« Un·e bon·ne prof maîtrise sa matière ! »

À l’instar de Joseph Jacotot, qui estime, au début du 19e siècle, que « L’instruction est comme la liberté, elle ne se donne pas, elle se prend », nous pensons qu’être enseignant·e est un métier complexe, multiple, dont la connaissance des savoirs n’est qu’un infime aspect.
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Cette chronique est issue d’un recueil publié par les CEMÉA Belges en septembre 2020. Le collectif d’auteur·e·s nous rappelle qu’à l’origine de ces écrits était l’envie de déconstruire, dans un format court, les « formules toutes faites autour de la vie scolaire » à travers le filtre de l’Éducation nouvelle. Il s’agit de dénoncer l’entretien de paradigmes qui polluent l’école et le développement des enfants, d’analyser les dysfonctionnements et les habitudes non questionnées. Réfléchir le quotidien et les fausses évidences pour transformer sa pratique, sa classe, son école
 

Et si l’école…22 chroniques pour changer l’éducation

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Novembre 2019

Le mois de décembre est à nos portes. S’il annonce de joyeuses réjouissances festives, il est aussi souvent synonyme d’évaluations scolaires, de bulletins et de bilans de fin de trimestre. Selon les situations, les élèves – et leurs parents – se réjouissent, se désespèrent, se découragent ou s’indiffèrent. Les profs aussi, d’ailleurs. L’école attend des élèves qu’ils·elles acquièrent des compétences, mémorisent des savoirs, découvrent leur propre méthode de travail, deviennent autonomes et responsables... Quel programme ! L’école attend des profs, quant à eux·elles, qu’ils·elles soient expert·e·s de leur matière. Si nous pouvons nous réjouir que beaucoup d’enseignant·e·s aient intégré la nécessité de dépasser le cadre strict de la matière à maîtriser, une idée reçue subsiste néanmoins dans la société : « Un·e bon·ne prof doit connaître sa discipline scolaire à la perfection ! ».

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Certes, la maîtrise des savoirs est nécessaire à l’enseignement, mais elle ne fait pas d’un individu un·e professeur·e. À l’instar de Joseph Jacotot, qui estime, au début du 19e siècle (!), que « L’instruction est comme la liberté, elle ne se donne pas, elle se prend », nous pensons qu’être enseignant·e est un métier complexe, multiple, dont la connaissance des savoirs n’est qu’un infime aspect. D’autres compétences sont indispensables pour faire de l’école un vrai lieu d’apprentissages.

L’empathie. La vraie, l’authentique ! Celle qui consiste à se mettre à la place de l’élève (ou du parent d’ailleurs !), afin de comprendre son mode de fonctionnement, ses besoins, ses émotions, ses difficultés. Outre la compréhension de l’autre, faire preuve d’empathie nécessite aussi de prendre en compte l’autre, c’est·à·dire chercher des pistes, s’adapter à lui ou à elle, réfléchir à la manière d’aborder les savoirs, en fonction de l’élève et de ses besoins. L’empathie force à dépasser le constat afin de s’y adapter.

La confiance. En soi. En les autres. Chaque élève, sans aucune distinction d’âge, de culture, de sexe, de convictions, de situation sociale, est capable de quelque chose. Il s’agit, pour l’enseignant·e, de déconstruire les préjugés qui habitent l’élève, les stéréotypes sur lesquels il a construit sa pensée, ou encore les casseroles scolaires qu’il traîne parfois depuis longtemps, pour que tous les élèves, sans exception, prennent conscience de leurs capacités. Chacun·e évolue, grandit, apprend. Et plus l’environnement offre de la confiance et de la bienveillance, plus ces acteurs et actrices trouveront du sens à agir sur leur rapport aux savoirs.

La prise de responsabilités. Complète et globale. Un·e enseignant·e qui prend ses responsabilités est un·e enseignant·e qui écoute et prend en compte la réalité des familles, qui cherche à coller au mieux aux besoins de ses élèves, qui ose se remettre en question et accepte qu’il·elle aurait pu faire autrement. Un·e enseignant‑e qui prend ses responsabilités ne se contente pas de conclure sa remarque de bulletin par un laconique : « Tu n’as pas assez travaillé ». L’école d’aujourd’hui fuit, très souvent, ses responsabilités : par des remarques peu nuancées, par une orientation peu réfléchie, par des exclusions trop nombreuses et par des discours sans appel. Les seul·e·s pointé·e·s comme responsables sont, bien trop souvent, les élèves et leurs familles. Si chaque maillon de l’école prenait ses responsabilités, avec force, audace et sans jugement, il n’y aurait plus de « responsables », mais uniquement des acteurs et actrices de changement.  

La coopération. Peu nombreux·ses sont les adultes qui peuvent se targuer de coopérer dans leur quotidien professionnel. Pourtant, beaucoup d’enseignant·e·s, convaincu·e·s de son importance pour apprendre, souhaitent sensibiliser leurs élèves à la coopération ! Il y a comme un paradoxe, bien ancré. Si, pour réaliser une tâche ensemble, les jeunes décident de diviser le travail pour, ensuite, le mettre en commun et le synthétiser, il est fort à parier qu’il y aura peu d’apprentissages. En effet, chacun·e aura tendance à prendre en charge ce qu’il·elle sait déjà faire (ou à ne pas se lancer dans ce qu’il·elle ne maîtrise pas encore !) et cette situation de travail ne fera que renforcer les inégalités présentes au sein du groupe. La coopération va bien au-delà. Elle vise à contribuer« tout à la fois, au développement de chacun et à la solidarité entre tous »1. La coopération nécessite de donner une place à chaque individu au sein d’un collectif et de permettre au groupe (d’adultes et/ou d’élèves) d’apprendre, ensemble, sans jugements ni compétition. Si l’adulte n’est pas convaincu et s’il ne vit pas la coopération au quotidien, il ne peut pas l’exiger de la part de ses élèves.

Le droit à l’erreur, pour tous et toutes ! Tout le monde est d’accord pour dire que l’élève a le droit d’être imparfait, de faire des erreurs, tout comme l’enseignant·e. Et pourtant, dans la réalité, ce n’est pas si simple. L’erreur, l’ignorance ou même l’incertitude sont vues comme des failles qu’il faut, très rapidement, combler. L’école n’accueille pas l’erreur, elle la sanctionne ! Un·e enseignant·e qui souhaite donner une place authentique à l’erreur au sein de sa classe doit, inévitablement, contrecarrer un système institutionnel bien ancré. Il est impossible de défendre le droit à l’erreur dans un système qui évalue, qui sélectionne et qui sanctionne. Finalement, peut-être que si les enseignant·e·s eux·elles-mêmes se donnaient le droit à l’erreur, acceptaient leurs imperfections et agissaient sans course aux honneurs, ni recherche de résultats, les élèves s’imprégneraient de cette attitude nouvelle. En acceptant le droit à l’erreur, dans les faits au quotidien, une nouvelle liberté d’apprendre pourrait voir le jour et pourrait améliorer grandement nos rapports au savoir.  

Il est important de ne pas nier que le rapport au savoir est au cœur du métier. Mais nous sommes convaincu·e·s que le lien que les élèves tissent avec le savoir et les apprentissages se situe bien au-delà du champ strict de la connaissance. Réduire l’école, les professeur·e·s et les élèves, à la seule fonction d’apprentissage, c’est nier tous les enjeux éducatifs forts et présents à chaque moment de la vie scolaire. La formation initiale des enseignant·e·s est un levier à actionner d’urgence pour leur permettre d’être outillé·e·s et  préparé·e·s à leur mission éducative, à l’accompagnement de ces futur·e·s adultes dans la construction de leur rapport au savoir, leur rapport à l’école et pour finir, probablement, leur rapport à la société.



« Et un élève, c'est chaque fois particulier, c'est chaque fois une pochette surprise. Moi, j'ai eu de la chance de m'en sortir ; j'ai beaucoup travaillé et certains enseignants m'ont encouragé. On n'imagine pas l'effet que cela fait sur un enfant quand un enseignant lui dit, avec sincérité C'est bien. Ce sont des déclarations importantes, des choses qui touchent. » Thomas Gunzig

Notes

  1. Philipe MEIRIEU, « Petit dictionnaire de pédagogie » in https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/dictionnaireliste.htm, article « Coopération ».
  2. Thomas GUNZIG, interviewé dans le magazine « PROF » 39, août 2018.

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