La photographie , un outil de partage de ses propres perceptions ?

Arrêt sur image : Rencontres de la Photographie d’Arles, Juillet 2019
Média secondaire

Comme en Avignon il y a deux festivals de la photographie à Arles. Le « in » et le « off ». C’est à un voyage au sein de cette dualité qu’il nous est donné de participer. Et plus particulièrement au cœur de la formation « Voir, recevoir, créer et critiquer des photographies ».

De jour en jour, d‘heure en heure l’œil s’exerce, s’acère, le regard s’aiguise et l’objectif de l’appareil imprime les émotions, les sentiments. Chacun et chacune peut appréhender la ville, s’approprier les expositions et leurs particularités. À sa manière !

Et chacun·e s’aperçoit qu’ielle en a les compétences. La photographie est un véritable outil d’éducation populaire, accessible à tous et toutes. Et les images se fabriquent dans n’importe quel endroit, un peu partout. Pendant la durée des rencontres internationales, la ville foisonne d’images à immortaliser. Et les ressentis, les sensations ne peuvent que s’y abandonner, comme des reflets d’un présent, vite passé.


« La photographie façonne les contours d’une contre‑culture, où la mise en scène de son quotidien devient une alternative aux modèles dominants, une résistance à l’ordre établi. » Sam Stourdzé, directeur des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles.

Les Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles ont fêté à l’été 2019 leur 50ᵉ anniversaire.
En 1970, Lucien Clergue (photographe arlésien), Michel Tournier (écrivain) et Jean Maurice Rouquette (historien) fondent le festival des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles.

À l’initiative de la création de ces Rencontres, le souhait de rendre accessible l’art de la photographie pour tous et toutes. Au fil des années, le festival des Rencontres de la Photographie s’est développé, permettant la création du festival «  Voies OFF », qui fêtait son 24ᵉ anniversaire cette année.

Le festival « OFF », qui se tient au même moment que le festival officiel « In », aura permis à de nombreux.ses artistes amateurs.trices de faire valoir leur travail auprès des spectateurs.trices et professionnel.les de la photographie. L’hétérogénéité de ces deux festivals pourrait se traduire via la distinction entre démocratisation et démocratie culturelle, des notions qui me sont apparues divergentes lors du festival.

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Dans ce paysage illustré, les Ceméa (Association Nationale) organisaient cette année, une formation « Voir, recevoir, créer et critiquer des photographies », l’occasion de s’immiscer dans le festival des rencontres d’Arles, et découvrir la richesse des œuvres présentes lors de cette 50ᵉ édition du festival des Rencontres de la Photographie d’Arles.

Le temps d’un été, la ville d’Arles vit au rythme de l’international de la photographie et dans l’harmonie des échanges culturels. Les lieux de vie de la ville, salon de coiffure, boucherie, place publique… sont habités pour exposer les travaux des artistes.

Le souhait des organisateurs.trices du festival des Rencontres d’Arles est de pouvoir inviter les arlésiens et arlésiennes à s’intéresser à l’art de la photographie.

De nombreuses initiatives sont mises en place lors du festival afin de favoriser les échanges entre les acteurs.trices du festival, des spectacles sont organisés dans la ville et rendus gratuits pour les habitant.es de la ville d’Arles. Ce que l’on pourrait définir par le principe de démocratisation culturelle, en facilitant l’accès à la culture pour chacun.e.

La formation proposée par les Ceméa disposait de plusieurs volets, l’un davantage axé sur les expositions photographiques et la présentation des photographes, un second axé sur les rencontres avec les photographes. Enfin, un dernier volet, certainement plus technique, sur la maîtrise de l’appareil photo.

Ces différents aspects de la formation m’auront permis d’assembler diverses connaissances et auront, sans doutes, invité chaque participant.e à une réflexion sur ce qu’est la photographie ; comment la pratiquer, l’exploiter, et en tirer les meilleurs bénéfices  pour tous et toutes ?

Dans le même temps, cette réflexion m’a amenée à la question de l’accessibilité de l’exploitation de la photographie par chacun.e. L’accessibilité de la photographie s’inscrit-elle dans une démarche de démocratie culturelle ? Les citoyen.nes participent-ielles au partage de leurs propres perceptions culturelles ?

Au sens de perceptions culturelles, j’entends ici la notion de partager ses pratiques, ses coutumes et ses valeurs pour faire vivre ou faire ressentir à l’autre.

De nos jours, le numérique nous donne plus commodément accès à la photographie, de par, notamment, la présence d’appareils photo dans nos smartphones. Ce qui m’a permis de prendre des photos à tout instant via mon petit appareil, que j’ai toujours à disposition. Ces « photos souvenirs » sont-elles des œuvres de photographe amateur.trice ? Ces photos, prises à chaque instant, dans différents contextes et/ou environnements, participent-elles au développement de la démocratie culturelle ?Je me suis questionnée sur ces mises en relation lors du Festival ; l’accessibilité de l’outil est un fait, mais qu’en est-il de la notion artistique que revêt la photographie ? La photographie a-t-elle le même sens dans ces deux approches ?

Il me semble que les éléments de réponses sont divers et chacun.e peut y trouver sa propre interprétation. Je ferai part, ici, de ce qui me paraît être des éléments de réponse à l’existence même de la photographie.

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La photographie est un art, créativité inhérente à l’homme, dont les sens, les émotions et intuitions sont propres à l’individu lui-même. C’est certainement par la diversité de ses ressentis, sensations et réflexions que l’art produit une richesse sans pareille.

Le principe de « démocratie culturelle », doit pouvoir mettre en avant l’idée que les ressentis sont pluriels et produits par une diversité d’acteurs.trices qui permettent cette hétérogénéité. Il n’est pas seulement question de favoriser l’accès à l’art de la photographie (principe de démocratisation culturelle), en conditionnant les goûts artistiques des spectacteurs.trices, mais de les inviter à partager leurs intuitions, sentiments et réflexions à travers l’expression illustrée de ces derniers.

Le souhait de photographier une ambiance, un lieu, une personne, une émotion… pourrait être l’arrêt sur image de nos perceptions individuelles (singulières/subjectives) et ainsi de notre culture, celle que nous vivons ou percevons et voulons faire ressentir.

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Nos émois seraient donc imagés par nos propres clichés, sans nécessairement utiliser l’art des autres, ou simplement le ressenti des autres. Le regard que je porte sur une photo n’est pas similaire à celui de mon voisin.e, pour autant je peux ressentir des émotions complémentaires et/ou comparables.

C’est ainsi que, les festivals « In » et « Off » m’ont semblé complémentaires. Effectivement, le festival « In », dit « Officiel » m’a invitée à m’intéresser à la technicité de l’art de la photographie et dans le même temps, m’a encouragée à comprendre ce que l’artiste souhaitait mettre en avant dans son illustration imagée.

Grâce au festival « Off », j’ai pu percevoir que la photographie était accessible pour chacun.e et que l’art, au sens large, ne doit pas être confisqué par certain.es mais rendu accessible, dans sa pratique, pour tous et toutes. Cet encouragement invitant chacun.e à s’essayer à la photographie, doit pouvoir solliciter le partage des ressentis et perceptions de tous et toutes, afin de concevoir collectivement une société respectueuse de nos différences.

La photographie, lors de ces rencontres, m’a invitée à vouloir comprendre ce que le ou la photographe souhaitait illustrer. Parfois, sans réponses. Cela dépend certainement de notre sensibilité en tant qu’individu.

Cependant, l’envie de comprendre et s’intéresser à l’œuvre que j’avais devant moi a favorisé une démarche de repositionnement, de déconstruction et de reconstruction de ma perception initiale.

Le festival « Off » nous permettait d’échanger avec les photographes présent.es, un  élément favorable à l’échange de nos différentes perceptions, entre l’artiste, celui ou celle qui a crée et le·la spectateur.trice. Et, c’est certainement dans ces échanges que nous pouvons parler d’interculturalité, qui invite l’autre à tenter de comprendre mes ressentis et interprétations personnelles.

Dans le cas de la photographie, le partage imagé de mon ressenti ne doit pas enfermer l’autre dans ma réflexion individuelle mais doit être à l’initiative d’un échange, et ainsi permettre une liberté d’expression de chacun.e.

Il est donc certain qu’il ne s’agit pas de faire de la photographie un art inaccessible mais bien disponible pour tous et toutes à travers nos envies, nos ressentis et nos engagements.

La photo a ce pouvoir de rendre le réel statique, pour toujours. Mais la photographie peut être en lien avec nos imaginaires et faire ainsi appel à notre créativité.

Ce pouvoir permet de confronter les réalités de nombreuses cultures, les mettre en opposition ou en adhésion. C’est grâce à cette idée de confrontation, que nos mœurs évoluent, nous amènent à critiquer, et penser différemment. Les rencontres internationales de la photographie d’Arles, ont laissé place aux différents regards et aux échanges interculturels. J’ai été sensible à ces échanges et j’ai donc souhaité m’essayer davantage à la photographie, au regard de ce que j’avais perçu lors des différentes expositions.

La photographie est dans ce sens (en constante évolution), un outil d’Éducation Nouvelle, toujours enclin à de nouvelles représentations. La photographie vit avec son temps, et se fait, parfois, la porte-parole d’une société. Grâce au développement des interprétations personnelles, de l’appel à la créativité de tous et toutes, la photographie porte un regard sur les perceptions individuelles ou collectives d’une époque donnée, d’un sentiment exprimé ou d’un vécu.

Grâce à cette utilisation « démocratique » de la photographie, nous proposons des « alternatives aux modèles dominants, à la résistance établie » (Sam Stourzdé). Cette Résistance est la nôtre et s’illustre par nos propres ressentis, nos ambitions et nos souhaits.

À travers les représentations que chacun.e met en avant, nous pouvons retrouver la notion d’éducation ; le fait de partager ses perceptions, et d’accepter un échange collectif afin de valoriser sa démarche, ou de contrebalancer ses opinions (jusqu’ici parfois bien ancrées).
L’usage de la photographie pourrait donc être un instrument éducatif intéressant pour les actrices et acteurs socio-éducatifs dans une démarche pédagogique d’échanges humains.
Par le biais de nos perceptions, nous créons nos propres réalités.

L’accessibilité de la photographie ne se définirait-elle donc pas par la notion de démocratie culturelle, qui intègre les échanges interculturels entre les individus, portant un regard particulier sur ce qu’ils.elles vivent et perçoivent ?

Il ne s’agit pas de s’arrêter à la contemplation d’une photographie, mais de s’intéresser à ce que l’artiste a voulu représenter. Il me semble que pour s’intéresser à cette démarche, il faut pouvoir être capable de comprendre ses propres représentations, celles qui nous animent en tant qu’individu, en s’essayant parfois à l’usage de la photographie.

Il ne serait plus seulement question de culture « pour tous et toutes » mais « avec tous et toutes ». En acceptant les différences de chacun.e, nous pourrons enfin envisager une société plurielle, respectueuse des préférences et des personnalités de tous et toutes. La photographie serait, en son sens, l’un des outils de la transformation de nos constructions sociales.

Quelques expositions marquantes

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LIBUŠE JARCOVJÁKOVÁ- exposition Evokativ

Photographies prises entre 1970 et 1989, Tchécoslovaquie communiste et oppression politique. Dans un pays où les libertés individuelles sont souvent mises à rudes épreuves, LIBUŠE JARCOVJÁKOVÁ nous fait part de sa propre conception de la liberté, avec des clichés en noir et blanc, elle illustre les libertés sexuelles, libertés de consommation (drogue, alcool), libertés émotionnelles (dépression, amour, peine, déception)  à travers une série de photographies.

Le souhait de l’artiste de nous faire part de sa vie, la conception de sa liberté, m’a invité à m’interroger sur les libertés individuelles, comment chacun.e perçoit ses libertés ? Qu’est-ce qui nous anime en tant qu’individu ?

« Libuše Jarcovjáková, Facteur de la Bohème du nord, Prague, 1984 » (Source : site internet des Rencontres de la Photographie d’Arles).
Site internet officiel de Libuse Jarcovjakova

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MOHAMED BOUROUISSA- Libre échange

M. Bourouissa expose ses œuvres (photographies, sculptures, vidéos, peinture) au 1er étage d’un monoprix.

L’idée d’exposer dans une grande surface interroge notamment sur la place des chômeurs, chômeuses, la circulation des biens, de l’argent dans l’environnement sociétal.

Au travers de la richesse de ses œuvres et de la collaboration avec d’autres artistes, l’exposition de M. Bourouissa ne cesse d’interroger sur la conception de notre réalité sociétale, nos habitudes et nos paradoxes, quel prix pour la liberté ?

Site officiel Mohamed Bourouissa
Prochaine exposition : Mohamed Bourouissa, Series Shoplifters « Tell me about yesterday tomorrow », NS-Dokumentationszentrum, Munich/ 28 novembre 2019- 30 Aout 2020.

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LA ZONE AUX PORTES DE PARIS

Exposition de la « Zone », qui correspond à une bande de terre de 250 mètres sur les 34km autour de Paris en 1844. Cette zone, un temps déserte, a été investie par des populations pauvres, qui ont construit des habitations précaires, parfois insalubres.

Ces photos sont de source anonyme, mais elles engagent une question qui persistent dans notre société actuelle, celle d’une séparation des espaces géographiques en fonction des classes sociales. Cette séparation géographique qui a tendance à influer directement les rapports sociaux.

Photographe anonyme, Enfants de la Zone, Rue Forceval, Porte de la Villette, France, 1940 (Source : site internet des Rencontres de la Photographie d’Arles)

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LA MOVIDA, CHRONIQUE D’UNE VAGUE

Alberto Garcia-Alix (1956), Ouka Leele (1957), Pablo Pérez Minguez  (1946-2012), Miguel Trillo (1953)

Pérez Mínguez : « Là où trois personnes partagent l’envie de faire quelque chose ensemble, il y a une movida ».

La movida, est un mouvement apparu en Espagne dans les années 80 après la dictature franquiste. Ce mouvement s’est instruit des modernités musicales, cinématographiques, picturales…

Cette exposition rassemble les œuvres de 4 photographes, chacun.e ayant vécu le mouvement à sa façon. Le côté « décalé » du mouvement m’a donné envie de vivre cette époque, illustrée par la folie , le dynamisme et la rébellion des protagonistes.

« Ouka Leele, Peluquería [Salon de coiffure], 1979 » (Source : site internet des Rencontres de la Photographie d’Arles)

Alberto Garcia-Alix (1956)
Ouka Leele (1957)
Miguel Trillo (1953)

Prochaine exposition : LA MOVIDA. A chronicle of turmoil : Alberto García-Alix » Ouka Leele » Pablo Pérez Minguez » Miguel Trillo »

Exhibition: 17 Oct 2019 – 16 Feb 2020, Fundacion Foto Colectania Julián Romea, 6, D 2 08006 Barcelona, +34 (0)93-2171626

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EVE ARNOLD, ABIGAIL HEYMAN & SUSAN MEISELAS - THE UNRETOUCHED WOMAN

Ces 3 photographes états-uniennes ont photographié des femmes, des filles dans leur quotidien, leur travail, leur intimité, leurs relations. En tant que femme, il est possible de s’identifier à l’une des photographies présentes dans l’exposition, de par la diversité de la représentation « d’être une femme », chacune ayant sa propre représentation d’elle-même, sa propre identité et son propre environnement. Ces photos sont d’un naturel éclatant/prestigieux, qui me donne envie de rester dans cette salle des heures et des heures.

Couverture du livre d’Abigail Heyman, Growing Up Female: A Personal Photo-Journal, New York, Holt, Rinehart & Winston, 1974. (Source : site internet des Rencontres de la Photographie d’Arles)

Eve Arnold
Susan Meiselas

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TOM WOOD – Mères, filles, sœurs

Tom Wood nous fait part d’une réalité, une perception de la vie de famille des femmes à Liverpool. Avec un naturel insaisissable.

Le photographe illustre à travers ces clichés le statique du mouvement de la vie quotidienne.
Tom Wood, Great Homer Street Market, Liverpool, 1991 (Source : site internet des Rencontres de la Photographie d’Arles)

 

 


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