier regroupement national du département des Politiques européennes et internationales, Dominique Besnard est intervenu à partir des travaux de Robert Berthelier, psychiatre et militant des Ceméa, sur la culture, la langue, le langage et des illustrations de traumatismes chez l’adolescent migrant. En voici des extraits

La culture. Parler d’identité culturelle implique que soit défini ou au moins cerné le concept de «culture». On peut dire : «La culture, c’est tout ce qui est appris» mais aussi «la culture, c’est tout ce qui est transmis» car une culture est une réalité beaucoup plus qu’un savoir. A la fois comme un langage; mode de communication et un ensemble de mécanismes de défense mis par le groupe à la disposition de chacun de ses membres en tant que mode de révolution socialement admissible des conflits. Elle est véhiculée, représentée et transmise par la totalité des institutions et singulièrement par le milieu dans lequel se déroule l’enfance de la personne et au premier chef par la famille (avec l’infra-verbal: gestes, mimiques, contacts, modes relationnels et le verbal avec la langue; non seulement comme moyen de communication mais aussi médiateur affectif et culturel ET si les images identificatoires en fonction desquelles se joue la structuration de la personnalité individuelle au cours de l’enfance sont bien les images parentales, celles-ci sont présentées dans et par leur culture d’appartenance : si bien qu’il n’est d’identification personnelle qui ne suppose dans le même temps une identification culturelle.

Une telle approche de la culture suppose un certain nombre de préalables dont les principaux peuvent être :

  • L’universalité et l’invariance du psychisme humain où pour gérer ces données dans la pathologie mentale dont l’analyse démontre qu’elle utilise partout les mêmes procédés, les mêmes mécanismes et les mêmes matériaux. Le système culturel d’explication diffère mais dans tous les cas les mécanismes et la structure du délire deviennent partout similaires et sa signification reste la même.
  • L’universalité de la culture au-delà de la diversité des cultures. Un détour par la génétique nous permet d’en saisir le sens. Si on considère que le génotype de l’espèce est définitivement fixé (au passage, cela réduit en miettes le concept de race et ses conceptions pseudo scientifiques du racisme) la seule possibilité d’évolution de l’espèce est l’évolution culturelle, dans la mesure où la culture spécifie l’homme.
  • L’universalité des composantes des catégories culturelles comme le montre le travail du structuralisme et les apports de Claude Levi-Strauss. A travers la variabilité apparente des expressions culturelles, la structure du mythe se retrouve partout semblable, réductible à des matériaux identiques en nombre limité.
Adaptation, intégration, assimilation

Ainsi, dans une situation d’immigration, l’utilisation d’un mécanisme de défense fourni par la culture d’origine peut être perçu comme inadapté. Or, pour le migrant, l’utilisation de mécanismes défensifs est nécessaire dans la mesure où la transformation correspond à un stress. D’où la nécessité du processus d’acculturation mais avec trois possibilités :

  • L’adaptation d’un certain nombre de conduites permettant la vie dans un milieu culturel nouveau sans remettre en cause l’identité culturelle du sujet – première génération.
  • L’intégration, processus réel d’acculturation où l’individu se trouve porteur des deux cultures.
  • L’assimilation qui suppose une véritable enculturation c'est-à-dire le renoncement à la culture d’origine.
La langue, le langage

De même que l’enfant est porteur de deux systèmes culturels il l’est aussi de deux systèmes linguistiques : la langue maternelle, avant tout celle de l’affectivité et la langue du pays d’accueil, avant tout sociale et que d’un point de vue psycholinguistique tout mot possède deux niveaux de signification :

  • Une signification déterminative que l’on peut considérer comme neutre : ainsi la mère est-elle toujours la génitrice.
  • Une signification communicative : symbolique et culturellement déterminative. Il est clair que l’utilisation du mot français « mère » n’a pas la même valeur dans la bouche d’un autochtone et celle d’un migrant, fut-il de deuxième génération… Il est évident que l’on ne peut pas réduire la maîtrise d’une langue à celle de son vocabulaire et de sa grammaire ; c’est la possession de son appareil symbolique qui seule peut permettre de parler d’une maîtrise vraie et rendre compte de la complexité du phénomène. Or, c’est justement cela que veut gommer notre système éducatif.

L’apprentissage d’une seconde langue suppose la maîtrise préalable de la langue maternelle. Avant la phase œdipienne elle constitue l’un des déterminants… Développer la place de la langue dans la phase œdipienne se situer dans l’espace et le temps et dans sa filiation : identification, image et estime de soi…

La place de la langue dans la phase œdipienne et pré œdipienne

La maîtrise de la langue maternelle va autoriser de manière plus affirmée la résolution d’une des composantes déterminantes de cette période. L’aboutissement est pour chacun de se reconnaître comme individu sexué inscrit dans une histoire. L’image de soi et l’estime de soi par l’acquisition de la langue, l’accès à la fonction symbolique se réfèrent au bain langagier véhiculé par la famille et prioritairement par les parents. De la qualité de ce bain langagier dépendent les possibles identifications. Deux opérations se succèdent par l’acquisition de la langue : se situer dans le temps et l’espace par l’organisation des mots, des phrases et la justesse de la grammaire et de la syntaxe et se situer dans sa filiation en réalisant que ses parents sont mortels. Une image de soi et une estime de soi suffisamment élaborées et positives sont a minima ce qui permet de grandir en tranquillité et d’affronter le monde de la connaissance. Pour accéder à cette position il y a nécessité à travers la valorisation que ses parents sont mortels, à les accepter tels qu’ils se présentent dans l’intime des relations familiales et dans le monde social.

Illustration de traumatisme chez l’adolescent migrant

Le pathologique est révélateur de conflits et de problèmes qui sont aussi ceux de l’individu normal. Au premier chef, chez les adolescents, dans la mesure où l’adolescence est un moment fécond de remaniement de la personnalité, l’angoisse et l’agressivité naissent d’un processus d’acculturation antagoniste et du statut dans la société d’accueil. Au-delà d’une problématique identitaire, d’un problème politique, il y a une autre question : qui suis-je ? Problématique de la double culture, de la double aliénation (système scolaire implicitement et obstinément assimilateur), obligation à se situer par rapport à deux cultures antagonistes dont l’une, légitime mais forclose dans le milieu social, est authentiquement maternelle lorsque l’autre, intruse mais dominante, fait figure de marâtre.

Dans l’arche de l’ambivalence, la culture maternelle, par sa présence même, fait obstacle à toute identification totale au milieu dans lequel se situe la vie sociale. En réalité, la culture, par l’ensemble des défenses élaborées par un groupe humain pour assumer et reprendre à son profit les pulsions destructrices, ne peut être utilisée par l’individu comme par le groupe que dans la mesure où il existe une réelle identification à ses valeurs et non des identifications partielles ou parcellaires. Et quand la prise de parole est interdite ou pas entendue l’angoisse se dit par le corps, seul lien disponible pour un discours qui devient langage – somatisations diverses, insertion précaire.

Si la question fondamentale, celle de l’identité et du rapport aux cultures et aux langues, ne peut être posée clairement c’est qu’elle implique la nécessité d’un choix et que celui-ci va se jouer entre deux extrêmes ou deux pôles. L’un représenté par une survalorisation d’une culture maternelle fétichisée qui implique en retour le rejet de celle du pays d’accueil, désignée comme mauvais objet – comportement de type : persécuté-persécuteur, xénophobie, racisme… L’autre représenté par l’adhésion à la culture du pays d’accueil et reniement de la culture maternelle, crée un conflit strictement insoluble qui ne se résout fréquemment que dans le naufrage délirant : couper ses racines, se placer hors filiation – c’est une problématique du déni : la psychose.

Ce sont des positions extrêmes qui se rencontrent rarement et la quasi-totalité des sujets se situent quelque part entre les deux. Et il n’est d’acculturation «réussie» qui mêlent les apports de chacune. Synthèse conflictuelle fragile, précaire pour y voir une «troisième culture»

Formation à l’interculturel. Objectifs et enjeux

Par Matthieu Bohy, Sabine Gerin, permanents Ceméa Paca
Nathalie Guégnard, Chargée de mission nationale au département Politiques européennes et internationales

Les réflexions présentées ici émanent d’un atelier traitant des objectifs et des enjeux de la formation à l’interculturel dans le cadre d’un colloque FSPVA (Fonds de solidarité de promotion de la vie associative) qui s’est tenu en novembre 2009 à Marseille. Elles s’appuient pour l’essentiel sur des comptes-rendus d’expériences dans le champ de l’interculturel – formation d’animateurs professionnels et volontaires.

L’organisation de sessions d’approfondissement Bafa (Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) à l’international amène des jeunes résidents français à se déplacer dans un pays étranger. Des inquiétudes récurrentes sont émises par les participants. Elles concernent essentiellement la maîtrise de la langue, la situation relationnelle dans laquelle le manque de compréhension risque de les plonger, mais aussi la rencontre de l’autre et certainement encore plus fortement, avant le départ, la rencontre avec l’étranger. Il s’agit alors de préparer la rencontre par la mise en situation. Ce qui est central pour la réussite de telles aventures de formations est le « faire ensemble » l’activité, la vie quotidienne. En effet, la culture commune n’existe pas en soi, elle n’existe peu à peu que parce qu’elle est portée, construite et vécue par des hommes et des femmes.

Le faire ensemble permet de se rencontrer, de favoriser la connaissance mutuelle et de repérer des différences. Dans ce contexte, le formateur apparaît comme un passeur et doit pouvoir jouer ce rôle, c’est-à-dire être à la fois celui qui va mettre en place et rendre possible ou favoriser des situations de rencontre, et être contenant, garant du cadre de la rencontre.

En Italie, l’expérience des chantiers de jeunes, en partenariat avec des entreprises non lucratives, reprend les mêmes notions centrales. Le partage des tâches et des temps de la vie quotidienne, de l’activité et du travail, permet à des jeunes de différentes nationalités de se rencontrer réellement, d’avoir une meilleure connaissance de l’autre sans tomber dans les pièges d’une idéologie pré-mâchée. Il apparaît donc que la compréhension de la culture de l’autre ne peut être effective que par l’échange direct et réel avec cet autre

Rencontrer l’autre, se découvrir soi-même

Si faire ensemble est un levier indispensable à la rencontre, il ne peut en rien être considéré comme un automatisme. En effet, la rencontre d’un Autre posé comme « étranger » met en branle ses propres représentations, représentations de l’autre, de l’étranger, de la culture, de soi dans sa culture. Toutes les cultures ne sont pas les mêmes, n’ont pas la même valeur pour chacun. Dès lors, il est important de rester vigilant et de ne pas se poser comme « donneur de leçon ».

Se déplacer dans un pays inconnu, être propulsé dans des situations dépaysantes, peut amener à se délester de certains présupposés. L’étranger rencontré est lui-même pris dans un face-à-face avec un étranger. Ainsi, rendre les jeunes mobiles n’est en soi pas suffisant pour que la rencontre se produise. Il est en effet tout à fait possible de beaucoup voyager sans pour autant vivre aucune réelle rencontre. La rencontre n’existe que dans et par le faire avec l’autre et ensemble. D’autres conditions éducatives à la rencontre s’avèrent donc fondamentales :

  • Le travail sur les représentations, les perceptions de soi et de l’autre, les stéréotypes et les préjugés.
  • Le travail sur l’effet miroir : en quoi la rencontre de l’autre me fait-il découvrir moi-même un peu plus ?
  • Le travail sur les savoir-être et la « posture » : développer une curiosité attentive aux ignorances, « ne pas se poser comme donneur de leçons ».
Les moteurs de la rencontre et les ponts à construire entre l’interculturel local et l’interculturel international

Plusieurs participants notent qu’il semble parfois plus aisé de provoquer des rencontres entre des groupes géographiques très éloignés, qu’au sein d’un même quartier, d’une même cité. Ce constat amène à se poser la question suivante : à l’international, les rencontres sont-elles plus faciles qu’à un niveau local ? Cette question repose en fond celle du sentiment d’appartenance, des appartenances multiples et plurielles. Si aller à l’étranger est une demande forte et récurrente, si rencontrer l’autre tout proche est parfois, souvent, plus délicat, il est déjà possible d’envisager le sentiment d’appartenances comme relevant de liens variés, et certainement à la fois simultanés et mouvants : communauté d’appartenance géographique, culturel, cultuel… D’autres conditions éducatives et/ou autres moteurs d’une rencontre réelle sont la prise en compte de l’histoire et des histoires du pays, en terme d’influences sur des choix éducatifs et des pratiques pédagogiques.

C’est ce qu’illustre l’exemple de la préparation de l’accueil d’un groupe d’Erzieherlnnen à Marseille par une promotion de stagiaires du DEJEPS des Ceméa Paca dans le cadre d’un module de co-formation franco-allemand. Le groupe s’est donc posé la question des modalités et des contenus à valoriser lors de cette rencontre de quelques jours. Après les hésitations relatives à l’entrave potentielle que représentait, d’un côté comme de l’autre, la non maîtrise de la langue de l’autre, celles concernant les lieux d’hébergement, et autres questions pratiques, les discussions ont porté sur ce qui devait être montré de la ville, du milieu, à des personnes n’y étant jamais venues. Autrement dit, quels étaient les aspects « typiques » de Marseille et de sa région ? Face à cette question anodine, aucun consensus n’a été trouvé. Chacun vit la ville à sa manière et y distingue des particularités différentes, y compris culturelles, en lien avec son propre mode de vie.

Pour accueillir ce groupe d’Allemands, un travail a été effectué sur les points communs et non uniquement sur les différences. Puisqu’il s’agissait d’un groupe d’animateurs professionnels accueillant un autre groupe d’animateurs professionnels, la découverte de l’autre s’est appuyée sur un travail sur les cadres et les contextes historico-socioprofessionnels d’exercice. Comment comprendre les grandes différences de fonctionnement et d’organisation des structures prenant en charge des mineurs ? Une « différence culturelle » qui s’explique, tout au moins en partie, par l’histoire des deux pays.

En Allemagne, les parents sont les seuls responsables de l’éducation de leurs enfants. L’intervention de l’Etat est perçue comme dangereuse en référence à l’histoire contemporaine du pays. A contrario, l’histoire institutionnelle de la France, tout en reconnaissant le rôle des parents, vise à permettre une sorte de « délégation » de l’acte éducatif à des acteurs sociaux reconnus par l’Etat. A un niveau pédagogique également, les logiques s’étayent sur des histoires nationales différentes : autonomie et liberté au service de la lutte contre un totalitarisme toujours possible, intégration dans un groupe comme moyen essentiel de créer un sentiment d’appartenance partagée… Bref, un ensemble de valeurs permettant de comprendre une culture en dehors d’une vision « essentialiste ».

Ce cheminement a été permis, certes par un ensemble de lectures, de discussions, mais aussi et surtout par un « faire ensemble » qui permet de se rendre compte des nuances, des récurrences, des logiques qui guident l’action de l’autre… et les siennes propres.

Rencontrer l’autre suppose de remettre en cause ses codes culturels, de se réapproprier, de porter un regard sur soi-même

L’accompagnement dans ce processus n’est pas évident. Ainsi, la formation des enseignants à l’interculturel, ne semble prendre que très peu en compte cette dimension de l’acte éducatif. C’est pourtant là un des rôles des associations d’éducation populaire, complémentaires de l’école, que d’effectuer ce travail d’accompagnement. D’autres questions se posent à un échelon local. Si l’interculturel évoque les expériences de rencontres entre des personnes de différentes nationalités, l’interculturel est-il un « concept » qui permettrait de rendre compte de réalités de terrains locaux, terrains où des habitudes de vie et des références culturelles cohabitent, voire s’affrontent?

Quelle est alors la place des associations d’éducation populaire ou d’autres structures émanant de l’inspection académique comme le CEFISEM (centres de formation et d’information pour la scolarisation des enfants de migrants d’Aix-en-Provence), qui ont entre autres pour but d’entrer dans les «quartiers»?

Les configurations urbanistiques d’un territoire sont en soi de forts indices pour lire le cloisonnement des populations et l’on constate que la rencontre ou la non rencontre de l’autre se fait également au travers du filtre de ce qui est «dit» de lui, notamment par l’espace dans lequel il vit, dans lequel «on» le fait vivre.

Des ponts sont donc à construire entre un interculturel local et un interculturel international, entre des expériences de rencontres de personnes vivant dans différents pays (sur un temps de vie hors quotidien et sur une durée courte) et des habitudes de vie, des références culturelles qui cohabitent et/ou vivent ensemble au quotidien
Quelques pistes de travail dans l’accompagnement à l’interculturel

Si le voyage hors frontière peut-être riche, comment faire du tourisme tout en conservant une certaine éthique et en découvrant soi-même, le pays, la région, le village ? Comment voyager autrement, en revendiquant un développement durable, le respect des gens qui vivent sur place ? Une des possibilités serait de se déplacer moins, de prendre le temps de rencontrer des habitants, de les laisser « valider » le parcours touristique.

Accepter la rencontre de l’autre, c’est accepter de se mettre en danger. Cette dimension est centrale, elle éclaire certains comportements de touristes, notamment français, qui campent sur des a priori stéréotypés qui les empêchent de rencontrer l’autre.

Faire du tourisme local, en concertation avec les habitants, c’est renouer avec une forme de pratique sociale qui donne toute sa place à l’habitant du quartier comme décideur « politique ». Cette prise de pouvoir des habitants du quartier est un pouvoir qui se meurt. Vivre et faire ensemble, découvrir et se découvrir, certes, mais aussi se reconnaître soi-même dans et par les limites que l’on pose. Dans le cadre du tourisme à l’étranger, l’autre nous confirme dans une identité stéréotypée, dans un cadre dans lequel on ne se reconnaît pas forcément.

Pour qu’il y ait rencontre, il faut qu’il y ait égalité entre les interlocuteurs, et donc que chacun accepte de rencontrer l’autre en tant que personne et non uniquement en tant que « représentant » d’une culture ou d’un peuple. Le besoin d’expression est indispensable pour permettre aux gens de s’impliquer au sein du quartier. C’est la même logique qui s’exerce dans toutes rencontres. Si l’histoire et les histoires doivent être prises en compte dans la rencontre de l’autre, elles ont aussi un impact sur l’attitude du voyageur.

La colonisation et la figure des colonisateurs continuent, concrètement ou dans les représentations, à agir comme une médiation forte et dommageable. Nous avons un devoir d’éducation des enfants pour transformer des pratiques trop souvent encore empreintes de cet héritage. Il s’agit entre autres de valoriser d’autres valeurs que l’avoir.

La rencontre de l’autre se fait toujours au travers d’un discours, d’un projet portés par une institution, un Etat, une communauté… Des termes comme intégration ou assimilation reflètent et impliquent des attitudes politiques différentes.Les relations entre le nord et le sud, marquées par l’histoire de la colonisation, ne sont pas simples. L’attitude proche du néocolonialisme de certains, s’oppose à la culpabilité d’autres acteurs associatifs « du nord », qui ont du mal à dire non aux associations du sud. De leur côté, celles-ci ont parfois tendance à s’adresser au « nord », comme gage du « meilleur » alors même que les ressources, savoirs et compétences sont présentes dans le pays, la ville, le village demandeur. Il s’agit donc aussi d’apprendre à dire non à un public quand celui-ci peut se débrouiller seul. Une fois de plus, on fait ensemble, sans être sauveur, à égalité, pour mieux se connaître et on a besoin de mieux se connaître pour faire ensemble. La formation à l’interculturel pose la question de la limite de l’acceptable et de l’inacceptable. Si rencontrer l’autre est une aventure qui se prépare, qui mobilise un certain nombre « d’états mentaux », de stéréotypes, si l’autre produit un effet miroir, qu’est-ce que je suis prêt(e) a accepter de lui, qu’est-ce que je veux poser comme limites ? Il s’agit bien là de visions politiques du monde qui peuvent s’opposer. Il s’agit de valeurs, d’idéaux de vivre ensemble.

Des conditions éducatives ou des partis pris éducatifs issus de la charte des actions européennes et internationales des Ceméa

L’accompagnement à la rencontre pourrait se fonder, sur des conditions et des partis pris éducatifs essentiels, à savoir :

  • La nécessité d’une préparation, pour l’équipe, pour le groupe, pour soi-même et pour le collectif, avec une attention portée aux différents états d’esprit lesquels sont une composante de cette préparation.
  • La prise en compte des transitions. La mobilité est un ensemble de passages, donc de transitions : d’un territoire à l’autre, d’une culture à l’autre, entre le départ et l’arrivée, entre l’ici et l’ailleurs.
  • L’apprivoisement du milieu. Le décodage de fonctionnements sociaux différents, qui véhiculent des valeurs, qui influencent les personnes dans leur relation à l’autre, dans l’intention d’y trouver sa place, se conjugue à un processus de déconstruction/reconstruction de représentations.
  • L’importance donnée aux représentations. Une représentation n’est pas seulement déformation dans la perception de ce qui advient, mais peut-être aussi à l’origine d’« irritations » productrices de curiosité pour des pratiques sociales, pédagogiques, politiques différentes et pour les lois qui les sous-tendent et par lesquelles elles se disent. Il s’agit donc bien d’apprendre à nuancer, à complexifier, à lutter contre les tendances naturelles à la généralisation, à ordonner pour comprendre et à prendre conscience de ses propres modèles de pensée.
  • La place de la langue. Langue et culture sont cofondatrices l’une de l’autre. On pense avec des mots et les langues sont des révélateurs des fonctionnements sociaux. La nécessité de prendre en compte la langue comme support privilégié de contact, de relation, de communication est une évidence. Dans ses fonctions multiples, elle est le canal par lequel se transmettent aussi bien l’émotion que le savoir, mais elle est aussi source de créativité : parler une autre langue c’est aussi penser autrement, découvrir d’autres mots et d’autres concepts qui enrichissent notre intelligence du réel. Néanmoins certains mots et concepts sont intraduisibles. Ils font sens quand ils s’intègrent à l’expérience de l’individu, une expérience fortement relationnelle.
  • L’accompagnement du retour. «S’en retourner», «rentrer», c’est se séparer de quelque chose et de quelqu’un (de quelques-uns), c’est quitter un territoire appréhendé, idéalisé, parfois rejeté. La fin de l’expérience n’est pas la fin du projet : la trace, le partage, l’analyse d’expériences et la mise en perspective en sont partie intégrante. Tout ceci mérite d’être verbalisé, actualisé, rendu en quelque sorte « conscient » pour entrer pleinement dans le parcours de vie.