LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

L’école dehors, une occasion de revisiter l’éducation

Entretien avec Dominique Cottereau, docteure en sciences de l'éducation et engagée dans les réseaux associatifs d’éducation à l’environnement.
Média secondaire

VEN : Quel regard portez-vous sur l’émergence du mouvement de l’école dehors ?

Dominique Cottereau : Positif, évidemment. Enfin, l’école sort de ses murs ! Jusque-là, l’éducation dehors se réduisait au fil du temps, à l’image des classes de découverte toujours plus courtes et moins nombreuses. Désormais, il faut que la classe dehors s’étoffe, qu’on ne se contente pas de faire en extérieur ce qu’on fait à l’intérieur. Il faut que ce soit une autre forme d’éducation, pas seulement un changement de lieu, mais qu’on se serve vraiment de l’espace alentour, que l’on s’interroge sur quel dehors est éducatif. Il faut de la diversité, que les expériences puissent être riches, que les élèves rencontrent des végétaux, des animaux, des éléments, des minéraux. Elle doit pouvoir servir au minimum l’interdisciplinarité, si possible la transdisciplinarité. Plus largement qu’elle soit une occasion de revisiter l’éducation et pas seulement être un support à didactique. L’éducation se joue beaucoup sur la subjectivation et la socialisation, mais pour répondre aux besoins environnementaux et climatiques, elle doit désormais y adjoindre l’écologisation. C’est à- dire apprendre aux enfants à se sentir reliés au monde, ce que seules des expériences dehors peuvent favoriser. 

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De plus, cela doit s’accompagner de recherches pour savoir ce que cela provoque et rend possible. C’est-à-dire apprendre aux enfants à se sentir reliés au monde, ce que seules des expériences dehors peuvent favoriser. De plus, cela doit s’accompagner de recherches pour savoir ce que cela provoque et rend possible. 

VEN : Que nous dit la classe dehors de l’évolution de l’éducation à l’environnement ? 

D. C. : Au tout début, dans les années 1970, on était plutôt sur des approches naturalistes ; l’étude de milieu restait une des pédagogies les plus utilisées. Dans les années 1990, le développement durable est arrivé, un concept toujours plus complexe. Du coup, on s’est enfermé dans les salles de classe. Selon moi, cela a nui un peu à l’éducation dans l’environnement. Depuis une dizaine d’années, il y a une nouvelle inflexion, accélérée par le confinement dû au Covid. On a alors constaté que la nature reprenait ses droits, qu’elle était belle à regarder quand les humains étaient à l’intérieur et que surtout sa fréquentation nous avait manqué terriblement. D’où le besoin de se reconnecter à la nature.  

« À la fin du séjour, les enfants me parlaient de la maîtresse en pyjama, de la boum, des moules-frites… Ils me parlaient de tout sauf de la mer. Cela m’a interpellée. »

VEN : L’éducation dehors ne date pas d’aujourd’hui. Qu’est-ce qui a changé ? 

D. C. : Le plein air, les colonies de vacances, le scoutisme, qui avaient le vent en poupe dans les soixante premières années du XXe siècle montraient déjà tout leur potentiel en matière d’éducation. On ne parlait pas encore d’éducation à l’environnement car le grand public n’avait pas encore cette conscience des excès de pollution, de perte de biodiversité. Le plein air c’était d’abord une éducation pour la santé, le bien-être, le développement psycho-moteur, la facilitation des apprentissages. Ce n’est qu’à partir des années 70 qu’on s’est rendu compte qu’il permettait aussi de développer une conscience écologique et une sensibilité au monde non-humain et aux milieux naturels. 

VEN : Quel a été votre parcours ? 

D. C. : D’abord, je voulais faire un métier dehors. Enfant, je grimpais dans les arbres, jouais à la rivière, courais sur les plages. Je suis devenue prof d’EPS mais le métier ne m’a pas entièrement satisfaite. Je rêvais de faire classe autrement. L’école alternative – Freinet, Montessori – portait mes rêves éducatifs. Éduquer autrement avant d’éduquer à l’environnement… tout en voulant être dehors quand même. Un jour, on m’a proposé une classe de mer pour un remplacement. J’y suis restée et j’ai découvert le métier que je voulais faire : animatrice de classes de mer. Mais une nouvelle insatisfaction a pointé. Certes, les enfants étaient dehors tout le temps, mais je ne faisais qu’une éducation à la mer “rationalisante”, scientifique, objective quoi ! À la fin du séjour, les enfants me parlaient de la maîtresse en pyjama, de la boum, des moules-frites… Ils me parlaient de tout sauf de la mer. Cela m’a interpellée. 

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Aussi, j’ai repris des études en sciences de l’éducation pour penser ma pratique. C’est là que j’ai rencontré Gaston Pineau, son concept d’écoformation* et que j’ai découvert Gaston Bachelard avec sa poétique de l’imaginaire. Je me suis dit que c’est ce qui manquait à ma pédagogie. J’ai fait un peu moins de science, un peu plus de poésie et d’art, et j’ai laissé du temps à l’activité spontanée en plus de la voile encadrée. C’est à ce moment-là que j’ai basculé : l’éducation à l’environnement doit se faire sur cette complexité de nos rapports au monde. 

Je continue de militer pour les classes de découverte et les colos. C’est le moyen d’emmener vers l’ailleurs des enfants qui ne pourraient pas partir tout en faisant toujours de l’éducation.

VEN : L’attention à l’environnement se construit dès le plus jeune âge ? 

D. C. : Les expériences premières de l’enfance sont fondamentales. C’est là que l’enfant va apprendre à ne pas avoir peur, à marcher pieds nus dans l’herbe, à observer les petites bêtes. Il va développer son attention. Cela pourra éventuellement se ré-enfouir un peu à l’adolescence, moment intense de socialisation, mais cela resurgira à l’âge adulte car il l’aura intégré à son moi. Cela constituera ce qu’Arne Naess appelle le « Soi écologique ». En classe de mer, je proposais un long espace-temps, 1h30, dehors, sur l’estran, pour l’activité spontanée. Certains jouaient, d’autres se penchaient sur une flaque d’eau, dormaient ou papotaient. L’enfant va vers ce dont il a besoin. Il va faire ce que la rencontre de son corps avec le milieu provoque à ce moment-là, ce jour-là. Le milieu offre ses contenus et l’enfant s’en saisit selon ses impulsions. 

VEN : Prendre le temps et répéter, est-ce une nécessité pour éduquer au dehors ? 

D. C. : Oui, la répétition est fondamentale. Y retourner, encore, puis encore. C’est un processus lent l’éducation ! C’est pourquoi la régularité est importante dans l’école dehors – au moins une demi-journée par semaine. Il y a le dehors qu’on amène à l’intérieur, par des plantes, des aquariums, de la sonorité, des gens qui viennent. Et puis il y a celui que l’on découvre en ouvrant la porte de la classe, le premier dehors, puis après on prend un bus pour aller voir si ailleurs c’est le même dehors. Cette complémentarité des dehors et des expériences enrichit et amène à la complexité. Je continue de militer pour les classes de découverte et les colos. C’est le moyen d’emmener vers l’ailleurs des enfants qui ne pourraient pas partir tout en faisant toujours de l’éducation. 

* « Définie comme la formation que l’on reçoit par contact direct et réfléchi avec l’oïkos (l’habitat, le milieu), l’écoformation fait la part belle à cette éducation informelle que chacune et chacun éprouvent dans ses relations avec le monde non humain. » Un Retour sur un parcours de recherche en éducation relative à l’environnement/ Dominique Cottereau. - Éducation relative à l’environnement, volume 18-1, 2023.

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