En travail social : les résident·es animent le jardin de leur foyer de vie

De quoi sont faites les journées des personnes avec une déficience intellectuelle qui ne peuvent pas travailler, accueillies en institution ? Ici, à côté de Tours, un établissement s’ouvre sur un jardin. Sylvain, raconte son quotidien d'"éducateur jardinier".
Média secondaire

Rozenn Caris : Tu peux nous présenter ton lieu de travail ?

Sylvain Desrousseaux : Je travaille dans un foyer pour adultes déficients intellectuels dans l'incapacité de travailler, il y a une partie hébergement et une partie ateliers. Je suis éducateur et coordinateur de l'équipe des ateliers de cinq éducateurs. On accueille les résident·es la semaine du lundi au vendredi le matin et l'après-midi.

Je m'occupe d'un atelier appelé « nature/créatif ». On l'appelle comme ça parce qu’on a un jardin, il y a un espace fleuri, un espace potager, on a aussi un espace avec des animaux. Le jardin est grand, avec plein d'espaces différents, on peut y faire pas mal d'activités ou même aller se poser sous les arbres, flâner regarder la nature, ce qui se passe.

Avec mon groupe de résident·es qui change tout le temps on s'occupe de cette partie-là et on fait plein d'activités autour du jardin : on crée des choses avec les éléments de la nature, on peut faire du land art ou fabriquer des produits de l’huile de noix par exemple. On fait nos herbes de Provence, nos tisanes …

On récolte ce que ce que l'on sème. On peut faire ou ne pas faire, être autonome sur des activités, on choisit ce qu'on souhaite faire. Chacun et chacune est libre de mener son activité, de découvrir, d'arroser à sa façon, il n’y a pas de contrainte de rentabilité. Chacun et chacune est libre de son activité et on essaye de se coordonner. On a des activités dans un petit potager où on fait quelques légumes, on entretient en toute saison.

On a une serre qui est assez grande ce qui permet de faire beaucoup de bouturage et faire des semis pour nos parties fleuries. C’est une micro pépinière qu'on ouvre au public. On fait nos semis pour nous, pour le jardin mais aussi pour d’autres.

Cemea
RC : Tu travailles avec un groupe important ?

SD : Dans mon groupe je peux avoir un groupe de 4 un après-midi pour faire des arts forains ou jusqu'à une dizaine de résident·es, ça dépend des activités qui sont proposées aussi à côté. Quelques-uns passent leur semaine à « nature/créatif » et d’autres juste une journée ou une demi-journée.

R.C : Que faites-vous de ce que vous cultivez ?

S.D : Ce qui est récolté est revendu grâce à une petite coopérative au sein des ateliers, ce qui nous dissocie de la structure et de tout l'établissement médico-social. Les résident·es et les membres des équipes éducatives qui le souhaitent sont adhérents de la coopérative. On fait une AG, on a des élections et les résident·es sont représentés à tous les échelons : ils font la trésorerie, le secrétariat et il y en a un au niveau de la présidence aussi.

On a créé avec l’atelier bricolages des séchoirs pour faire sécher les plantes récoltées au jardin pour les tisanes. On a des carrés potagers avec des aromatiques qu'on récolte, qu'on fait sécher. Les résident·es adorent jouer du ciseau pour découper les plantes. Les cueillettes sont valorisées sur place avec la cuisine pédagogique de l’IME.

Beaucoup de fleurs restent au jardin pour être admirées, ou pour les insectes mais d’autres sont coupées elles seront utilisées en décoration ou vendues. On fait une réunion pour décider de ce qu’on fait de l’argent de la vente, on va manger au restaurant, on fait des sorties.

On vend dans tout type de manifestation : on a participé à des marchés de noël des journées portes ouvertes, on a un tenu un stand dans une manifestation pour la fête de l'environnement de la communauté de communes, on vend aussi aux salariés et aux familles des résident·es et aux résident·es qui peuvent acheter.

En automne-hiver, on récolte nos noix : on casse les noix nous pour faire notre huile, ça prend pas mal de temps et après l'hiver, on termine de tailler ce qu’il y a à tailler, on va ramasser les feuilles qui sont tombées pour éviter trop de désherbage qui nous fait mal au dos. On anticipe le printemps, on essaie toujours d'avoir un temps d'avance, ce qui permet de travailler son rapport au temps. L’hiver on fait aussi de la vannerie, ce qui permet de décorer un peu le jardin, d'amener l'art au jardin.

Cemea
R.C : Le jardin, c’est aussi un lieu aussi un lieu de passage et une circulation …

S.D : Oui dans l’institution, c'est un lieu de passage, un lieu de vie. On dit que c'est le jardin du foyer en fait c'est le passage où y il a les jeunes de l’IME qui passent, tu peux avoir des salariés qui passent. 

Le jardin est un lieu de rencontre où l'on échange, on s’arrête pour se dire bonjour, dire ce qu'on fait ce qu'on récolte. C’est un lieu convivial où on peut aller pour faire une activité, on peut se poser.  C'est un lieu où l'on fait beaucoup de choses : fêter des anniversaires, boire un petit coup.

R.C : C’est aussi un lieu ouvert sur le village …

S.D : Cette année, la serre a été ouverte au public pour que les gens puissent venir acheter des plants. On parle beaucoup d'inclusion, de sortir, on participe à des projets extérieurs mais ici notre objectif c'est d'ouvrir les portes le plus possible et les gens viennent et voient ce qui se passe.

Il y a une valorisation vis-à-vis d'un public extérieur qui voit que les résident·es sont capables de faire des choses.

C'était très enrichissant de les voir expliquer ce qu'ils font, accueillir le public : « là c’est moi qui ai planté, là c’est moi qui arrose, je fais ça comme ça de ce côté-là ». C’est très important parce que c'est un objectif pour eux et une fierté de te faire ces choses-là, de montrer qu’ils fabriquent quelque chose d’utile.

Le jardin est un lieu de rencontre où l'on échange, on s’arrête pour se dire bonjour, dire ce qu'on fait ce qu'on récolte. C’est un lieu convivial où on peut aller pour faire une activité, on peut se poser.

R.C : Qu’est-ce que cette activité apporte ?

S.D : Faire du terreau, rempoter, remplir les pots de graines, arroser, voir comment ça pousse, donner vie à quelque chose à partir de graines, on l'arrose, on l’entretient et ça devient une plante, c'est ce qui est très valorisant pour les personnes qui voient une évolution de ce qui se passe.

Le jardin est grand, ça permet à des personnes qui ont besoin de bouger de passer la tondeuse sur des grands espaces ; ils peuvent se permettre de faire ça, d'utiliser des outils pour ça. D’autres vont se poser sur un siège, être un peu isolés, être cachés un petit peu et voir ce qui se passe, sentir les odeurs, voir tous ces insectes qui bougent un peu partout c'est important. Parce que ça permet de donner de l’apaisement pour certains et certaines.

On n'est plus centré sur soi mais sur le jardin, sur « qu'est-ce qu'on peut faire en fonction des conditions climatiques ». Ça apporte une connexion, à son lieu de vie, à la terre, à des choses naturelles, à une certaine beauté, à l'environnement qui nous entoure.

Il y a le côté soin qui est qui peut être fait par jardin : « je prends soin de quelque chose c'est une plante un être vivant c'est quelque chose qui vit », on prend soin de soi aussi. C’est peut-être bon pour la plante, ça va apporter un rapport au corps aussi. « j'ai laissé dépérir une plante, elle va « dépérir ». On ne fait pas de jardin pour faire du jardin, on cherche à travailler d'autres choses derrière et ça devient un jardin thérapeutique.

Pour moi le jardin c'est un élément naturel, il faut qu'il soit présent pour ne pas vivre entre quatre murs mais avec une saison c'est ce printemps, c'est l'été on en profite, c'est l'automne, c'est l'hiver et même si le bois est mort, il est toujours vivant, il faut quand même l'entretenir.

Il y a une valorisation vis-à-vis d'un public extérieur qui voit que les résident·es sont capables de faire des choses.

R.C : Être jardinier, c’est être écolo, même avec un handicap ?

S.D : Je suis très écolo dans ma pratique : le but du jeu c'est d’être au plus proche de la nature sans avoir une intervention qui peut être nocive donc je n’utilise pas de produit, on essaye d'être le plus écologique possible. On essaie de valoriser le maximum de choses par exemple les pots qu'on récupère à droite à gauche. On a bien sur le recyclage, le ramassage des déchets, on a des récupérateurs d'eau, on essaie trier tout ce qui est plastique, on fait attention à ce qu’on utilise, ce qu'on met au jardin.

Les résident·es sont sensibilisés, à ce qu’on mange, ce qu’on utilise, qui peut avoir des effets sur son corps et sur son bien-être. On essaye de travailler le cycle, d'être autonome le plus possible au jardin.