La jeunesse, les jeunesses, une équation qui prend la tête et du temps

La jeunesse, les jeunes. Le sujet a été, est et sera toujours d’actualité. Les Ceméa y réfléchissent comme les autres mouvements et forts de cette réflexion ont des choses à dire. Non des vérités mais bien des certitudes qu’ils puisent dans les fondements de l’Éducation nouvelle.
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Média secondaire

Image par Free-Photos de Pixabay

Avec le concours des participant·e·s aux journées d’étude sur la jeunesse organisées par les Ceméa au mois de mars 2021.

« Socrates accusatus est quod juventutem corrumperet » (Socrate fut accusé de corrompre la jeunesse) cette sentence de Quintilien dit bien qu’on n’a jamais bien su comment faire avec la jeunesse qui s’éparpille dans un pluriel déroutant et conserve son statut de casse-tête, d’énigme insoluble.

Et peut-être est-il vain de vouloir le résoudre, l’adolescence n’est pas une maladie et la jeunesse pas un ennui de santé.  Accepter que le fight (les mots sont un combat) soit une composante incontournable de l’exercice semble aussi une donnée de départ, il faut s’y préparer. Et pour éviter l’affrontement il n’est pas question d’esquiver la confrontation.

Le texte qui suit reprend les idées émises par une quarantaine de militant.e·s lors des journées d’étude sur la jeunesse de mars dernier.


 

Cemea

Il y a des jeunes qui vont bien, même aujourd’hui, gardons-nous des généralisations.

Il suffit de ne pas se garder de rencontrer un âge que tous et toutes les adultes ont connu et de tenter d’en comprendre la complexité pour être en mesure d’en appréhender la richesse. Les jeunes ne sont porteur·euse·s d’aucuns stigmates.

Il apparaît que nous avons une représentation des jeunesses et de chacune d’elles et d’autre part les questions que nous nous posons sont universelles et empreintes de modestie, comme si le flou dominait. Cela semble bizarre, les militant·e·s étant plutôt connectées à la réalité du terrain.

Il est certain que ce qui a changé c’est l’environnement de la jeunesse, c’est le monde duquel on est partie prenante, la société  qui nous tient. Parce que les jeunesses, elles, ont les mêmes caractéristiques que hier, avant-hier ou il y a longtemps.

Entre les incertitudes et la vitesse excessive de l’évolution du monde, il y a danger à être vite dépassés. « C’est comment qu’on freine » disait Alain Bashung. 

Cela nous demande d’évaluer chaque jour notre regard sur leur capacité à prendre leur place et à faire société

Quelques affirmations qui éclairent le positionnement des Ceméa

Propos liminaire

Il plus simple de s’ériger en redresseur de torts pour protester du sort réservé à la jeunesse, aux jeunesses que de se retrouver au quotidien en proie aux avaries existentielles des jeunes, de chaque jeune. Il plus facile également de les maudire (les jeunes) parce qu’il·elle·s ne sont pas comme on voudrait qu’il·elle·s soient. La présence sur le terrain est une nécessité et ne supporte pas d’alternatives. Alors agir les intentions, les mettre en œuvre au quotidien est une condition sine qua non de la connaissance de l’actualité des jeunesses d’aujourd’hui et prépare celle de celles de demain.

Jeunes et jeunesses ne pas confondre !

Ce sont deux réalités différentes et singulières. Deux identités dont chacune est contenue dans l’autre. Les jeunes, les termes qui désignent celui qui les réunit, la jeunesse et son pluriel, est vague et abstrait. La jeunesse mérite le pluriel tellement elle regroupe de réalités diverses sous son aile.

Et l’adolescence n’est qu’une partie de l’âge des jeunesses. Est-ce leur apogée ou  peut-être une étape obligée, une période que tout le monde reçoit comme un cadeau empoisonné ?

Ce qui est certain c’est qu’on parle aux jeunes et qu’on parle des jeunesses. Il ne faut pas se tromper d’article. Laissons les sociologues et autres professionnel·le·s pratiquer leur métier. Et concentrons-nous sur les nôtres : paroles et actions, projets et relations.

Nous pouvons nous appuyer sur de nombreux et nombreuses militant·e·s qui bossent avec des jeunes au quotidien, qui vivent à leur côté, qui participent de leurs perspectives. Appuyons-nous sur le pragmatisme de ces projets plutôt que sur l’empirisme de nos souvenirs d’un âge qu’on voudrait connaître (sinon toujours avoir) mais qu’on connaît mal dans sa version contemporaine, sinon à travers une kyrielle de représentations fondées sur une évaluation très subjective et posée en fonction de critères flous ou très orientés.

Accompagner la valorisation, une sinécure ?

Il faut reconnaître que nous avons du mal à percevoir le process pour accompagner la valorisation des jeunes. Elle est multiple et selon les territoires, selon les milieux (en emploi, neet, à l’université, au lycée, au collège), les outils de valorisation et l’audience ne seront pas similaires. Comment travailler à améliorer notre propre capacité à valoriser ce qu’il·elle·s font et partant de les valoriser ?

Il y a diverses manières d’accompagner la valorisation ; s’intéresser à une initiative, la mettre en avant, se faire le relais de la promotion d’un projet…

Nous avons sans nul doute, de la place où chacun·e de nous officie, l’occasion de participer aux processus de valorisation.

Les jeunes, eux·elles-mêmes ne croient pas en eux·elles. Cet adage est-il véridique ? N’est-ce pas plutôt une projection de notre incapacité à recevoir leurs états d’âme, à comprendre les langages des jeunesses, qui ont certes une langue commune mais également de multiples codes vernaculaires ?

La jeunesse n’est pas que notre avenir même si elle l’est, nous avons un présent commun, et il est nécessaire de vivre cette contemporanéité en personne, rejetant toute velléités d’âgisme. 

Un peu, beaucoup, pas du tout de place ?

Quelle place on (ce on, il est nécessaire de l’identifier ici : mouvement ? Organisme de formation ? Association ?, ce n’est aucunement neutre et ce n’est pas la même place) leur laisse, quelle place on leur permet d’avoir, de prendre ? Et quelle place on prend nous ? Et quelle place on leur prend ? Il n’y a pas de jeunes sans moins jeune, et nous moins jeunes, quelle place laissons-nous aux plus jeunes ? La place laissée à l’interne et celle laissée aux usagers et usagères de nos actions de formation, est-elle la même ?

Toutes ces questions doivent trouver une réponse et cela passe par un travail d’écoute active, qui demande une veille constante et sans intrusion.

Ils parlent beaucoup ou ne parlent pas, et on ne les entend pas mais on continue paradoxalement de leur demander de s’exprimer. Il est essentiel de s’interroger sur notre capacité d’adulte à recevoir leur parole d’où qu’elle vienne. Et il faut faire quelque chose de cette parole. Sinon on est dans la pure démagogie de vitrine ou de circonstance.

La formation, un outil de transformation de la personne

Les stages BAFA et une autre façon de concevoir les apprentissages sont de beaux instruments et nous les avons dans notre manche. L’animation volontaire participe indéniablement du grandir de chaque participant·e, qui y a la possibilité de s’émanciper, de conquérir une légitimité de pensée, de parole. Nos méthodes, qui laissent une large place à cette conquête, favorisent la prise de conscience et de confiance en des capacités insoupçonnées ou peu souvent mises en avant. Développer encore l’aspect du volontariat dans l’animation paraît être un levier pour rester au contact des jeunesses, dans une relation qui n’est pas artificielle, pas forcée et qui a du sens, avec l’adulte à la bonne distance. Ces situations participent de la réalité d’une certaine jeunesse, il n’en reste pas moins vrai que d’autres jeunesses ne viennent pas en Bafa. Aussi il est pertinent que nous puissions ouvrir ces formations au plus grand nombre et élargir encore le spectre des publics accueillis, mais sans faire de forcing, sans entrisme intrusif. Continuer à se demander si le bafa que nous proposons est en phase avec les jeunesses d’aujourd’hui semble être une interrogation capitale.  Reconsidérer sa pertinence en lien avec ce que sont les jeunesses aujourd’hui est une réflexion que nous avons lancée :

  • Quid du rapport entre notre vision des vacances collectives et celle des jeunes ?
  • Notre pédagogie est-elle adaptée au public jeune ?
  • Quelle place pour les réseaux sociaux dans les stages ?
  • Comment concilier les habitus et l’ouverture vers le libre ?

« ...en contact étroit avec la réalité » dit un de nos principes, cela nous oblige à nous inscrire dans ce que sont les jeunes dans cette société, dans ce qu’est leur réalité commune et individuelle

Du bénévolat au volontariat des jeunes, il y a des projets à initier, des cartes à rebattre. Nous avons à éclaircir ces deux notions, pour les apprécier à leur juste niveau. Le volontariat en particulier reste obscur et parle peu en dehors de nos sphères. Le bénévolat ayant lui un aspect péjoratif à nos yeux, qui s’affranchit du désir de militance. Néanmoins il semble important de faire une place à ces deux formes d’engagement.

Une acculturation européenne à initier


Au cours de leur scolarité, dans le quotidien de leurs relations, dans leurs loisirs et pendant le temps passé à se résalsocialiser (et il faut répéter que les réseaux sociaux ne sont pas que dangereux.), les jeunes, tous et toutes les jeunes découvrent de nouvelles choses, et souvent ne les retiennent pas. Les connaissances ne sont pas utilisées, pas partagées mais lorsqu’il y a pédagogie, intervention des adultes dans telles ou telles circonstances, elles reviennent sur le devant de la scène. Jamais rien n’est perdu dans la mécanique des apprentissages, pour peu que le besoin s’en fasse sentir. 

Les jeunes ont plus ou moins tendance à être dans l’immédiateté. La jeunesse se construit mondialement, au local il semble qu’il y ait quelques frémissements mais la dimension nationale est passée sous silence. On passe de chez soi à l’autre bout du monde en un clic mais on ne sait pas où se trouve Brest et Toulon, et quelle est l’instance politique qui gère une ville. Beaucoup de jeunes ne connaissent rien de l’Europe, le monde est à leur portée et il·elle·s ne connaissent rien du vieux continent. L’éducation non formelle peut être un biais salutaire. Il y a tout un chantier à travailler. La mobilité semble être un vecteur important de la découverte d’une altérité loin mais proche, à proximité mais si lointaine. Débloquer l’immobilité qu’impose l’immersion permanente dans l’univers numérique implique le fait de mobiliser des compétences interculturelles et de les développer. Endosser l’habit de la citoyenneté européenne permet un dépaysement salvateur et ouvre des perspectives.

La culture leur appartient aussi

On n’en finit pas d’être englués dans des habitudes, des représentations, des clichés, des réflexes souvent empreints d’un immobilisme qu’on refuse mais qui nous cloue à préserver trop souvent notre pré carré, en ayant des difficultés à nous ouvrir à d’autres conceptions de la culture, à sa contemporanéité.
Attention à ne pas nous emparer d’un sujet qui n’intéresse que nous !

Laissons-nous surprendre en empruntant des chemins que jusque-là nous jugions peu dignes d’intérêt. Les jeunes agissent sur le terrain de la culture, ils et elles organisent des festivals, publient des magazines, de la musique. Acculturons-nous.

On ne peut ignorer les cultures des jeunesses, on ne peut en parler et les prendre en compte que si on les connaît. Mais gare à l’artificiel et à toute démagogie. Il y a là des habitudes à chambouler. Plutôt que de rejeter d’emblée leur choix de musique, leur passion, leurs déviances, choisissons le chemin de l’éducation populaire et partons de ce qui les fait vibrer pour ouvrir des brèches dans ce qui leur est inconnu en acceptant que ces brèches s’ouvrent également dans ce qui nous est inconnu. Gardons-nous des jugements, évitons de faire le tri. Toutes les approches sont respectables. Méfions-nous de nos représentations d’adultes engagé·e·s dans l’éducation. 

On ne peut ignorer que la fracture numérique existe sous peine d’être discriminant.

Il y a de nouveaux lieux à inventer, en tant que tiers c’est de notre devoir.

Il faut permettre aux jeunes de s’investir au cœur de notre action, en leur permettant d’agir en leur nom propre. Multiplions  les occasions d’expériences artistiques communes, d’échanger des mets culturels.

Pour que leur engouement dure après le passage du seuil dans les espaces particuliers que sont les festivals il faut continuer à s’y rendre régulièrement. Quand on y a pris goût, on y revient, il faut faciliter l’accès à ces lieux qui sont aussi des lieux de rassemblement. Continuons à développer les occasions qui contribueront à éviter le risque toujours présent de l’entre-soi.

Arthur Rimbaud (souvenons-nous qu’il n’avait pas vingt ans quand il a écrit ses poèmes) disait :

“ On n’est pas sérieux quand on a 17 ans, 
un beau soir, foin des bocks et de la limonade
des cafés tapageurs aux lustres éclatants
on va sous les tilleuls verts de la promenade... ”

Et des Rimbaud du vingt et unième siècle il y en a à foison. Parfois avec le côté bohême, parfois avec le côté canaille.

Prenons les jeunes pour ce qu’ils et elles sont, sans angélisme (ils et elles ce ne sont pas tous et toutes des poètes), sans mauvaise foi non plus (tout n’est pas rose mais tout n’est pas noir non plus).


 

Question à François Chobeaux

Paroles de jeunes européens

Joëlle Bordet, psychosociologue, chercheuse au CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) est militante de longue date des Ceméa. Travaillant depuis des années sur la question des Jeunesses, elle avait interpellé les CEMÉA à l'occasion du congrès de Grenoble en 2015 sur leur manière d'accueillir les jeunes, notamment leur présence/absence au sein des quartiers. 

Selon son point de vue, Il y a urgence à agir, en tant que société civile, pour co-construire avec les jeunes et les pouvoirs publics une réelle politique de la jeunesse.