Ne jamais cesser de croire

L’engagement a changé. Mais d’où que l’on vienne, c’est par le militantisme que le changement peut s’opérer. Parce ce que le formateur a appris sur le terrain, il peut transmettre et former à son tour en intégrant les projets novateurs et les modes sans les redouter
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Média secondaire

Former encore et toujours pour ne pas perdre les principes de l’engagement, transmettre tout au long de la vie et ne jamais rien prendre pour acquis. La loi essentielle à retenir est celle de la présence sur le terrain, au plus près des publics, afin de s’adapter aux changements de société. Car les publics accueillis ne sont plus ceux d’il y a quarante ans. Le problème essentiel réside dans le manque de reconnaissance du métier de la part des instances officielles malgré un engagement fort des éducateurs. En retour, ceux-ci peuvent tout de même se targuer de belles rencontres avec les enfants lesquelles donnent tout son sens à ce métier sous valorisé. Comment peut-on concilier les réalités d’aujourd’hui sans tout sacrifier aux modes excluant les acteurs de terrain.

Yakamedia – Comment vous présenteriez-vous ?

N. Q. – J’ai obtenu mon Dees en 1991, après un Deug (Bac +2) de physique chimie. Je voulais  être ingénieur et je faisais des petits boulots en parallèle de mes études ; c’est ainsi que j’ai découvert le travail social. Ma première expérience avant formation était dans une structure avec des personnes en situation de handicap, j’y ai travaillé pendant cinq ans : au départ comme maître de maison puis j’ai évolué et j’ai fini responsable de service. Après j’ai effectué mon service militaire, cette période m’a permis de faire le point sur mon projet professionnel et j’ai décidé d’entrer en formation d’éducateur spécialisé. J’ai donc fait trois ans à l’IRTS de  Ban Saint Martin en Lorraine. Nous partagions un tronc commun avec les ASS, les CESF et les EJE. J’ai fait trois stages : en protection de l’enfance, en psychiatrie (hôpital de jour) et en IME. Puis j’ai déménagé à Nantes et j’ai postulé dans différentes associations pour être finalement embauché comme éducateur dans une grosse association de protection de l’enfance, dans une MECS qui accueille des jeunes de 12 à 21 ans, voire 25 (CJM). Lors de ma carrière en MECS j’ai travaillé en semi autonomie et également avec des enfants plus jeunes. Je me suis formé tout au long de ma carrière et je suis formateur de terrain, ce qui me permet d’être maître d’apprentissage. J’ai également fait une licence professionnelle de management des établissements sanitaires médico-social et social.

Y – Quelles évolutions et grands tournants avez-vous pu observer?

N. Q. – J’ai vécu deux grandes périodes. De 1991 à 2000, les jeunes accueillis en MECS (Maisons d'Enfants à Caractère Social) arrivaient essentiellement avec des difficultés familiales et sociales. Pour y répondre nous avions des partenariats avec beaucoup de structures (hôpitaux) et des équipes assez stables. Après 2000 et jusqu’à 2022, les partenariats sont devenus très complexes. Chacun reste dans son coin. De plus les jeunes accueillis aujourd’hui en MECS ont souvent des troubles psychologiques voire psychiatriques très importants et cela pose beaucoup de questions dans les grands collectifs. Il serait bien d’avoir de plus petits groupes, avec des équipes plus stables, pluridisciplinaires (infirmer psy, ASS) mais les financements sont très réduits. La qualité de l’accueil et de l’accompagnement est mis à mal au dépend des jeunes, ceux qui sont pris en charge comme ceux qui ne le sont pas. Aujourd’hui on compte entre 300 et 350 mesures non exécutées en Loire-Atlantique fautes de places et de structures adaptées aux jeunes.

Y – Sur les questions d'engagement le changement est-il aussi important ?  

N. Q. – Il est énorme. Il y a quelques années, les éducateurs investis dans l’associatif étaient dans la mouvance post 68 et donnaient du temps aux dépends de leur vie personnelle ; il y avait du militantisme. Les associations de protection de l'enfance sont désormais de grosses associations souvent intervenant au niveau national. Une certaine course aux appels d'offres des départements permet de développer des projets novateurs certes MAIS des projets dans lesquels l'éducateur spécialisé  de terrain est le plus souvent écarté de la réflexion et de  la mise en place. Il y a quelques années, les projets, la création d'accompagnement spécifique et parfois atypiques partaient souvent de la base suite au constat des difficultés au quotidien dans l'accompagnement de l'usager L'éducateur était alors parti prenante et acteur de la mise en place de projet et de création de structures. Ensuite la formation a évolué, on se rend compte que cet engagement a changé, aujourd’hui les éducateurs ne veulent plus travailler en MECS, pour des raisons de reconnaissance salariale, pour les horaires et la reconnaissance des éducateurs dans le métier. Aujourd’hui travailler avec les migrants (MNA) ou en milieu ouvert est en vogue alors que l’internat vit des jours difficiles, c’est la dernière roue du carrosse. Le travail du quotidien est désinvesti.

Y – Que dites-vous aux jeunes lorsque vous êtes tuteur de stagiaires ES ?

N. Q. – (rire et silence) Le silence en dit beaucoup, la question est complexe. Je pense que la formation est très importante et qu’il est nécessaire de diversifier les stages. Ce que je dis beaucoup aux apprentis et aux stagiaires, c’est que la formation, c’est tout au long de la vie, il faut vraiment rester en veille. C’est un super métier, que j’adore, je suis depuis trente ans en MECS, c’est vrai que c’est dur, que c’est épuisant mais c’est tellement enrichissant. Le sourire d’un enfant, les moments informels à se raconter nos journées autour du goûter sont des instants magiques. On mesure tout ce travail des années plus tard lorsqu’on les revoit. Parfois ils reviennent pour dire merci, nous raconter leur parcours, nous présenter leurs enfants… J’ai  accompagné 400 jeunes, de belles rencontres, et je leur dis merci. Il y a pas longtemps une jeune m’a dit monsieur je suis en foyer ma vie est foutue alors je lui est répondu qu’elle avait tort de penser ainsi car elle a la vie devant elle et elle peut y croire et nous aussi nous devons y croire, malgré l’état de la protection de l’enfance, on se bat pour et avec eux car ils en ont besoin.