LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Le social, c’est recréer des liens et connecter les personnes à leur environnement

Marie Toustou est éducatrice de formation et formatrice à l’Institut du Travail Social Érasme. Elle revient sur la manière dont elle envisage l’articulation entre travail social et écologie politique.
Média secondaire

Crédit photo de bandeau : Jürgen de Pixabay

Propos recueillis par Armaury Dupont.

Tu interviens depuis plusieurs années, auprès des étudiant.e.s, autour du travail social et de l’écologie politique. Peux-tu nous partager où t’ont menée ces années de réflexions ? 

Pour moi déjà, c’est un grand bonheur d’avoir pu les partager, et les mettre en place, avec les étudiant·e·s. C’est un grand bonheur car les questions environnementales aujourd’hui sont révélatrices de l’état de notre société. Nous ne pouvons pas passer à côté de ces réflexions au niveau pédagogique. 

Il y a une obligation à s’emparer de ces questions notamment avec le réchauffement climatique et tout ce que cela peut créer comme désordres, comme empêchements et comme nécessité, pour toutes et tous, de vivre dans un environnement sain

Cette thématique me touche en tant que citoyenne, en tant que femme, que formatrice aux métiers du social. Je pars de deux postulats. Le premier c’est que nous avons tous et toutes une capacité d’action pour restaurer du vivant et vivre au mieux avec la planète sans la détruire. Le second, c’est un objectif professionnel : faire vivre les droits des humains et non humains. C’est-à-dire sensibiliser les apprenant·es à la lutte contre les atteintes à l’environnement. 

 

Je me rappelle des premiers cours, les étudiant.e.s me parlaient des bac de tri. L’écologie c’était le tri. Après le séjour ils avaient une tout autre vision plus complexe et reliée à leur pratique en termes d’activité et de pensée.

Un formateur, une formatrice se doit d’œuvrer à la mise en place d’un environnement vivable pour les humains et les non-humain, un environnement propice à la création d’une autre pensée. Pensée permettant un changement dans les pratiques et conduisant à un changement de société. 

Peux-tu nous dire rapidement ce que tu entends par écologie et par travail social ? 

Pour moi l’écologie, et je me fie à la définition étymologique qui provient du grec ancien oîkos qui signifie « maison », renvoie à la vie dans la maison et à la vie dans un environnement. La question du travail social, quant à elle, est d’appréhender les humains dans leur propre environnement. Donc, pour moi, les deux sont liés. Dans le travail social, nous avons une approche globale de la personne concernée (accès aux services, au logement, à la culture, à la santé, à la nourriture et au travail). Nous travaillons autour de l’environnement familial, professionnel, du territoire mais aussi des milieux de vies. Milieux qui ont été durablement affectés et modifiés de façon significative par le développement industriel. 

-> Rapports du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)

Si on reprend les principes internationaux du travail social, définis par l’association internationale des écoles de travail social (IASSW) en 2014, la question de l’interrelation entre l’individu et son environnement est fondamentale. Selon cette définition, « le travail social est une pratique professionnelle et une discipline. Etayé par les théories du travail social, des sciences sociales, des sciences humaines et des connaissances autochtones, le travail social encourage les personnes et les structures à relever les défis de la vie et agit pour améliorer le bien-être de tous. » Ces principes définissent le droit à la diversité des espèces comme un droit essentiel que doit défendre le travail social. 

-> Définition internationale du travail social selon l'IASSW

Alors justement, comment envisager cette position du travail social alors qu’on se rend compte aujourd’hui que l’individualisation des parcours prend une place de plus en plus importante dans les accompagnements au détriment du collectif ? 

Je pense que nous ne pouvons pas concilier l’écologie politique et le travail social avec des politiques libérales. Plus on isolera les personnes, plus on leur transmettra des principes individualistes, des principes libéraux, plus on enlèvera de la liberté aux personnes. Les droits ont une dimension collective. Si on ne les place pas dans cette dimension collective, on n’arrivera pas à changer la société et à traiter des grands problèmes environnementaux. 

On sait que les milieux populaires sont, et seront, les plus durement touchés par le dérèglement climatique, les pollutions industrielles et la dégradation des écosystèmes. Face à ce constat, comment penser notre action sans tomber dans le piège moral de la responsabilisation individuelle des pratiques écologiques ? 

En fait, ce sont les pauvres que l’on veut faire payer, ce sont les pauvres qui ne trient pas leurs déchets… Systématiquement lorsqu’il y a des problèmes de société il y a une tendance à stigmatiser une partie de la société. Mais je pense que l’écologie punitive est impossible. Nous ne pouvons pas dire à quelqu’un : « Vous avez mal rempli votre container, vous n’êtes pas pour l’écologie ! » Nous entendons pourtant ce genre de paroles. Plus la personne est seule, plus elle est déconnectée de son environnement et moins nous sommes dans le social. Le social, c’est recréer des liens et connecter les personnes à leur environnement. À l’environnement en tant que système. 

Tu organise des séjours dans le cadre de la formation des moniteurs éducateurs sur la question de l’articulation entre le social et l’écologie …. 

Ces séjours avec les moniteurs éducateurs c’était partir vivre autrement et expérimenter la vie collective sur 4 ou 5 jours : faire les repas, organiser les activités et tout ce qui avait trait au séjour. Revenir ensuite et analyser ce qui avait été vécu dans la promo. Comment faisaient-ils le lien entre la vie collective vécu et la pratique éducative en tant que ME. 

Et donc sur les derniers séjours, nous avons travaillé cette question de l’écologie et du travail social. Ils avaient suivi des cours sur l’écologie politique et ils avaient rencontré des personnes qui œuvraient notamment sur les Pradettes à Toulouse autour des jardins partagés, des paniers solidaires. 

Et en effet, les étudiant·es l’ont dit, ça peut redonner du sens au travail et sortir du sentiment d’impuissance. Je me dis, là, nous avons des billes, là, nous tenons quelque chose en lien avec les étudiant·es. Pour moi cela a du sens de travailler sur ce terreau qu’est le collectif pour faire pousser et pour faire germer des pratiques nouvelles

Voilà, parce que je me rappelle des premiers cours, les étudiant.e.s me parlaient des bac de tri. L’écologie c’était le tri. Après le séjour ils avaient une tout autre vision plus complexe et reliée à leur pratique en termes d’activité et de pensée. Mais si nous ne l’expérimentons pas avec eux… il est plus difficile de s’en saisir… 

Nous avons besoin de cela, nous sommes un peu des passeurs, puis nous devons aussi inspirer de nouvelles pratiques. Moi, je vois mon rôle un peu là-dessus. C’est à nous, formateurs, de politiser cette question