De la famille à la crèche : tisser le lien

Peut-on mettre les projets de la structure d'accueil des tout-petits et des parents en adéquation ? Le temps de la « familiarisation », s’il est un temps pour se séparer, est aussi un temps pour se rencontrer.
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En 1943, le pédiatre anglais Donald Winnicott déclare : « un bébé seul, ça n’existe pas. » Dès sa naissance, le bébé est doté de compétences lui permettant de s’assurer que l’adulte qui s’occupe principalement de lui réponde à l’ensemble de ses besoins fondamentaux. Le nouveau-né est traversé en permanence par des sensations qu’il ne peut comprendre et dépend entièrement de cet adulte pour combler ses besoins vitaux : être nourri, changé, dormir, mais aussi réguler sa température, être porté, contenir ses émotions…

Grandir c’est apprendre à se séparer tranquillement

La personne qui s’occupe en priorité de lui, souvent appelée « la mère » dans les écrits des psychiatres et pédiatres du 20e siècle, devient sa « figure primaire d’attachement » (John Bowlby, 1958). Le bébé développe des comportements comme les pleurs, les sourires, les regards qui, pour peu que la mère soit « suffisamment bonne » (Winnicott, 1953), entraînent l’arrivée de sa figure d’attachement ou son maintien à proximité, ainsi qu’une réponse à ses besoins. Répondant dans un premier temps de façon immédiate à ses besoins, la mère laisse au fur et à mesure que l’enfant grandit un temps un peu plus long entre la « demande » et la « réponse ». C’est cet espace de latence qui amène progressivement le bébé à développer sa sécurité intérieure propre et à acquérir un « sens social ».

Cemea
L’enfant, s’il a acquis l’assurance que son besoin sera comblé, apprend petit à petit à « faire avec » ce moment d’attente. Il devient capable de le supporter et y trouve même matière à développer un monde qui lui est propre, prémices à l’imagination et à la créativité.
Un attachement « sécure » (Mary Ainsworth, 1965) favorise chez l’enfant ses capacités d’exploration du monde, et pose les bases d’une sociabilité possible. L’enfant doit trouver et renforcer ses modes de communication avec sa figure d’attachement, et s’entraîne par là-même à entrer en relation avec d’autres personnes par la suite.

Parallèlement à cette théorie, Winnicott développe la notion de « capacité d’être seul ». Il postule que, durant ses premiers mois, l’expérience en présence de sa mère de temps limités de solitude paisible rend possible par la suite les séparations temporaires et l’attachement à des figures secondaires dans le cercle familial, puis dans la société. 

À la crèche, l’observation bienveillante du bébé permet aux professionnelles de percevoir et de mettre en mots les émotions qui le traversent. Par leurs regards, leurs paroles et la manière dont elles portent les tout-petits, elles prennent le relais de l’attachement familial. L’enfant peut continuer à se sentir contenu et sécurisé, et poursuivre son exploration du monde. La période de familiarisation permet également à l’enfant de voir dialoguer ses parents avec les accueillantes et ainsi de s’assurer peut-être de manière instinctive qu’il a leur accord pour investir cette nouvelle relation.

Faire dialoguer le projet parental et le projet des professionnelles de la petite enfance

Le projet parental et celui de la crèche se rencontrent. Ils sont tout aussi légitimes l’un que l’autre et pensés pour le bien-être de l’enfant. Mais leur mise en œuvre et leur articulation sont parfois complexes. Côté parents, la manière dont on souhaite élever son enfant dépend de nombreux facteurs, depuis sa propre histoire d’enfant jusqu’aux injonctions subies à la maternité, chez le pédiatre, à la PMI ou en famille élargie. Ce à quoi s’ajoutent aujourd’hui des « modes », que relaient largement les réseaux sociaux, comme l’illustrent les débats entre tenants de « l’éducation positive » et ceux du « time out », entre ceux qui défendent les mérites du « cododo » ou à l’inverse de la chambre à part dès la naissance. Dans le même temps, la parentalité devient un enjeu commercial fort. De nombreux ateliers parentaux de toute nature sortent de terre : massage, communication signée, bébés-nageurs, portage en écharpe, chant pré et post-natal… Il faut réussir à tout-prix les premières années de bébé, quitte à faire appel à un « coach parental » pour être guidé. La pression sur les parents est importante et le budget de certains d’entre eux non négligeable pour parvenir à être des parents dignes de ce nom. 

Les professionnelles de la petite enfance sont elles aussi prises entre plusieurs représentations de la « bonne façon » de s’occuper des jeunes enfants. Elles sont porteuses elles-mêmes de l’expérience de leur propre éducation et parfois de leur vécu de parent. À ces mécanismes internes vient s’ajouter le projet de la structure pour laquelle elles travaillent. Autant de choix éducatifs, organisationnels et de références théoriques ou pédagogiques qu’elles ont parfois contribué à mettre en forme pour créer le projet de la crèche, ou qu’elles ont simplement découverts à leur entrée dans la structure.

Construire un accompagnement individuel cohérent pour chaque enfant

Échanger, co-construire l’accompagnement de chaque enfant, est donc un temps essentiel pour pouvoir rendre audibles pour les parents et compréhensibles pour le bébé les pratiques de l’équipe. Dans les séances d’analyse des pratiques professionnelles devenues obligatoires dans les crèches en 2022, les accueillantes croisent collectivement les approches parentales et institutionnelles pour construire un accompagnement individuel cohérent qui réponde aux besoins du jeune enfant, sans imposer de nouvelles injonctions aux jeunes parents. C’est aussi ce à quoi s’emploient les lieux d’accueil enfants-parents (LAEP), ainsi que certains ateliers mis en place dans des crèches qui permettent aux parents de se retrouver entre pairs, de croiser leurs regards, de partager leurs expériences, ce qu’ils ont tenté, ce qui a fonctionné ou non avec leur enfant, et ainsi de retrouver de l’autonomie et du pouvoir d’agir dans leur rôle parental.

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