Continuum éducatif, un partenariat qui ne dit pas son nom

L’éducation est l’affaire de tous·tes et l’école est pour beaucoup le secteur prépondérant. Mais ce serait ignorer l’importance des deux autres membres d’un trio qui se compose aussi de la famille, qui reste la grande inconnue, et des acteur·rice·s de l’Education populaire.
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L’éducation est l’affaire de tous·tes et l’école est pour beaucoup le secteur prépondérant. Mais ce serait ignorer l’importance des deux autres membres d’un trio qui se compose aussi de la famille, qui reste la grande inconnue, et des acteur·rice·s de l’Education populaire

Des efforts pour un effet immédiat

Faire vivre le partenariat dans ce cas précis, c’est être certain que l’enfant pourra grandir au sein d’un environnement dans lequel chacune des parties jouera son rôle dans l’exercice du tout, remplira sa tâche sans empiéter sur celle des autres, dans un projet partagé même s’il se contente d’un filigrane.

Mais ce n’est pas dans les habitudes ; cela contraint à travailler autrement, hors de son couloir, à ne plus rester confiné dans son pré carré, à sortir de sa zone de confort, en s’intéressant à ce que font les autres tout en leur reconnaissant une légitimité égale à la sienne. C’est aussi sans doute renoncer à la primauté de notre influence dans l’éducation de l’enfant, perdre de son ego et accepter de penser son action autrement.

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Il y a encore beaucoup à accomplir pour que ce nécessaire partenariat fonctionne partout. Certes, sur certains territoires les choses sont enclenchées, engagées ; sur d’autres, les rouages sont bien huilés ; d’autres enfin connaissent un rythme de croisière. Mais dans la plupart des cas, ce partenariat reste une vue de l’esprit, un mirage, une illusion.

L’accent mis sur les politiques éducatives de territoire ne peut que favoriser la concrétisation de cette alliance nécessaire en lui permettant de passer de l’état de relation à celui d’un partenariat réel et entier.

Si d’une manière générale, les deux premières pièces du puzzle sont pour tous les enfants une constante aux nombreuses variations factorielles, la troisième pièce est plus difficile à définir et à cerner. En effet, certain·e·s vivent de multiples expériences hors du foyer et de leur établissement scolaire alors que d’autres en sont réduit·e·s, contre leur gré, à la portion congrue. Il·elle·s passent la majeure partie de leur temps, à l’école, à la maison ou dans le milieu familial. Pourtant, les espaces des possibles sont multiples : Maisons des jeunes et de la culture, structures de quartier, clubs sportifs, espaces culturels, accueils de loisirs et périscolaires, terrains d’aventure, les copains, les copines, la rue, le quartier, le village ; bref, tous les acteurs·trices de l’Éducation populaire. Les apprentissages sont le fruit d’un croisement de tout ce que l’enfant vit au sein de ces trois entités.

Multiplier les occasions d’actions communes telles que fête de l’école, fête du quartier ou du village, événements culturels… permet un maillage concret des partenaires de cette coéducation, condition sine qua non d’un projet qui verra l’enfant grandir en toute sécurité dans un cadre cohérent et partagé. Bien souvent, l’élément déclencheur puis moteur de cette action commune se trouve du côté de l’animation, et les acteurs·rices de celle-ci se heurtent à des réticences qui, aussi légitimes fussent-elles, freinent ou empêchent le projet de démarrer ou d’avancer. Aller au-devant des enseignant·e·s pour leur présenter ce qui se fait dans les structures, inviter les parents à participer le plus souvent possible et d’une manière ou d’une autre aux actions développées, sont des leviers majeurs pour initier ce partenariat. Pour faire en sorte qu’il perdure, il est pertinent de mettre en place un système de communication qui maintienne la qualité des relations. De même, il semble judicieux de multiplier les occasions de rencontres et de réflexion communes afin de peaufiner le déroulé du projet collectif, car c’en est bien un !

La règle de trois aura bien lieu

Le partenariat n’est ni conventionné, ni conventionnel. Il est ici, de fait, en filigrane de tous les temps de l’enfant. Il est consubstantiel à son éducation. Il n’est réel que lorsque toutes les parties en présence jouent le jeu et s’investissent de concert. Le partenariat existe, qu’elles le veuillent ou non ; il faut simplement qu’il soit effectif, vraiment.

Le partenariat n’existe in fine que lorsque chaque branche du triptyque désire qu’il fonctionne et fait l’effort de considérer les deux autres comme dignes d’intérêt en acceptant que leur part dans l’éducation revête autant d’importance que la sienne. Il n’existe que lorsque chaque partie ne tire plus la couverture à soi et qu’elle prend le temps d’agir avec et non de se comporter en antagoniste primaire. Le fait d’être un partenaire embarqué de fait dans une aventure qui n’est pas désirée complique singulièrement les choses.

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Si une des branches du triangle déjoue ou ne tient pas à collaborer et plus encore à coopérer – il faudra ici une répartition claire du travail – le partenariat boîte et n’a plus de sens. La réflexion est commune et les espaces particuliers aussi bien au niveau du moment de la journée, de la semaine qu’au niveau des lieux investis.

La particularité de ce partenariat est bien que chacune des parties n’œuvre jamais en même temps mais à la suite, avant et après une autre. Ce qui souvent donne la part belle aux représentations et aux idées que l’on se fait du travail de l’autre. Car, à de rares exceptions près, il n’est jamais de temps communs, sinon en l’absence des enfants lors des réunions de parents, conseils d’école et divers temps de préparation.

La confiance se doit donc d’être au rendez-vous, pleine et entière et de chaque côté. Seuls les temps d’accueil peuvent éventuellement échapper à cette juxtaposition, élément imposé du quotidien des enfants. Le soin apporté à la notion d’accueil permet ou non aux parents de se sentir légitimes. En animation, aménager un coin dédié à l’accueil les confortent quant à leur importance aux yeux de l’équipe et souvent la discussion s’engage à propos des enfants, de leurs difficultés, de leurs réussites. Ce n’est pas du temps perdu mais bien à l’inverse du temps gagné ! Accueillir, c’est participer de l’animation et contribuer à la coéducation.

Les activités périscolaires que ce soient l’accueil du matin, la pause méridienne ou le temps du soir après l’école, sont propices à ce que du commun s’institue. Permettre aux enseignant·e·s de venir voir comment se passe l’accueil, ou plus, d’y participer, instituer avec les familles un temps quotidien permettant de s’asseoir, boire un café et bavarder avec les animateurs·trices, au gré de leur disponibilité, participe de l’acculturation réciproque mais il est préférable d’éviter les injonctions. « Il est possible de » ne signifie pas que c’est obligatoire. Vouloir que les parents s’investissent s’apparente à un ordre déguisé, alors que mettre en place une organisation dans laquelle les parents qui le désirent pourront participer peut inciter ceux qui n’en avaient pas l’idée à montrer le bout de leur nez et à passer le pas. Il semble peut-être utile également de se doter d’un outil de liaison pas trop lourd à gérer et dont l’enfant serait messager·ère, porteur·euse, pleinement acteur·trice de son contenu. La matérialisation de cet outil est à réfléchir en fonction de la situation locale. Mais il y a indéniablement quelque chose à creuser dans cette direction.

Le partenariat, une logique de casse-tête

Si on veut que les enfants ne soient pas ballotté·e·s d’un fonctionnement à un autre, dérouté·e·s, déboussolé·e·s, perdu·e·s au cœur de valeurs parfois antagonistes, il est nécessaire que les trois parties de ce puzzle éducatif soient en accord sur un projet commun. Nécessaire également de s’interroger avant de se mettre d’accord quant à la place de l’enfant au sein de ce trio.

Pourquoi ne pas partir du projet d’école ? Beaucoup de personnes travaillant dans l’animation, et plus particulièrement dans les accueils périscolaires ignorent que le groupe scolaire auquel elles sont rattachées a réfléchi et écrit un projet d’école. Et même, souvent, ce qu’est un projet d’école. Si c’est à l’équipe enseignante d’être à l’initiative de ce côté-là, l’équipe d’animation peut aussi la solliciter pour avoir connaissance de la teneur du projet et de son contenu. Les activités proposées ne peuvent qu’y gagner du sens. Ce peut être un pilier de la coéducation. Il semble qu’un temps de partage commun de ce que stipule le projet d’école soit un passage obligé pour sceller une collaboration effective. Une présentation publique peut être un excellent moyen de le porter à la connaissance de tous·tes les acteur·actrice·s d’un même secteur. Les PEL ou Projets Éducatifs Locaux, puis les PEDT ou Projets Éducatifs de Territoire, s’appuyaient souvent sur les projets d’école. Il semble que cette dynamique soit en phase d’oubli aujourd’hui. Et pourtant, partir de l’existant permet d’établir la colonne vertébrale de la collaboration et de donner une direction au projet. Encore faut-il que les protagonistes en reconnaissent les prérogatives !

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C’est bien là que réside le secret de la coéducation, l’acceptation du fait de travailler ensemble, de faire taire les idées reçues, les a priori, les fantasmes et les raccourcis : l’école est omnisciente, la famille incompétente et « les ailleurs » des amuseurs. Il faut accepter que les deux autres composantes aient aussi des compétences, voire des compétences spécifiques dans des domaines passibles d’échapper aux deux autres parties. Et pour cela vivre des temps communs qu’à tour de rôle chacune des parties prendra en charge – c’est sans doute plus difficile pour les familles – peut favoriser la découverte et l’acceptation des savoirs et savoir-faire des autres.

La difficulté vient du fait que chacune des parties intervient dans un champ particulier et la tentation est grande de cloisonner le tout.

Si chacune a un statut particulier, il n’en reste pas moins que celui de la famille n’est pas considéré comme professionnel même si le métier de parent est le plus répandu mais trop souvent peu reconnu comme tel, alors qu’il demande un investissement de tous les instants. Celui des personnes qui interviennent dans les temps hors de l’école et de la famille est souvent flou, mal perçu et pâtit de représentations souvent peu amènes. Enfin celui des enseignant·e·s, bien que mal connu, est le plus reconnu dans un inconscient collectif pour qui l’école reste le seul endroit d’éducation et plus encore d’apprentissage. Ce qui d’emblée distribue les cartes et fausse peut-être la réalité et le sens du partenariat. Il y a besoin, dès le départ, d’explicitations.

Les relations entre les trois domaines d’intervention même si bien sûr l’enfant occupe une place centrale au cœur de ceux-ci, doivent être étroites et déboucher sur un consensus dont chacun·e s’emparera pour le décliner dans la réalité de son temps avec l’enfant. Un partenariat satisfaisant permettra de ne pas saucissonner le temps de l’enfant et l’enfant lui-même, de le considérer comme une personne entière, non comme la chasse gardée d’une seule entité.

Les acteurs et actrices de l’animation peuvent être les promoteur·trice·s et les éléments moteurs d’une réflexion collective invitant familles et enseignant·e·s à se mettre autour d’une table pour harmoniser leur implication dans l’éducation des enfants et veiller à ce que les actions d’un des trois partenaires ne viennent pas contrecarrer celles des deux autres. Il semble en effet que ce soient eux·elles les mieux placé·e·s pour dynamiser le trio en initiant et conduisant la dynamique partenariale. Plus la coopération progresse, plus une évaluation et des ajustements seront les bienvenu·e·s. 

Anaphore des conditions de la coéducation

Être partenaire signifie que chaque élément de l’ensemble du triumvirat sera écouté, pris en compte, consulté, tenu au courant de tout ce qui risque d’influer sur ce qui se passe pendant le temps où il interviendra avec les enfants. Il s’agira de trouver un fonctionnement ni trop lourd, ni trop lâche, cadré juste ce qu’il faut pour faciliter les relations et les échanges entre chaque partie. Les possibles créés par le développement d’internet permettront de gagner du temps et de pas multiplier les réunions chronophages. 


Être partenaire, c’est d’abord penser à l’enfant.


Être partenaire, sous-entend que chacune des parties respecte les deux autres dans les orientations et décisions prises en commun. 


Être partenaire, permet une véritable cohérence dans le projet.


Être partenaire, c’est accepter de prendre du temps pour harmoniser les visions de l’éducation et de jouer sa partition sans fausse note.


Être partenaire, c’est reconnaître l’autre dans ses compétences à mettre en œuvre lors des temps où il agit. Chacune des parties a des compétences dans son domaine, il s’agit avant tout d’en faire profiter les autres. L’animation d’une activité, d’un coin permanent, d’un accueil soigné, c’est l’affaire des équipes d’animation. La question de l’enseignement et des apprentissages comme premier objectif c’est celle des enseignant·e·s, et celle des gestes du quotidien, nourrie d’une culture spécifique, celle des familles.


Être partenaire, c’est travailler ensemble à construire un cadre général dans lequel chacun pourra édifier son cadre.


Être partenaire, c’est aussi ne pas renoncer à ses idéaux mais à les rendre compatibles dans le sens où ils ne viennent pas en opposition avec l’idéal des autres, où ils s’emboîtent parfaitement comme dans un puzzle.


Être partenaire, c’est savoir que l’on peut compter sur les autres et s’assurer que ceux·celles·ci pourront compter sur nous.


Être partenaire, c’est accepter de faire des compromis sans jamais succomber à des compromissions. Du côté des animateur·trice s, réduire le temps d’animation dans les temps d’accompagnement à la scolarité, pourquoi pas, à la condition que l’animation ne disparaisse pas totalement et soit considérée comme participant pleinement à l’éducation. Ou bien, du côté de l’école, d’accord pour l’aide aux devoirs mais ce n’est en aucun cas du soutien scolaire qui reste l’apanage du corps enseignant. Et enfin du côté des parents : pas de problème pour parler d’un sujet de société à l’école, en périscolaire ou au conservatoire, mais hors de question d’en parler en ne donnant qu’un seul son de cloche.


Être partenaire, c’est dire quand ça dérape et quand ça va bien. Il est toujours plus sain de se dire les choses franco et sur le moment, même si c’est difficile, plutôt que d’accumuler des rancunes qui finiront par exploser et perturber l’avancée d’un projet. Travailler en bonne intelligence, c’est aussi ne pas avoir peur de dire ce qui marche et que l’on prend plaisir à avancer ensemble.


Être partenaire, c’est mettre des savoirs en commun, des savoir-faire. Et en travaillant de cette manière, chaque partie peut se familiariser avec les compétences des deux autres et vivre une forme d’acculturation qui ne peut qu’accroître la connaissance des domaines des autres. Je suis animatrice dans un périscolaire le matin et je propose d’aller vivre un temps d’animation au sein d’une classe, je découvre à cette occasion ce qui se fait dans la classe et l’enseignant·e ma manière d’animer une activité – ce temps-là ayant été préparé conjointement.


Être partenaire, c’est cesser de faire cavalier seul·e. Partager son calendrier, son planning permet à chacun·e de tenir compte de l’autre et de l’interroger lorsque le besoin s’en fait sentir.


Être partenaire, c’est se tenir les coudes au lieu de se tirer dans les pattes. Ne jamais perdre de vue l’objectif affiché et poursuivi de la coéducation : offrir aux enfants un cadre commun propice à leur développement, à leurs apprentissages, à leur éducation. Les querelles d’ego ne doivent pas y avoir leur place.


Être partenaire, c’est ne jamais se la jouer perso. Il n’y a rien à gagner sinon la satisfaction partagée d’être parvenu à permettre aux enfants de grandir au sein d’un microsystème territorial qui les reconnaît dans leurs besoins et leurs permet en toute sécurité d’acquérir dans les divers espaces dans lesquels il·elle·s évoluent tous les éléments qui leur permettront de s’épanouir. Ce devrait être l’idée force de ce qui ne devrait pas constituer une utopie mais bien une réalité.