Une épicerie, mais pas uniquement
Dans un local mis à disposition par une commune de 1700 habitants se trouve l’épicerie Épisode. Créée en 2015 par des partenariats entre le secours catholique et les collectivités locales, Épisode est devenue une association autonome en 2018. Elle accueille, chaque semaine, une douzaine de familles : des couples, des personnes âgées mais surtout des femmes seules avec enfants. En 2021, ce sont 22 familles qui sont venues régulièrement à l’épicerie.
Des prestations sociales qui font défaut
Pour en bénéficier, un seul critère : les ressources. Les familles, une fois payées leurs factures essentielles (loyer) doivent avoir moins de 7 € par jour comme reste à vivre. L’épicerie veut se situer en complémentarité avec les autres dispositifs ou actions : CCAS1, restos du cœur … et peut accueillir des personnes n’ayant pas droits aux prestations sociales, ou en attente d’ouverture de droits. Annick, bénévole à l’association, nous raconte ce qui fait son quotidien à l’association : collecte des produits dans les magasins, réception des dons, étude des dossiers, rencontre avec les bénéficiaires.
Des bénéficiaires trop souvent féminines
Elle explique quelles sont les situations qui amènent à s’adresser à l’épicerie. Elle parle ainsi d’une personne dont la pension d’invalidité est en retard, ou d’un intermittent du spectacle dont la formation qui devait lui ouvrir des droits, a été annulée. Elle raconte comment, pendant le Covid, beaucoup de dossiers administratifs, ont pris du retard et sont encore en attente. Il y a aussi, et surtout, ces mamans seules, avec un petit salaire, ou un temps partiel parce qu’il faut aussi garder les enfants, et qui constituent une grande partie de leurs bénéficiaires.
Un lieu de parole et de dons
L’épicerie, c’est un local d’environ 80 m2 comprenant plusieurs espaces : une salle de convivialité2, un bureau, plus intime pour parler des problèmes, et un « magasin » où sont rangés des produits alimentaires mais aussi certains produits d’hygiène. Les bénéficiaires viennent faire leurs courses, choisissent, et payent 20 % du prix ‑ 30 % pour les produits d’hygiène. Les produits proviennent de dons de commerces ou de particuliers : collectes dans les grandes surfaces ou produits des potagers locaux.
Un lieu de rencontre et de partage
Covid oblige, les bénéficiaires n’ont pu se rencontrer dans les locaux. C’était pourtant le but et la raison d’être de la salle de convivialité. Normalement, on est accueilli ici, avec un café, un thé, des gâteaux. On y échange des conseils culinaires. Il y a des jeux pour les enfants, qui peuvent y passer un temps, se faire des amis, pendant que les parents font leurs courses au magasin. Les mamans peuvent se poser, échanger entre elles, et les bénévoles racontent même comment certaines sont devenues amies, s’entraidant maintenant dans le quotidien, pour aller chercher les enfants à l’école...
Pour les bénévoles aussi
C’est dans cette salle, autour d’un café agrémenté de quelques chocolats que nous avons pu échanger avec Annick, Françoise, Martine… les bénévoles de l’association. Retraitées, elles ont fait le choix de consacrer plusieurs demi-journées par semaine à la gestion de l’épicerie. Pourquoi ce choix ? Parce qu’une fois retraitée on a du temps. Cela a été leur première réponse, suivie de : « On veut continuer à rencontrer des gens, maintenir une activité sociale. » Mais quand on poursuit la conversation, d’autres motivations apparaissent. « On a aussi envie de continuer à agir », disent-elles. Elles étaient infirmières, éducatrices, assistantes sociale. Sensibilisées aux questions sociales, à la précarité, témoins de situations difficiles, elles ont voulu « changer un peu les choses, à mon niveau » comme dit l’une d’elle. Elles évoquent les bénéficiaires qui viennent s’approvisionner à l’épicerie : « Beaucoup arrivent très dépités et ils repartent avec le sourire, on redonne aux gens de la considération, on les écoute, parfois on oriente. »
Une mission de proximité fragile
Leur engagement est aussi dans leur fidélité à maintenir les permanences à l’épicerie. « Il faut qu’on soit assez nombreux pour pouvoir accueillir les personnes toutes les semaines, mais aussi pour échanger les points de vue en équipe, confronter nos idées. » L’épicerie est ainsi constamment en recherche de bénévoles, pour maintenir cet accueil et ces regards croisés en équipe, gage d’un travail et d’un accompagnement de qualité. L’équilibre est fragile pour cette petite association locale qui sollicite aussi les communes alentours pour avoir des aides financières, mais il est tenu par la motivation de ces bénévoles depuis quatre ans. Personne n’avait prévu la situation du Covid et la précarité que cela a engendrée pour des familles déjà fortement fragilisées. Les associations de proximité comme Episode ont été en première ligne lors de cette crise.
Envisager un engagement national
Un engagement ? Oui. Vis-à-vis des personnes précaires sur ce territoire d’abord. Vis-à-vis des mères isolées qui rencontrent des difficultés pour concilier déplacements en milieu rural, forcément en voiture, et faibles revenus, travail et garde d’enfants. « On voudrait interpeller les élus, le député. Il faudrait davantage d’aides pour les gardes d’enfant, ce sont des situations insolubles. » « Avec un petit revenu, à deux on s’en sort, mais en cas de séparation, seul, cela ne tient plus. » Ces problèmes ne se cantonnent pas à ce coin de campagne, la précarité des familles monoparentales, des femmes le plus souvent, est bien connue des intervenants sociaux un peu partout en France. 3