Accompagner les parents dans l’alimentation de leur enfant en PMI

Le suivi des parents dans l’alimentation de leur jeune enfant, une aide précieuse selon une infirmière puéricultrice.
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Delphine Francineau est infirmière puéricultrice en service de Protection Maternelle et Infantile (PMI). Pour elle, accompagner les parents pour l’alimentation de leur jeune enfant comprend plusieurs dimensions, toutes importantes pour son développement.
Média secondaire

Quel est ton cadre de travail ?

Cemea
Je suis infirmière puéricultrice. J'ai exercé pendant cinq ans en tant qu'infirmière avant de faire ma spécialité puéricultrice.

Je suis  puéricultrice maintenant depuis bientôt vingt deux ans, j'ai exercé cinq ans à l'hôpital et depuis dix sept ans, je suis en protection maternelle et infantile au Conseil Départemental d'Indre-et-Loire.

J'ai travaillé pendant quinze ans sur le secteur de la Rabière (à Joué-lès-Tours)  c'est un quartier prioritaire de la ville (QPV), avec un public multiethnique. Les familles rencontrées n’ont parfois pas de difficulté particulière lors de l’arrivée de leur premier enfant. Mais d’autres dès la grossesse, où lors du séjour à la maternité ont présenté des difficultés, ce qui a initié un début d’accompagnement à plus ou moins long terme. 

La PMI peut intervenir depuis la grossesse jusqu’aux six ans de l’enfant au titre de la prévention et protection de l’enfance. Jusqu’à 18 ans dans le domaine de la protection de l’enfance. 

Nos missions de prévention peuvent être les bilans de santé scolaire réalisés dans les écoles à tous les enfants de 4 ans, des actions collectives avec des partenaires tels que l’éducation nationale autour de thématiques de rentrée scolaire ou ciblées selon les demandes de parents ou de professeurs co-animées avec la psychologue scolaire ; ou encore la participation à la construction et l’animation d’ateliers de la quinzaine de la parentalité financés par la CAF. 

Au quotidien, au sein de nos maisons de solidarité ou dans des espaces partenaire, on a des consultations de pédiatrie préventive mais aussi des ateliers “massage-bébé”, ou “jouons avec les petits” qui permettent aux jeunes parents d’être guidés dans les premiers mois ou années de vie de leur enfant.

On peut mener des actions comme des ateliers massage bébé, des cafés des parents, avec des thématiques ciblées, avec la psychologue scolaire, on va participer à la quinzaine de la parentalité … 

Les mettre au cœur de leur rôle de parents. C'est-à-dire que nous, on va donner des conseils, mais il faut qu'ils soient acteurs aussi des changements chez leurs enfants.

Qu’en est-il de l’alimentation ?

Cemea
La fonction d'infirmière puéricultrice de PMI, démarre dès la naissance de l'enfant. On va accompagner les parents dans l'alimentation au sein ou au biberon, en termes de rythme, de quantité de positions pour donner le sein ou le biberon …
Autour du repas, c'est un moment d'échange, dès les premiers instants de vie, puisque la relation mère-enfant s'installe par les regards, le toucher, l’odorat. 

La relation et les plaisirs autour de l’oralité se mettent en place petit à petit au fil des mois pour l'enfant.

Rapidement, vers 4 mois, l'enfant va arriver au moment de la diversification. C’est la découverte de la cuillère, de la déglutition. Souvent, les parents nous disent «  mais ça il aime pas » car avec la cuillère, la position de langue n'est pas la même que sur sur une tétine ou sur un sein et il faut apprendre. En effet,  le nourrisson doit apprendre à emmener le bol alimentaire vers le fond de bouche avant de déglutir. Le réflexe, pour un enfant qui n’a appris qu’à téter depuis sa naissance c'est, de sortir la cuillère et les purées et compotes de sa bouche. Cet apprentissage de la cuillère va demander plusieurs semaines. De plus, un enfant a besoin qu’on lui présente plusieurs fois les aliments pour enfin les accepter. Il n’est pas rare de lui proposer cinq, six fois avant qu’il n’accepte certaines nouvelles saveurs de légumes ou compotes.

Vers l'âge de seize mois, une vigilance est à avoir lors de l’introduction des morceaux. Parfois, c'est compliqué, parce qu’ un morceau, il faut le mastiquer. J’ai pu rencontrer des parents qui par facilité ou manque de temps, ils donnaient le biberon. Ils disent « il a pas faim, » et puis « il veut un biberon alors je lui donne  ». Sauf que parfois, cela n'est pas sans conséquences. On peut rencontrer des enfants qui ont des troubles de la mastication, qui ne savent pas déglutir un bout de viande à trois ans.  Ils le  gardent pendant des heures dans la bouche parce qu'ils ne savent pas comment faire.

La tétine est aussi une barrière à l'alimentation car elle nuit à la découverte sensori-motrice par l'oralité. De plus, elle induit de mauvaises positions de langues et nuit au développement du langage. Les orthophonistes spécialisés dans les troubles de l’oralité sont de plus en plus sollicités depuis quelques années.

Il y a toute une éducation qui se fait par les parents et vous, vos missions, c'est d'aider les parents à faire cette éducation là, de les accompagner, de les accompagner, de les guider ? 

Oui, les mettre  au cœur de leur rôle de parents. C'est-à-dire que nous, on va donner des conseils, mais il faut qu'ils soient acteurs aussi des changements chez leurs enfants. Pour cela, on va leur proposer des visites à domicile régulières, des rendez-vous de consultation pédiatrie préventive, des ateliers parents-enfants… Leur accompagnement va se faire sur le long terme.

si l’ enfant est devant un écran, il ne partage rien, et tous ces premiers moments d'échange qu'il y a pu avoir depuis sa naissance s’amenuisent.

Et en termes d’équilibre alimentaire ?

Cemea
Le repas c’est répondre au besoin primaire d'alimentation mais parfois il y a des dysfonctionnements. Les apports alimentaires peuvent être déséquilibrés. On voit parfois un enfant de deux ans qui va avoir un steak haché en entier, ce qui est, en termes d'apports, beaucoup trop. Il en faudrait un demi. Les parents pensent bien faire mais sont un peu perdus dans les quantités. Certains pensent que leur enfant est capable de manger une assiette complète comme un adulte.
Donc là aussi il faut guider. Il faut prévenir les risques d’obésité dès le plus jeune âge. D’autant plus que les parents aiment faire plaisir à leurs enfants et bien souvent cela passe par l'alimentation avec des produits ou boissons trop sucrés ou salés. 

Tu parlais de l’aspect pluriethnique ..

Cemea
Oui, certaines familles, d’origine étrangère, n’ont pas l’habitude dans leur pays de partager un repas à table sur une chaise.  En France, dans leur logement, j’ai pu voir un enfant manger à la main son bol de riz dans le canapé qui ensuite va manger debout son dessert… Il faut aussi respecter leur richesse culturelle. Il faut les amener à concilier les deux un minimum. Petit à petit, on leur conseille d’apprendre à manier une cuillère, une fourchette.

C'est pour favoriser leur adaptation à l'école plus tard, mais aussi pour permettre une bonne intégration en groupe à la cantine et de partager les repas avec leurs pairs dans de bonnes conditions.

On incite souvent ces familles à inscrire leur enfant une à deux fois par semaine à la cantine pour pouvoir découvrir de nouvelles saveurs, de nouveaux aliments qu'il n'aurait pas chez eux. Et puis peut-être aussi compenser des apports, parce que souvent ce sont des familles qui sont défavorisées et il faut aussi penser à cet aspect non négligeable.

Tu évoquais les moments d’échanges, et les écrans …

Cemea
Malheureusement, ce sont souvent les foyers les plus défavorisés qui ont toujours la télévision allumée. Les écrans sont omniprésents dans ces foyers-là. Car il y a peu de moyens et donc peu de jeux adaptés aux enfants.

On est face à une population qui pense que l'enfant va apprendre à parler la langue française ou l’anglais avec la télévision ou encore le smartphone. Certains en sont tellement persuadés qu’ils nous disent “vous avez vu comme il se débrouille bien avec le smartphone, il est en avance”. J’ai pu voir des parents mettre leur enfant devant un dessin animé pour arriver à le faire manger. 

Or, si l’ enfant est devant un écran, il ne partage rien, et tous ces premiers moments d'échange qu'il y a pu avoir depuis sa naissance s’amenuisent. Il les perd et l'enfant s'enferme dans sa bulle. Il n’est plus franchement connecté avec la réalité du quotidien. C'est un enfant qui ne va pas se développer comme il faut au niveau du langage et de la relation à autrui.

Ce moment du repas est un moment d'échange très important pour lequel il est essentiel de prendre le temps de poser les écrans et de partager.

Interdisez le transat du bébé devant la télé ! Car ça aussi on le voit…

L'enfant, il a besoin de faire ses expériences sensori-motrices par la manipulation et le toucher des aliments, en fait partie. 

Ces étapes indispensables de découverte mise bout à bout au fur et à mesure du développement permettent à l’enfant plus tard de comprendre par exemple que quand on emboite deux cubes, il y a une logique qui se met en place. C'est ce que l'on dit aux parents : «  si votre enfant ne passe pas par tous ces aspects là d’expériences sensori-motrices il peut avoir des difficultés à développer sa capacité de logique pour les mathématiques à l'école ». 

On va loin quand on dit ça aux parents, mais ça leur fait écho, parce qu'ils ont envie que leurs enfants réussissent et c'est là où on a un levier auprès des parents.

Dès les premières étapes de diversification alimentaire, l’enfant manipule la nourriture. On a combien de photos d'enfants dans nos têtes, de nos propres enfants, de petit neveu ou, en effet, nous, on a laissé jouer, papouiller avec les épinards… Ils s'en mettent partout, mais ça passe par là et c'est normal. J'ai des images même où l'enfant rit quand il fait ça, mais oui, parce que nous aussi on rigole, mais on l’a vécu. C'est du plaisir. Voilà, l'alimentation, c'est aussi ça, c'est du plaisir gustatif et du plaisir partagé sur l'instant, sur le moment, par les interactions.

Les repas, c’est aussi des moments …

Cemea
Les rythmes de vie. Oui. La journée est rythmée par le sommeil et l'alimentation chez un enfant  et c’est la régularité de ces différentes phases sur une journée, qui permettent à l'enfant de grandir en sécurité. C’est dans cette régularité et cette sécurité que l'enfant s'épanouit.

Le repas fait partie de ces rythmes cadencés sur une journée quand bien même on est amené à se déplacer. Il y a quelque chose de sécurisant.

Le repas est donc un des rythmes de vie de l’enfant qui lui permet d’être épanoui et rassuré dans son quotidien.

C'est comme les limites données à l'enfant. Elles sont indispensables à l’enfant pour lui permettre de bien grandir mais cela est un autre sujet… pour une prochaine fois peut-être.