« Il faut être propre pour entrer à l’école maternelle. »

L’exigence que l’enfant soit propre lors de son entrée à l’école maternelle est une condition de plus en plus couramment posée par les établissements. Qu’en est-il vraiment de la légitimité de cette demande ? Quel est le rôle de l’école dans cette acquisition de la propreté ?
Média secondaire

Photo: http://i.unimedias.fr/2015/10/22/Ces-enfants-qui-refusent-d-aller-aux-toilettes-a-l-ecole.jpg

Cette chronique est issue d’un recueil publié par les CEMÉA Belges en septembre 2020. Le collectif d’auteur·e·s nous rappelle qu’à l’origine de ces écrits était l’envie de déconstruire, dans un format court, les « formules toutes faites autour de la vie scolaire » à travers le filtre de l’Éducation nouvelle. Il s’agit de dénoncer l’entretien de paradigmes qui polluent l’école et le développement des enfants, d’analyser les dysfonctionnements et les habitudes non questionnées. Réfléchir le quotidien et les fausses évidences pour transformer sa pratique, sa classe, son école
 

Septembre 2017

Pour les parents et les enfants, la rentrée se prépare déjà bien avant le 1er septembre : achat de fournitures, choix du cartable, organisation des activités extrascolaires. Et pour les enfants de deux ans et demi qui rentrent en maternelle : l’apprentissage de la propreté.

En effet, l’exigence que l’enfant soit propre lors de son entrée à l’école maternelle est une condition de plus en plus couramment posée par les établissements. Qu’en est-il vraiment de la légitimité de cette demande ? Quel est le rôle de l’école dans cette acquisition de la propreté ? Et celui des parents ? Et surtout, que se passe-t-il pour l’enfant ? 

Cemea

Arrêtons-nous un instant sur ce processus de développement qu’est l’acquisition du contrôle sphinctérien.  Tout d’abord, nous parlons de « contrôle sphinctérien » et non pas de « propreté ». Si l’enfant devient « propre », cela signifie-t-il qu’il était sale auparavant ? Certainement pas ! De plus, utiliser la notion de contrôle sphinctérien est une manière de reconnaître cette étape comme étant un processus d’apprentissage.

Tout petit, l’enfant commence par ressentir ses muscles. Son corps lui envoie des informations, des sensations à décrypter. Peu à peu, l’enfant en aura la maîtrise, c’est-à-dire qu’il pourra décider de garder ou de lâcher. L’adulte peut repérer qu’il se passe quelque chose pour l’enfant : son lange est sec, il demande à aller sur le petit pot (sans pour autant « faire pipi ou caca »)… 

À ce stade, l’enfant a plus ou moins deux ans. Jusque là, le processus est lié à la maturation physique du corps, mais ça ne s’arrête pas là ! Pour aller aux toilettes et quitter son lange, le jeune enfant doit renoncer à un certain confort et à un temps individuel avec l’adulte.

Il doit être dans une démarche qui peut lui sembler contraignante : anticiper que sa vessie est presque pleine, arrêter l’activité dans laquelle il est investi, demander à l’adulte (qui doit être disponible) pour aller aux toilettes et s’y rendre. Et tout ça, dans un endroit, l’école, où tout est nouveau : les lieux, les adultes, les enfants, le découpage de la journée, les règles… Par conséquent, il s’agit bien de l’acquisition du contrôle sphinctérien et non de « l’apprentissage de la propreté ». Ce processus appartient au corps de l’enfant et ne peut être appris par une volonté extérieure. Il s’accompagne. 

Dès lors, pourquoi les enseignant·e·s et l’école freinent des quatre fers quand la situation se présente ? Rappelons au passage que l’école ne peut refuser l’inscription d’un enfant sous prétexte qu’il porte encore des langes. Elle est dans l’obligation d’accueillir chaque enfant en âge de fréquenter son établissement sans aucune discrimination. Quels sont les enjeux ? 

Un premier argument régulièrement avancé repose sur le fait qu’à l’école, les enfants sont là pour apprendre et que cette étape particulière de leur développement est de la responsabilité parentale. Mettons-le en balance avec plusieurs réalités. Jusqu’à présent, en Belgique, l’instruction n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans1, autrement dit, jusqu’à cet âge, il n’y a pas d’apprentissages formels impératifs !

Le Socle de Compétences2 sur lequel s’appuie chaque programme scolaire est très clair : il n’y a aucune compétence à certifier, à évaluer avant 8 ans. Cette injonction laisse donc toute la liberté aux enseignant·e·s des classes maternelles de prendre le temps et d’accompagner chaque enfant dans son évolution.

En outre, l’enfant ne peut être séparé en deux, une partie à la maison, l’autre à l’école. Il forme un tout et il semble important que les professionnel·le·s ne l’oublient pas. L’accompagnement du contrôle sphinctérien ne peut se faire de manière unilatérale et ne peut reposer sur le seul soutien des parents. 

Un autre argument est celui du manque de temps, d’aménagement, de personnel. Dans nombre d’écoles, cette étape importante du développement du jeune enfant n’est pas prise en compte, ni pensée. 

Accompagner l’enfant peut alors être vécu comme une contrainte, une perte de temps au détriment des apprentissages scolaires. Si l’ensemble de l’équipe éducative porte cette préoccupation, alors l’aménagement et l’organisation du temps pourront être planifiés. Par exemple, un coin change dans les classes avec le matériel nécessaire pourrait être facilement installé et retiré lorsque les enfants n’en auront plus besoin. Cela épargnerait ainsi aux adultes de multiples déplacements vers les sanitaires qui se trouvent souvent en dehors de la classe. Et si l’adulte est convaincu de l’importance de cette étape, alors le temps qui sera pris avec chaque enfant sera l’occasion de moments précieux de rencontres individualisées. 

De plus, face à l’argument « Nous ne sommes pas formé·e·s pour ça, nous ne sommes pas puériculteurs, puéricultrices », nous répondons qu’au-delà du débat sur la place des apprentissages formels obligatoires en maternelle, chaque professionnel·le a, par contre, l’obligation d’être bienveillant·e et respectueux·se de chaque enfant accueilli au sein de sa classe.

Enfin, l’ultime justification des adultes « Ça a toujours été comme ça, on n’en est pas mort ! » ne peut pas tenir la route et questionne profondément les valeurs qui sous-tendent les pratiques. Comment les professionnel·le·s réfléchissent leur travail ? Quelles sont leurs références pour penser ? Lorsque le discours pédagogique défend que l’enfant soit au centre et qu’il est acteur de son développement, alors la réflexion va orienter les pratiques tout autrement que la reproduction de l’habitude.

Au regard de tous ces éléments, les pratiques du « pipi collectif », des couches retirées pendant quelques jours jusqu’à ce que l’enfant ne se fasse plus pipi dessus et autres tentatives (n’ayons pas peur des mots) de « dressage », mettent les enfants dans des rapports de soumission, d’obéissance et d’autorité toute puissante de l’adulte sur leur corps, tout en leur envoyant le message que leur corps importe peu.

Ces « trucs et astuces qui marchent » vont d’ailleurs à l’encontre d’une série de valeurs souvent mises en avant dans les projets pédagogiques des établissements scolaires, défendant vivement le respect du rythme et des besoins des enfants, leur autonomie…

Il y a là un paradoxe creusant un écart entre les pratiques, les valeurs et les missions de l’école maternelle.



« L’autonomie, ce n’est ni laisser faire (abandonner l’enfant à lui-même, le laisser se débrouiller), ni laisser tout faire. L’autonomie, ce n’est pas faire tout ce qu’on veut, mais vouloir tout ce qu’on fait. »  Michèle Célarié3

Notes

  1. Contrairement à la France, la Belgique maintient l’obligation de l’instruction à 6 ans. Pourtant, en septembre 2020, la Fédération Wallonie-Bruxelles a décidé d’abaisser l’obligation scolaire à 5 ans.
  2. Le Socle de Compétences en Belgique est le pendant du Socle commun de connaissance, de compétences et de culture. C’est n référentiel présentant de manière structurée les compétences de base à exercer jusqu'au terme des huit premières années de l'enseignement obligatoire et celles qui sont à maîtriser à la fin de chacune des étapes de celles-ci parce qu'elles sont considérées comme nécessaires à l'insertion sociale et à la poursuite des études.
  3. Michèle CÉLARIÉ, psychomotricienne, formatrice à l’Association Pickler Loczy France.

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