Laïcité : de la clarté pour un label, interview de Nicolas Cadène

Au cours de cet entretien, Nicolas Cadène, rapporteur général de l’observatoire de la laïcité nous fait part de son regard quant à la place de la laïcité dans la société française d’aujourd’hui. Il en rappelle la définition et ce qu’elle engendre comme conséquences au quotidien.
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Elle en fait couler de l’encre la laïcité, elle en délie des langues, en déclenche des débats que ce soit aux comptoirs des cafés, dans les couloirs du parlement ou autour des pupitres des chaînes d’info, derrière les micros des radios. Il y a besoin de temps en temps de remettre les choses à leur place.

L’observatoire de la laïcité délivre une mine d’informations qui clarifient cette notion et précise ses lettres de noblesse. Nicolas Cadène, qui en est le rapporteur général, en présente ici la substantifique moelle, l’essentiel qui permet (dans un site très complet et le plus usité des sites gouvernementaux) à chacun.e d’approfondir ses connaissances. Il répond à trois questions et se fait le héraut de cette commission consultative qui accompagne le gouvernement comme le simple citoyen.

Entretien avec Nicolas Cadène, Rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité - lundi 16 novembre 2020


L’observatoire de la laïcité a été créé par un décret sous la présidence de Jacques Chirac, installé et rendu effectif par François Hollande en 2013, puis reconduit en 2017 par décret du Premier Ministre Édouard Philippe.

observatoire de la laïcité

L’Observatoire assiste le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France.

Sa mission est de quatre ordres :

  • Établir un état des lieux de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas en matière d’application de la laïcité sur tout le territoire. Cela nécessite le recueil des remontées des administrations et du tissu associatif concerné, la mise en place d’auditions d’acteurs de terrain, et de nombreux déplacements (près de 1000 partout en France). Chaque année, cet état des lieux est précisé dans un rapport complet. Dans ce cadre, l’Observatoire réunit des données, produit et fait produire des analyses, études et recherches permettant d’éclairer les pouvoirs publics sur la laïcité.
  • Conseiller le gouvernement (charte de la laïcité à l’école, mise en place de référents laïcité, circulaires pour renforcer la laïcité et combattre l’islamisme politique, abrogation du délit de blasphème en Alsace-Moselle...)
  • Informer le grand public à travers des réponses aux questions des citoyens garanties sous 48h, des guides pratiques et autres outils pédagogiques, … ; et répondre aux demandes d’avis de tribunaux.
  • Former le plus grand nombre. En ce qui concerne la formation à la laïcité, l’Observatoire a notamment demandé et obtenu qu’elle soit obligatoire pour les aumôniers de tous les cultes, pour les ministres du culte venus de l’étranger (comme les imams détachés) et a mis en place la formation VRL (Valeurs de la République Laïcité) dont le pilotage a été confié à l’ANCT (Agence Nationale de la Cohésion des Territoires) et au CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale).

L’équipe permanente est constituée de sept personnes (1 chargée de mission, 2 assistantes, 2 apprentis, 1 stagiaire et 1 rapporteur général).
Ce sont aussi 21 membres bénévoles, dix qui sont nommés par le Premier ministre, 7 qui sont membres de droit en raison de leur fonction et 4 parlementaires nommés par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. S’y ajoute le président, également bénévole.


Dans le flot des infos on peut très vite se perdre

Nicolas Cadène dans un propos liminaire nous rappelle que le terme « laïcité » est trop souvent utilisé comme un mot valise à des fins décalées pour parler de problèmes qui n’y sont aucunement liés. Il précise également que cette notion est source de crispations extrêmement vives qui aboutissent à l’émergence de conflits larvés mais aussi plus visibles, plus audibles.

Il ajoute néanmoins qu’il existe des écarts et qu’au-delà du seul principe de laïcité, on peut constater de nombreuses atteintes aux exigences minimales de la vie en société, qui touchent notamment à la dignité des personnes.

« La société connaît une crise qui prend notamment sa source dans une forte polarisation. Alors que la sécularisation continue, certain.es croyant.es réaffirment publiquement des marqueurs identitaires religieux, souvent en étant eux.elles-mêmes pratiquants de courants plus conservateurs : loubavitch dans le judaïsme, certaine églises évangéliques chez les protestants, des intégristes chez les catholiques, salafistes chez les musulmans... Le capharnaüm des réseaux sociaux et le culte du buzz et du clash entretenu par certaines chaînes d’information en continu contribuent à alimenter les divisions, alors même que le contexte des attentats islamistes conduit à de légitimes inquiétudes mais aussi à de nombreux amalgames. »

Le décor est posé.


François Simon : Quelques rappels utiles pour faire taire les dérives ? Et un mot sur l’islamogauchisme ?

Nicolas Cadène : Le contexte actuel (attentats) crée de la peur mais s’avère également propice aux confusions (qu’elles soient sincères ou manipulatrices) et trace la route aux amalgames divers.

Il y a des personnes, dans la sphère politique, intellectuelle, médiatique qui à longueur de journée affirment péremptoirement des vérités qui n’en sont pas. Ils et elles s’inscrivent de fait dans une démarche qui va à l’encontre d’une laïcité qu’ils et elles disent défendre. Tous ceux, toutes celles qui ne pensent pas comme eux, comme elles, n’ont pas droit de cité.

D’ailleurs pour illustrer cet état de fait, je voudrais préciser que souvent l’observatoire subit des attaques de personnes qui défendent une conception de la laïcité biaisée qui n’a rien à voir avec le droit et l’histoire. Elles en ont le droit mais encore faudrait-il qu’elles assument vouloir changer l’équilibre de la laïcité…

Aujourd’hui, la laïcité est par définition objectivée et s’impose comme un principe de raison, elle est la garantie des libertés individuelles dans un cadre collectif où chaque limitation éventuelle de celles-ci doit être justifiée objectivement. Le ressenti ne fait pas partie de la laïcité, elle doit se fonder sur l’impartialité..

Le danger est grand de transformer la laïcité en idéologie, tant l’approche idéologique tend à devenir majoritaire chez les prescripteurs d’opinion. Ce qui laisse le champ libre à des polémiques oiseuses et sans intérêt. Il est en revanche utile de réaffirmer qu’on a le droit en France de moquer une croyance mais pas d’insulter les personnes en raison de leurs croyances.

Je m’inscris aussi en faux contre les reproches qui parfois nous sont faits de n’aborder la laïcité que par le côté religieux. Ceux-ci émanent de personnes qui ne sont pas des praticiens de la laïcité et qui ne connaissent pas nos travaux. Car ces derniers vont évidemment bien au-delà de la seule liberté de religion.»

De même nous tenons à rappeler que nous ne voulons en aucun cas adjectiver la laïcité, elle se suffit à elle-même, il n’y a qu’une laïcité1, l’adjectiver ce serait en minorer la portée, assurée par un Etat neutre et impartial

Et si une neutralité totale de l’administration publique est difficile à respecter de manière absolue, chaque acteur et actrice du service public se doit néanmoins d’y tendre. En apparence, cela est aisé, dans les actes, cela est plus complexe. Enfin, concernant le terme que vous évoquez, en réalité, je ne vois pas très bien ce que revêt exactement ce mot d’ islamogauchisme… 

François Simon : La formation, un rouage essentiel de votre stratégie ?

Nicolas Cadène : Un de nos objectifs est d’apporter des éléments de réponse avant tout aux cadres associatifs et aux fonctionnaires qui se chargeront à leur tour d’animer des espaces au sein desquels des éclairages permettront à chacune et chacun de comprendre ce qu’est la laïcité et ce sans faux semblants, puis partant de se positionner en toute connaissance de cause. Et le moyen le plus pédagogique d’agir c’est sans conteste le levier de la formation. Dans notre large palette de ressources, la plus complète est sans doute le plan Valeurs de la République Laïcité  (45.000 personnes formées, dont 97 % sont satisfaites des méthodes et du contenu) dont le financement vient d’être doublé par le ministère de la ville.

De nombreux acteurs et actrices de terrain ont déjà suivi la formation et de plus en plus s’engagent à la suivre. C’est le vecteur essentiel d’une meilleure connaissance de ce que nous défendons, le moyen le plus efficace de comprendre les valeurs qui découlent de la laïcité et d’être à même de les diffuser. Dans l’ensemble des formations VRL comme des autres (en tout, nous avons déjà touché plus de 350.000 acteurs de terrain), on cherche à développer le point de vue le plus objectif possible.

Pour terminer je me dois de préciser que nos actions de formations sont diverses et touchent tous les publics. En ce sens, nous avons également mis en place des mooc (cours en ligne très proches du contenu de la formation Valeurs de la République Laïcité) dont l’un est volontairement condensé et court pour s’adresser aux élu.es qui disent manquer de temps.  Avec des spécialisations possibles suivant les domaines et les secteurs d’intervention. Il existe aussi, bien sûr, des formations délivrées par certaines administrations qu’on valide.

Notre site Internet, un des plus visités de la plateforme gouvernementale, propose en outre entre autres ressources de petites capsules vidéo très bien faites et faciles d’accès, des fiches pratiques d’une page sur des sujets spécifiques, etc. Des outils au service de débats et de pistes, en réponses aux interrogations les plus classiques.

François Simon : Justement, en les visionnant j’ai eu du mal à saisir vos explications et votre argumentaire à propos d’un sujet qui divise : la question des jours fériés. Pouvez-vous éclairer ma lanterne ?

Nicolas Cadène : Cela ne m’étonne pas, car c’est une question plus complexe qu’il n’y paraît. Pour faire au plus simple, il faut rappeler que l’Etat considère que tous s’adressent à toutes et à tous sans exception. Ils n’ont donc plus aucune connotation cultuelle aux yeux de l’administration. Rappelons d’ailleurs qu’à leur origine il s’agissait de fêtes païennes. Si on institue des jours fériés liées aux fêtes religieuses, il faudrait, dans une logique laïque, que toutes les convictions soient également traitées. Or, cela aboutirait à une multitude de jours fériés dans la France est diverse de ce point de vue...

Si on en institue que pour les principales religions, outre qu’on crée une inégalité, on reconfessionnalisera ces jours fériés. Si l’on propose à chaque travailleur de choisir son jour férié selon sa conviction, alors on assigne chacun à une appartenance propre, ce qui est anti-laïque. Il n’y a donc pas d’évidence. Même si le système n’est pas parfait, c’est le moins mauvais puisqu'une circulaire permet, dans la fonction publique, d’accorder des absences pour des fêtes religieuses sans que le demandeur.la demandeuse n’ait à le dire à une autre personne que son.sa chef.fe de service ; et, dans le privé, les RTT permettent également de poser certaines absences.

En revanche, il est regrettable que l’administration parle encore parfois elle-même de « fêtes religieuses », car elles ne le sont que pour les croyants. En 1905 il y a eu une tentative d’amendement pour revenir à leur sens païen en modifiant leur appellation, tentative avortée. Dernier point : rappelons que le seul jour officiellement férié et obligatoirement chômé est le 1er mai, qui n’a aucune connotation religieuse...

François Simon : On devrait le susurrer, le chuchoter, le murmurer, le psalmodier, le scander, le faire savoir plus nettement, peu de gens connaissent en effet le fin mot de l’Histoire. Je vous remercie pour le temps que vous avez consacré à cet entretien.

Note

  1.  Ici il y a une envie  d’ajouter, « elle s’adresse à tous, elle est de tous les instants », pour plagier un des principes des Ceméa.