Groupe, individu et activités
C’est le matin, après un réveil individuel au rythme et en fonction des besoins de chacun.e, suivi d’un petit déjeuner lui aussi individualisé, les enfants naviguent entre les différents espaces du centre de vacances. Il y a des coins d’activités spécialement aménagés pour bricoler, scier, sculpter… d’autres pour peindre ou dessiner. Certains enfants, seuls ou à plusieurs, vont passer un moment avec les chèvres, les poules, le poney ou l’âne, d’autres lisent dans un coin bibliothèque ou en emportant des livres ailleurs. Mais on trouve aussi des enfants qui jouent ensemble. Des jeux pouvant parfois être en interaction avec les coins d’activités mis à disposition : « Et si on jouait à la pêche… » Devant cette brillante idée, qu’ils viennent d’avoir, Paul et Yanis qui étaient près des chèvres se dirigent vers l’atelier pour recouper des bâtons, trouver de la ficelle et se fabriquer des cannes à pêche, supports d’histoires à inventer... Les attitudes des enfants dans ce fonctionnement informel de début de matinée sont assez diverses et fluctuantes. Certains restent longtemps dans leur activité, d’autres changent. Des petits groupes se forment le temps d’un moment ou plus longtemps. Parfois un enfant s’isole, puis rejoint les autres. Les âges se mélangent. Ce temps d’activités donne aussi l’occasion de se retrouver, de partager, d’imaginer, de s’organiser…
Mais cet environnement, ces ateliers et coins divers ne sont pas improvisés. Ils ont été pensés et construits par les animateurs et les animatrices. En voyant des enfants fixer avec des serre-joints une planche avant de commencer à travailler le bois, en respectant des consignes de sécurité, visiblement intégrées, je repensai à la phrase de Fernand Deligny : « Sois présent, surtout lorsque tu n’es pas là. » Les adultes ont préparé les enfants à utiliser les outils, à ranger, à pouvoir être autonomes dans ces activités et cela représente un vrai travail d’accompagnement, qui ne consiste pas seulement à donner des consignes. Les animateurs et les animatrices sont présents, circulent entre les ateliers, parfois y restent en fonction des situations. Les adultes sont pour les enfants des personnes ressources, auprès desquelles ils peuvent venir chercher de l’aide, des conseils ou une présence. Une autonomie dans le choix et la pratique de l’activité qui est la résultante d’un environnement porteur et de relations de confiance.
J’ai retrouvé cette possibilité d’activités autonomes après un pique-nique au bord d’un petit ruisseau. Les enfants se sont répartis et organisés. Les deux pêcheurs, faisant des émules, s’amusent à tremper leur canne et à imaginer des prises extraordinaires. D’autres enfants individuellement ou en groupe cherchent des grenouilles, construisent un petit barrage, discutent, assis sur des rochers affleurant l’eau, jouent à faire voguer des petits morceaux de bois au fil du courant... Parfois un enfant solitaire remonte le ruisseau, s’amusant à tester la force de l’eau avec le pied ou la main, ou simplement regarde le courant et le paysage, puis rejoint un groupe. Mais on voit également des enfants faisant tout autre chose : un groupe préparant une chorégraphie à l’ombre des arbres, ou un enfant écoutant avec complicité l’histoire lue par une animatrice.
Là aussi, le rôle des adultes est essentiel dans ces activités autonomes qui pourraient sembler vivre d’elles-mêmes. Les lieux ont été repérés en fonction de critères de sécurité, les enfants habitués à s’organiser et à pouvoir compter sur les adultes, qui sont là en tant que ressource. Dans leur gestion de ces moments d’autonomie, les animateurs et les animatrices ont également la capacité d’évaluer et ce qui relève ou non du risque. Se retrouver assis dans l’eau, être mouillé ou avoir de la boue sur soi ne constitue pas un danger, lorsqu’il fait chaud et que l’on peut se changer après. Mais d’autres situations peuvent être plus problématiques et les adultes veillent. La confiance que leur accordent les enfants se construit aussi par le fait que les interdits sont justifiés par la sécurité et non par les apparences.
Mais tout n’est pas individualisé dans les temps d’activités de ce séjour et d’autres moments sont organisés collectivement et gérés par les animatrices et les animateurs.
Plus tard dans la matinée, certains groupes jouent à des jeux sportifs dans lesquels des équipes s’affrontent avec des règles codifiées. D’autres font du modelage avec de la terre glaise ou peignent des tissus dans le cadre d’un projet en cours. Un groupe fait du jardinage et après avoir désherbé, les enfants organisent les plantations. D’autres s’occupent des animaux. Des séances d’initiation à l’équitation se déroulent aussi par alternance.
L’après-midi un jeu d’orientation est proposé à l’ensemble des groupes. Les enfants doivent collaborer au sein de leur équipe et mettre en commun leurs suggestions, leurs connaissances et tâtonner pour se diriger à l’aide d’un plan et arriver aux différentes étapes d’un parcours qui leur est attribué. Les équipes sont autonomes, mais des adultes sont placés à des lieux stratégiques pour pouvoir aider si besoin ou simplement rassurer de leur présence.
Ces moments structurés autour d’un groupe et d’une activité sont divers et amènent à des situations multiples de coopération et ou d’opposition. Dans ces temps d’activités, les animateurs et les animatrices organisent, gèrent et parfois imposent ce qui relève du collectif. Les enfants participent en fonction d’un objectif commun et doivent, de fait, prendre en compte les autres.
L’ensemble de de ces temps d’activités, qu’ils soient en autonomie ou non, sont évoqués et discutés avec les enfants lors de points qui permettent d’avoir un retour sur ce qui a été vécu ou de préparer la suite du séjour.
Le récit de ces quelques moments de vie partagés et de leur diversité nous amène à nous interroger sur la place de l’individu et du groupe dans les vacances collectives. Rompant avec la vision très médiatique et sécuritaire de l’adulte, qui en tant que responsable, organise et dirige l’ensemble des activités du groupe qui lui a été confié, ces exemples d’activités nous montrent la richesse éducative que peut représenter la variété des situations. Etre capable de choisir par rapport à un environnement, à des sollicitations, à ses envies, mais également par rapport aux autres est un véritable apprentissage, qui dépasse de loin le choix d’une activité préétablie dans une liste. Ces activités autonomes amènent les enfants à s’organiser, à négocier entre eux, à s’adapter à la réalité et ses possibilités en fonction de soi et des autres. Elles permettent également de pouvoir établir des relations privilégiées avec d’autres enfants, d’être en lien avec d’autres groupes. Mais aussi de pouvoir se retrouver seul.e.
Un équilibre qui en fonction des réalités de chaque enfant lui donne la possibilité de pouvoir prendre du recul pour se ressourcer et se reposer du collectif, comme dans ces jeux, où il y a un camp qui permet après une action de course de pouvoir reprendre son souffle en sécurité et d’élaborer les stratégies à venir. Les enfants se retrouvent aussi dans des situations où ils doivent s’adapter au groupe et à ce qui a été prévu, prendre en compte l’équipe, coopérer, proposer, faire des concessions, s’adapter… des relations entre enfants, mais aussi entre enfants et adultes, qui se bâtissent par le vecteur de l’activité et de projets collectifs.
Un rapport à l’autre qui se nourrit de l’activité et de situations multiples et complexes, pour construire des relations dans le respect de chacun.