Le bénévolat face à la précarité

Passionné par son métier et son investissement associatif au sein de l’Autobus du Samu social de Rouen, Damien témoigne de son investissement et des répercussions que cela peut engendrer.
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photo Very Graphie

Pourquoi certains d’entre nous s’engagent-ils dans des actions bénévoles via des associations agissant auprès de personnes en grande précarité ? Comment pouvons-nous allier cet engagement entre vie personnelle et vie professionnelle ? Pour quels impacts ou bénéfices sur nos vies ? Propos recueillis par Jérôme Lateurtre.

Jérôme Lateurtre – Depuis combien de temps es-tu bénévole à L’Autobus ?

Damien - J’ai 30 ans, je suis infirmier au CHU de Rouen et je suis à l’asso depuis un peu plus d’un an. Je ne me rappelle plus de la date de la toute première maraude, mais ça doit faire un an.

JL - Pourquoi es-tu devenu bénévole ?

D - J’avais un peu rompu avec le bénévolat après avoir eu l’occasion de m’impliquer dans différentes assos notamment auprès de patients atteints du cancer. J’ai aussi été éducateur sportif bénévole dans un club de foot. Mais depuis quelques années je n’étais plus bénévole et ça me manquait un peu. Quand j’en discutais autour de moi, j’entendais que notre métier suffisait, que nous n’avions pas besoin de faire de bénévolat parce que nous sommes à l’hôpital public, mais ce genre de raisonnement ne me plaisait pas trop. Je cherchais à m’impliquer autrement. J’avais un ami, bénévole depuis quelque temps au Samu social. J’ai des souvenirs un peu flous, mais à chaque fois que je le voyais et comme ça lui tenait à cœur, il m’en parlait et je devais me montrer curieux de ça. Un jour il m’a dit mais pourquoi tu ne deviens pas bénévole ? Ça devait lui paraître évident et ça m’a paru évident aussi. Je n’avais aucune raison de dire non ; il ne me manquait ni l’envie, ni le temps, ni quoi que ce soit d’autre, donc je me suis lancé dans le recrutement et dans les maraudes d’essais.

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JL - Qu’est-ce qui t’a marqué lors de tes premières maraudes ?

D - Sur les deux premières, car cela s’est un peu dissipé par la suite, c’est le sentiment d’être vraiment mal en rentrant chez moi. De rentrer et de me dire que j’ai un toit, je peux prendre une douche chaude et que je me couche dans un lit douillet avec une couette bien chaude. C’était étrange, même si ce n’était pas le ressenti à avoir. Je me sentais presque coupable, c’était bizarre comme sentiment. Le fait d’avoir vu entre cinquante et cent personnes en précarité et à la fin rentrer chez soi, c’était un sentiment étrange. Le sentiment d’avoir côtoyé la misère la plus profonde, peut-être pas du monde mais de notre ville, c’était ça aussi qui était bizarre.

JL - Tu dis que tu n'es pas tranquille à l'idée d'être au chaud alors que d'autres vivent dehors ? Quelles valeurs portes-tu en tant que citoyen ?

D - J'ai un peu tendance à l'auto-flagellation mais j'ai pris beaucoup de recul à ce sujet ; des entretiens avec des psychologues n'y sont pas étrangers. Je n'ai pas à porter sur mes épaules toute la misère du monde, et puis, si je veux être aidant, il faut que je sois en paix avec moi-même. Je pense qu'il y avait aussi une part de révolte derrière cette culpabilité : comment le pays des droits de l'homme peut-il laisser autant de gens dans la rue alors que tant de logements sont inoccupés ? C'est clairement un manque de volonté politique. Les valeurs que je porte en tant que citoyen sont principalement le respect et la tolérance.

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JL - Parviens-tu à porter ces valeurs dans ta profession ?

D - Je pense et j'espère porter ces valeurs dans l'exercice de mon travail. Cela pourrait paraître facile car je suis infirmier à l'hôpital public, dans un service pour personnes précaires. Mais je suis parfois révolté par l'attitude de certains personnels de l'hôpital à l'égard du public migrant ou des gens de la rue, alors que l'hôpital est censé accueillir tous les patients sans discrimination.

JL - Comment as-tu réussi à dépasser cette culpabilité ?

D - J’aime bien parler et j’aime bien les gens de façon générale, et en maraude, j’aime bien parler avec les bénévoles, savoir pourquoi ils sont venus à l’asso, s'ils sont là depuis longtemps, échanger avec eux. Je me suis aperçu que je n’étais pas le seul à éprouver ce sentiment. J’en ai discuté aussi avec mon entourage et j’en suis venu à me dire que la culpabilité n’était pas le bon sentiment. Ceux qui ne font pas partie de l’asso trouvent que c’est déjà courageux et louable et ils ne comprennent pas trop ce sentiment de culpabilité. Et je me dis que je ne peux pas résoudre toute la misère du monde. Mon but serait que tout le monde ait un toit et une couette ; je n’ai pas à être coupable d’avoir tout le confort chez moi, et c’est déjà bien si j’essaye d’aider un peu les autres, d’apporter un peu de réconfort et oui, maintenant, j’ai dépassé, un peu, cette culpabilité-là.

JL - Tu parlais de réconfort. Que penses-tu apporter à ces personnes ?

D - Au début, je pense que j’avais une idée un peu erronée des missions du Samu social avant d’y adhérer. Je ne voyais ça que sous l’angle alimentaire. Je pensais que tout tournait autour de la distribution. C’est au fur et à mesure des maraudes que j’ai compris ce que c’était que de créer du lien avec les gens. Les bénéficiaires en parleraient sûrement mieux que moi, mais parfois je me dis que pas mal d’entre eux ont eu peu ou pas d’interlocuteurs dans la journée. Le soir, au Samu social, on peut échanger sur tout et sur rien. S’ils sont en retrait et qu’ils n’ont pas envie de parler on les laisse, mais s'ils ont envie de parler de la météo, de la politique, de leur vie, leur passé, de quoi que ce soit, je pense qu’on leur apporte une oreille attentive. Même si les conditions sont dures, l’ambiance peut être parfois sympa, avec de petits moments de rire, de détente. Parfois, on est dans le froid, ils ont passé la journée dehors, peut-être la nuit aussi, donc ces moments sympas, ces échanges, des gens à qui parler font du bien et certains ont l’air d’y trouver leur compte.

JL - Et a contrario, qu’est-ce que cela t’apporte ?

D - Ce qui m’intéressait c’était d’aider une population qui en avait vraiment besoin. Déjà dans ma volonté de travailler à l’hôpital public, ma motivation est de soigner tout le monde sans discrimination. Là, je voulais aider des personnes au plus mal, dans la difficulté et la précarité, d’où le choix du Samu social. Quand je me baladais dans Rouen, je n’étais pas à l’aise en passant devant un sans-abri ou quelqu’un qui faisait la manche. Parfois je disais juste bonjour et je n’étais pas trop content de ce que je faisais. C’est-à-dire pas grand-chose. Et je pensais à ma fille de quatre ans. Que dira-t-elle en grandissant quand nous passerons à côté d’un type qui fait la manche, qui tend la main ? Quelle réponse lui apporter ? Je me disais que j’aimerais bien venir en aide aux gens de la rue, aux gens en précarité, mais je n’étais pas spécialement à l’aise avec l’idée de donner de l’argent, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne attitude à adopter. Je n’étais pas très au clair avec ça mais je me disais que peut-être devenir bénévole dans une asso qui œuvre auprès des gens de la rue, pourrait être une réponse. Maintenant, quand je passe à côté de quelqu’un, je la salue et si la personne réclame quelque chose et que je ne lui donne pas, j’ai une réponse à lui apporter, je suis en mesure de lui dire que je suis bénévole au Samu social, lui demander s’il connaît, s’il veut passer nous voir. Et quand je pars à 18 heures, que ma fille me demande ce que je vais faire, je lui explique que je vais parler et distribuer à manger à des gens qui vivent dans la rue. Ça a répondu aussi un peu à mes questions, et je me sens plus au clair quant à l’attitude à avoir avec les gens de la rue.

JL - As-tu une anecdote marquante entre bénévoles ou avec les bénéficiaires, que tu aimerais partager ?

D – Sur les moments drôles, une surtout me vient à l’esprit, mais ça s’est présenté à d’autres moments. Une fois le camion garé sur la place du Vieux Marché, nous faisons le tour de la place et ce n’est pas toujours évident de différencier les bénéficiaires du reste de la population. C’est déjà arrivé que l’on se dirige vers quelqu’un pensant qu’il avait un sac sur ses genoux alors qu’en fait sa femme était juste allongée sur lui ; un couple tranquille à la sortie d’un resto qui n’attendait vraiment pas le Samu social. Et on s’est pointé à cinq véreux avec nos gilets de l’Autobus. On a fait demi-tour car il y avait une erreur de casting, c’était assez drôle. Sinon, un moment dur… tout est un peu dur quand même, il faut rester à l’écoute, dans l’empathie et il faut prendre un peu de distance parce que c’est quand même la misère la plus profonde, quand tu vois des gens sans abri qui font quinze ans de plus que leur âge réel, qui ont de multiples addictions, accumulent les problèmes, ce n’est pas facile de les côtoyer, c’est même assez rude. Ce qui me touche plus particulièrement en tant que soignant, c’est l’incapacité à remettre des gens dans les circuits de soins. Ils en sont complètement exclus, et malgré de multiples problèmes de santé, ils ne sont pas suivis. On en voit avec des pansements, des plaies, qui boîtent, qui viennent aux urgences et qui n’ont pas la patience d’attendre, qui n’ont pas eu les réponses qu’ils souhaitaient à leurs questions, qui sont partis. Autant de gens sans médecin, sans soin, et surtout hors du circuit d’où leurs difficultés. Et toujours ce sentiment que l’on pourrait faire plus pour eux s’ils acceptaient l’hospitalisation.

JL - Si tu devais résumer l’association, que dirais-tu ?

D - L’Autobus est une asso qui regroupe des bénévoles de tous horizons, quels que soient l’âge, le sexe, le métier ou les motivations lesquelles peuvent êtres différentes d’un bénévole à un autre. Après, pour y adhérer, il faut s’engager à venir en aide auprès de tous les bénéficiaires sans discrimination. Et puis, c’est donner de son temps auprès des gens de la rue pour contribuer à maintenir du lien social au moyen de distribution de vêtements, de nourriture ou de café, mais ce n’est qu’un prétexte pour maintenir ce lien social.

JL - Comptes-tu poursuivre ton investissement ?

D - Je n’en ai pas du tout fait le tour mais il faudrait que je sois plus rigoureux. Ce n’est pas seulement la faute à des contraintes de planning et je n’ai pas trop d’excuse. Comme je ne maraude pas régulièrement, je ne connais pas assez bien les bénéficiaires ; il y a trop de changement. Si je pouvais être plus régulier pour mieux les connaître. C’est aussi le cas pour les bénévoles, car je ne les connais pas tous. Je ne me vois pas m’impliquer plus que ça dans l’asso, être au bureau ou ce genre de choses car j’ai l’impression que certains font déjà ça très bien et je ne me sens pas spécialement compétent dans ce domaine. Continuer une fois par mois, car pour le moment, j’y trouve mon compte me parait hyper compatible avec mon travail. En plus, je rencontre des gens dans la rue que l’on soigne à l’hôpital public. Je me suis déjà occupé de quelques bénéficiaires, et ça me parait un peu dans la continuité de mon travail. Cela m’apporte beaucoup, j’ai le sentiment d’être utile. Il y a un côté quand même valorisant entre guillemets, d’être un peu satisfait de ce que l’on a fait. Ce n’est jamais facile de savoir où est notre place sur terre et comment aider les autres. Mais bon, quand on rentre d’une maraude au Samu, ça donne le sentiment d’avoir fait quelque chose de bien, c’est gratifiant, et donc oui, je me vois bien continuer comme ça. A priori, beaucoup de gens passent d’une asso à une autre, d’un bénévolat à l’autre, donc je ne sais pas si après le Samu social je rebondirai sur autre chose, mais pour le moment, je me vois encore pas mal de mois ou d’années j’espère dans l’asso.

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