LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Marionnettes de type jeux de théâtre

La marionnette est un objet de théâtre et en tant que tel, apparaît multiple et d’une richesse incomparable. Elle suscite des interrogations, provoque des débats et donne l’occasion de réfléchir. Ici, quelques idées sont égrenées qui ouvrent des pistes sans asséner des vérités.
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Aujourd’hui, une fois déconstruites les représentations réductrices qui la définissaient, la marionnette a retrouvé une légitimité qui lui sied mieux que le regard de commisération qu’on lui portait jusqu’alors. Elle est de tous les âges et se targue d’être le lieu de « l’entre ». Elle permet aux enfants l’exercice d’un certain pouvoir, d’une certaine toute-puissance. Elle donne la possibilité de construire une sorte de double. Elle offre plusieurs entrées possibles, des dispositifs de jeux modulables (castelet, table, devant/derrière…). C’est un objet à faire théâtre.
Média secondaire

Tout ceci conduit à défendre un BAFA 3 avec comme seule entrée l’art de la marionnette et à affirmer qu’il est nécessaire qu’elle continue à diffuser ses effluves expressifs dans toutes les structures d’animation.


Simultanément et en petits groupes, chacun des quatre groupes ayant vécu deux des quatre tentatives proposées, les participants à un regroupement de fromateur·ices ont explicité à mi-parcours quelques questions qui leur semblaient, prioritaires. Celles-ci ont été regroupées et synthétisées dans quatre entrées par les deux animateurs du regroupement et remises en débat sous la forme qui suit, constituant un cadre et des points de départ des échanges. En séance plénière (forme alternée du Phillips 6x6)*, les cinq groupes de participants ont essayé de donner des réponses à quatre séries de questions et en ont formulé d'autres. En différé, les animateurs des quatre ateliers ont proposé, par écrit, des réponses qui se trouvent à la suite sous forme d'interviews reconstruits. En relayant ces réponses partielles nous ne cherchons pas à transmettre des savoirs figés mais plutôt à amener chacun à réfléchir à sa pratique, à se poser de nouvelles questions et à trouver ses solutions.

[*Six groupes de six disposent de six minutes pour produire une opinion. Méthode active d’animation de groupe qui permet rapidement de gérer un grand groupe et de produire une réflexion efficace.]

Quelques réponses apportées par les animateurs d’ateliers

Interviews reconstruits et réalisés par Jac Manceau en partant de réponses écrites.


 

Quelques réponses de Danièle Keim

Ven - Avant d'essayer de répondre aux quelques questions posées lors de la séquence bilan de cette série d'ateliers du regroupement, peux-tu nous indiquer quelles étaient vos intentions majeures à Pascal, ton complice, et à toi en proposant cet atelier ?

DK - D'abord, déconstruire des représentations réductrices de la marionnette ; pour certains ce serait une forme théâtrale tout au plus bonne pour les enfants ce qui revient comme le disait Vitez, à mépriser marionnettes et enfants. Ensuite, découvrir la place de la marionnette dans la vie des hommes car toute son histoire balance entre deux pôles toujours présents, plus ou moins émergents : le pôle sacré et le pôle politique. [Voir l’article de D. Houdart: « L’exorciste et le possédé. »] « Elle est un instrument fort, qu’on ne peut confondre avec un homme, pour démontrer artistiquement la non fatalité de l’état des choses, des hommes, de l’espace, du temps et de leur séparation » [G. Lespinois.] Enfin, faire découvrir que si l’animateur d’une activité marionnette doit, bien sûr avoir une certaine maîtrise des conventions et des techniques de cet art difficile, il doit surtout avoir fait l’expérience intime de ses paradoxes : tout ce qu’on révèle, lorsqu’on est caché, la pauvreté apparente, l’indigence de la poupée et son invincible force, sa liberté irréductible.
« Plus l’orifice est petit et plus l’esprit humain s’y introduit jusqu’à dilater l’espace à la mesure de ses rêves » disait François Lazaro et « Peut-être que la marionnette sait exprimer ce que nul n’ose dire sans masques, certaines parviennent à traduire les plus subtiles et les plus violentes émotions», selon les mots de Grégoire Callies. Au-delà de ces objectifs prioritaires, pour être plus concret, quels ont été vos choix méthodologiques ?

Choisir une approche classique (marionnettes à gaines et castelet) se justifie par notre intention de partir de ce qui est connu par les participants pour les guider vers de l'inconnu et explorer des registres inhabituels. Cela nous semble une forme de travail moins déstabilisante. Par ailleurs, négocier les paliers qui pourraient être délicats ; si les marches sont trop hautes, cela peut provoquer des craintes, des refus.

Cela nous a conduits à prendre du temps pour explorer, découvrir, faire à plusieurs – travail à deux dans une relation d'aide – se nourrir aussi de ce que font les autres. Comme il n'y a pas toujours la notion de public, c'est un va-et-vient constant entre être devant et derrière le castelet. Enfin, la démarche proposée est une construction cohérente ; elle doit permettre une réutilisation permanente de ce qui a été découvert aux étapes précédentes. La marionnette n'est pas seulement une activité d'expression et de communication artistique utilisable par les enfants mais si ponctuellement on se centre plus particulièrement sur l'éducation initiale d'un individu et sur l'enfance, que peut apporter, selon toi, aux enfants la pratique des jeux de marionnettes ? Je m'appuierai sur un article d'André Giles pour répondre à cette question. La marionnette remplit des fonctions de «consolation/réconfort», de « structuration du MOI» et «d’incitation à une verbalisation» visant un mieux-être.

Ven - Quand on parle de «fonction de consolation, de réconfort», de quoi s'agit-il ?

DK - La marionnette permet à l'enfant d’exercer son pouvoir sur cet objet inanimé, en attente de mouvement, de vie. Face à des expériences quotidiennes de son infériorité, elle lui permet l’exercice d’une certaine toute-puissance. Par ailleurs, elle rend l’expérience de la séparation acceptable en apaisant les angoisses de l'enfant. Sur le mode symbolique, elle démontre la permanence des êtres et des objets même s’ils échappent à la vue et le pouvoir du rappel et de l’évocation. Pour ce qui est de la « structuration du MOI», Le pouvoir «transitionnel» de cet objet joue un rôle positif dans sa formation et dans la constitution de son équilibre.

C’est cet objet qui «vient de l’extérieur, mais l’enfant ne le conçoit pas ainsi. Il ne vient pas non plus de l’intérieur: ce n’est pas une hallucination». (Winnicott). La marionnette a une fonction de «double» et c'est là une fiction qui aide à vivre. Enfin c'est un moyen «d'incitation à la verbalisation. » Le mutisme de la marionnette laisse toute la place à la parole du manipulateur. En faisant parler les marionnettes, les enfants n’ont pas conscience de livrer leurs difficultés, voire de s’en délivrer. À cette occasion, on observe souvent d'ailleurs l’explosion d’une agressivité insoupçonnée autant verbale que gestuelle. La manipulation des marionnettes entraîne chez le manipulateur, des phénomènes de projection dans son personnage liés à une libération involontaire de la parole et des phénomènes d’identification chez les spectateurs.

Ven - Le jeu de la marionnette implique aussi la capacité à gérer le paradoxe : l’objet qui, en même temps, est et n’est pas. Paradoxe qui doit constamment être maintenu pour que le jeu soit là pour les deux parties. La marionnette en tant que pratique de joueur mais aussi comme pratique active de spectateur a donc un impact fort sur les enfants ; peux-tu préciser quel est cet impact et quelles sont les précautions, voire les soucis déontologiques, que cela doit susciter chez l'adulte marionnettiste  ?

DK - Son impact est très fort tant par le verbe, que par le geste ; c’est la fascination scopique. De ce fait, le risque est grand quant à l’impact des idéologies véhiculées. «Tandis que les marionnettes s’agitent, ce sont les enfants qui sont manipulés», écrit Colette Duflot. Le marionnettiste doit donc être vigilant de manière à respecter l’enfant dans ses besoins affectifs et sociaux, à le rassurer sur sa capacité à grandir, à maîtriser les risques inhérents, à clarifier la relation fiction et réel.

Il doit être conscient que l’intérêt des enfants (rire et peur) est en lien avec une réponse à leurs besoins psycho-émotionnels profonds; ce sont des angoisses fondamentales de dévoration, de castration liées à la puissance réelle des adultes et l’infériorité de l’enfant, à la toute-puissance fantasmée du phallus chez les adultes qui sont ici évoquées et mises en jeu. Les thèmes joués sont filtrés, interprétés par ses préoccupations, ses intérêts, ses conflits et ses émotions primaires, archétypales. C’est seulement une fiction clairement affichée qui peut permettre une «mise à distance» quand l’émotion devient trop forte. En ce sens, le castelet est sécurisant car il est aussi un cadre repéré dans lequel la marionnette est «contenue». La mise à distance, le contrôle possible de l’émotion sont également rendus possibles grâce, aux procédés d’outranciation, de caricature et d’anti-réalisme volontaire.

La marionnette est souvent repérée comme «l’inquiétante étrangeté». Celle qui a pour fonction première de «donner corps à tout ce qui n’en a pas ou n’en a plus» (dieux et morts). Elle est la métaphore de la Mort, ce lieu de «l’ENTRE» ; entre la vie et la mort, entre le réel et l’imaginaire… Elle est donc de tous les rites de passage : rites initiatiques, funéraires.

 

Ven - Une des questions posée concernait la construction : il était demandé : « Faut-il construire sa marionnette pour vraiment l'investir» ?

DK - Pour moi, dans les premières expériences de construction il s'agit de construire son « double ». Et, « dans cette fabrication d’un double, l’intelligence confrontée aux contingences de la fabrication et conjuguée avec les pulsions inconscientes dialogue plus que jamais avec le geste et le travail des mains» dit Annie Gilles.

Colette Duffot, elle, parle du «lapsus des mains» Mais le temps de la construction va au-delà du travail manuel, c’est un lieu de créativité, d’expression personnelle. Le rôle de l’animateur est d’accompagner ce cheminement où la personne est en situation de fragilité. Ses interventions seront «intel- ligentes», en aucun cas intrusives – des conseils techniques et pas de jugement esthétique. Il vaut mieux proposer une démarche exploratoire et curieuse des matériaux proposés qui ne part pas d’un a priori de construction. Évidemment, la construction peut être un alibi pour éviter le moment où il faudra jouer. Mais d'autres questions se posent : faut- il faire construire des jeunes enfants ? Est-ce judicieux quand ce «double» qui n’est pas toujours solide et «beau» risque de renvoyer alors une image dévalorisante de soi, d'eux… Jouer avant, avec une gamme variée de marionnettes déjà là, permet de prendre la mesure des impératifs techniques qui ne sont pas mesurés autrement : solidité, maniabilité, expressivité, contraintes et possibilités de jeu de chaque «famille» de marionnettes.


 

Quelques réponses de Philippe Georget

Ven - Certains ont posé la question : «Une marionnette peut-elle être un doudou ? » Quel est ton point de vue ?

PG - Je n’entre pas du tout dans la problématique marionnette/doudou : je pense que c'est là une fausse piste ; avec le doudou, on est plus proche de la poupée que de la marionnette. On s'est interrogé sur le rapport de l'activité «marionnettes » avec ce que l'on appelle les jeux symboliques. Pour toi faut-il établir une relation jeux symboliques - marionnettes? Je pense que l'activité «marionnettes » s'apparente plutôt au théâtre, aux jeux de théâtres, voire aux jeux dramatiques plus qu'aux jeux symboliques.

Ven - Certains ont accepté de communiquer aux autres sous forme de jeu de théâtre - marionnettes une trace de leur recherche d'atelier ; que souhaites-tu en dire ?

PG - Je constate que les jeux présentés à l'ensemble en fin de parcours ont été des jeux de castelets ». Sans doute considère–t-on que l'utilisation d'un castelet amène à quelque chose de plus théâtral que le jeu à la table.

Ven - Un des groupes a posé la question : « Quels types de projets possibles, en stage, autour des marionnettes ? » et un autre : « Est-ce qu'une thématique unique de Bafa 3, un intitulé

PG - Un Bafa «marionnettes » me semble être une piste possible de formation si l'on intègre, en plus des pistes abordées lors de ce regroupement, des propositions de grandes marionnettes habitées ou manipulées par plusieurs, des propositions de théâtres d'ombres et un travail sur les contes.

 

Ven - Une dernière question qui a plus trait à l'atelier que tu as proposé et qui souhaitait établir des liens entre «marionnettes » et textes notamment textes contemporains. Pour toi, y a-t-il des écritures spécifiques pour la marionnette ; y a-t-il, par ailleurs, des écritures qui n'ont pas été pensées pour la marionnette mais qui sont plus facilement utilisables ou peut-on partir de n'importe quel texte, l'adapter et en faire du théâtre de marionnettes ?

PG - «On peut faire théâtre de tout», affirmait Antoine Vitez mais peut-on faire «théâtre de marionnettes» de tout ? Je pense qu’on peut faire «théâtre de marionnettes» de tout texte car cet art, confronté à la puissance de l’image comme le cinéma, permet toujours une «nouvelle relecture d’un texte» par la mise en scène, la mise en marionnettes.

Je pense toutefois que tous les textes ne se prêtent pas de la même façon à la mise en marionnettes et que certaines écritures lui sont spécifiques. Les théâtres de marionnettes sont des théâtres dans lesquels la psychologie des personnages n’existe pas; les marionnettes sont des silhouettes, des figures. D’où le mariage naturel des marionnettes et des contes : l’à-plat des personnages des contes, leur faible épaisseur psychologique correspondent bien aux figures marionnettiques. Les possibilités, sur certains points, du théâtre de marionnettes : nombre de personnages, jeu sur le grand et le petit, centrage du regard sur un petit espace - qu’il y ait castelet ou pas - où le moindre mouvement fait signe et est amplifié, possibilités physiques quasi infinies des personnages, sont plus grandes que dans le théâtre d'acteurs. Des textes peuvent ainsi profiter de cette puissance supérieure de la marionnette

Ven - Oui, et cela nous renvoie au texte de Kleist intitulé Sur le théâtre de marionnettes ouà celui de Gordon Craig L’Acteur et la sur-marionnette. Mais existe-t-il des auteurs qui aientécrit particulièrement pour les marionnettes ?  Des auteurs se sont rendus compte de la puissance évocatrice de la marionnette et écrivent spécialement pour ce type de théâtre: citons Alfred Jarry, Maurice Maeterlinck et les symbolistes ou, plus récemment, Daniel Lemahieu et son compagnonnage avec François Lazaro.**

PG - Les pièces-paysage, si nombreuses dans le théâtre contemporain, où l’ambiance, l’atmosphère sont privilégiées se prêtent bien aux possibilités de la marionnette : celle-ci peut aussi bien nourrir le fantastique du Horla de Maupassant que l’usure, la décomposition et la segmentation des corps d’auteurs aussi différents que Samuel Beckett, Matéi Visniec ou Patrick Kermann. Des écritures contemporaines fonctionnent sur la logorrhée, sur l’accumulation, sur les niveaux de langue, sur les petites variations, la primauté du texte par rapport à la mise en chair. La marionnette, de fait, évite alors les problèmes de psychologisation et d’affects des personnages que les comédiens, habitués à l’incarnation, ont du mal à résoudre. Des auteurs de ce type, comme Michel Vinaver, Philippe Minyana, Valère Novarina ou Noëlle Renaude, se prêtent donc bien à une mise en marionnettes.

[Ces deux dernières réponses sont extraites d'un texte écrit par Philippe Georget. Pour l’allusion à Kleist et à Craig, se reporter à La Représentation émancipée, ouvrage lumineux de Bernard Dort, Actes Sud ]

Quelques réponses de Jacques Bompas

Ven - La première des questions qui figure à l'inventaire que nous avons dressé touche à la spécificité que constituerait cette entrée «marionnettes » dans l'expression des individus et dans leur communication aux autres. Pour certains, la marionnette favoriserait l'expression; en particulier celle des personnes inhibées. Qu'en penses-tu ?

JB - On a toujours dit cela, sous prétexte que les marionnettistes étaient cachées. Moi, je n’en suis pas sûr du tout pour les adultes. De plus, dans l’atelier que je mène, les manipulateurs sont visibles. Non, je pense que ce qui est sécurisant, c’est le jeu avec des règles précises et un cadre spatio-temporel clairement délimité.

Ven - Reprenons maintenant, si tu veux, les questions les plus concrètes et d'abord celle-ci : «Quels espaces de jeux, pour quels jeux ? »

PG - J’aime bien des dispositifs de jeu modulables afin de ne pas être enfermé toujours dans le même espace. Le castelet, lui-même décor, participe de la scénographie. On peut ainsi imaginer de travailler en même temps avec des marionnettes manipulées par-dessous et d’autres par-dessus.

Ven - Mais, selon toi, comment amène-t-on une activité «marionnettes » en stage ?

PG - Il y a comme pour les autres activités d’expression plusieurs entrées possibles, celle de l’installation de coin étant déjà évoquée. Autour de « comment raconter des histoires », il y a certainement une piste à utiliser : marionnettes vite faites, supports d’un récit, de dialogues ou d’actions.

Ven - Certains d'entre nous se demandent si, pour pouvoir vraiment investir sa marionnette, il ne faut pas nécessairement la construire ?

PG - Fabriquer sa marionnette pour l’investir ? De plus en plus de comédiens et marionnettistes font appel à des artistes plasticiens pour créer les formes ou les poupées avec lesquelles ils vont jouer.

Pour nous autres, il me semble toujours intéressant, aussi malhabile qu’en soit la réalisation, que l’objet sorte de nos mains, que nous en soyons le créateur. À nous de proposer des constructions adaptées aux possibilités des enfants ou des adultes en formation. J’ai toujours été frappé du climat qui règne dans un atelier de construction de marionnettes ou de masques. Chacun est complètement investi dans la couture, le collage, la peinture, essayant de réaliser la chose parfaite. Et on connaît de très belles «marionnettes» de vitrine avec lesquelles il est impossible de jouer. La difficulté consiste donc à faire sortir les «constructeurs » à temps de l’ouvroir pour les amener sur le lieu de jeu et leur expliquer que la marionnette, comme dit Giles, « c’est d’abord du jeu ». Dans nos formations, il faut donc bien réfléchir à la part de temps de construction que nous allons proposer pour trouver l’équilibre construction-jeu et éviter une frustration.

 

Ven - Réagissant sans doute à la mythification des aménagements de «coins», un groupe a noté : « Se limiter à aménager un coin «marionnettes » en Bafa 1, n'est-ce pas réducteur pour l'activité ? » Qu'en penses-tu ?

PG - Oui, sans doute. Je pense qu’il faut aider ceux qui auraient des réticences à utiliser spontanément ce qui est mis à leur disposition. Il ne suffit pas de sortir des outils de menuisier pour donner l’envie de créer des objets en bois. Quand on pense « activité» surtout avec des adultes, en particulier les jeunes adultes que nous recevons en stage Bafa, on se pose toujours la question de la mise en train, de la chauffe comme en sport, ce que nous sommes quelques-uns à appeler la mise en disponibilité de jouer.

Ven - Certains demandent s'il y a un travail corporel indispensable à faire avant d'engager une séance ; lequel et s'il est identique avec des stagiaires et avec des enfants   ?

PG - Pas simplement un travail corporel individuel, mais un réveil du groupe, une mise en train du corps et des neurones, des jeux de mise en relation entre les participants du groupe. Les marionnettes ne demandant pas spécialement un investissement physique comme certaines activités de jeu dramatique ou de cirque mais il faut certainement «chauffer» le groupe avant de jouer. Plus globalement, maintenant, on peut se poser des questions concernant l'intérêt de ce mode particulier d'expression et de communication à d'autres, sur la représentation qu'en ont initialement la plupart des stagiaires, sur la spécificité de cette activité en comparaison avec d'autres activités d'expression voisines chez l'adulte et chez l'enfant. Certains ont voulu même mettre la marionnette en relation avec le doudou, l'objet transitionnel substitut d'une présence désirée ou plus exactement associée à un état de plaisir. Pour moi la marionnette est d’abord et avant tout un objet de théâtre à part entière. Mais j’ai souvent vu de jeunes enfants l’utiliser dans leurs jeux spontanés, seul ou à deux. Quant au doudou, ben non, c’est autre chose. L’intérêt de l’activité marionnette dans le champ des activités dramatiques, pour moi, c’est l’aspect création globale : je fabrique mes comédiens, le lieu de théâtre… C’est aussi la mise à distance que j’obtiens en jouant avec des «comédiens de chiffons», mais Vitez a dit cela très bien. Ce qui est évident, c’est que même si les stagiaires n’ont pas fait de marionnettes, ils en ont une représentation fausse : celle d’un objet secoué, un peu bêtifiant et qui doit obligatoirement faire rire. Le travail que je mène et à la préparation nous étions tous d’accord, les animateurs des quatre ateliers, là-dessus, consiste à casser ces représentations et à faire découvrir les autres aspects du jeu de la marionnette. Montrer que la marionnette comme un comédien en chair et en os peut aborder un registre d’émotions riches et variées mais qu’elle a ses contraintes et ses limites. Ce qui est intéressant dans le théâtre actuel, c’est que les marionnettes reviennent en force, soit parce que certaines troupes s’appuient sur des auteurs contemporains qui écrivent pour elles comme la compagnie Garin Troussebœuf avec La Nuit des temps au bord d’une forêt profonde qui aborde la fin de vie dans un centre de long séjour, soit parce qu’elles s’intègrent dans la mise en scène d’une pièce comme Irina Brook qui utilise des marionnettes à gaine dans un castelet à un moment et des marionnettes plus grandes à tringle manipulées à vue à un autre moment, dans sa mise en scène de la pièce de Brecht, La bonne Âme de Séchouan.

 

 

Quelques réponses de Norbert Choquet

Ven - Dans les interviews précédentes, de nombreuses réponses aux questions inventoriées en groupe ont déjà été apportées, peux-tu les compléter et d'abord répondre, à ta manière, à cette question de marionnette – doudou que quelques-uns ont évoquée.

NC - Je ne suis pas du tout un spécialiste du doudou, de l’objet transitionnel, de Winnicott et de toutes ces choses-là. Je n’y connais rien, mais il me semble qu’il s’agit de deux fonctions totalement différentes, différentes et incompatibles ; si un enfant prend une marionnette pour en faire un doudou, il me semble qu'il ne peut plus avoir la distance nécessaire pour en faire un support de théâtre, même pour lui-même.

Ven - La question de la fabrication a été abordée et il a été implicitement affirmé que pour bien investir sa marionnette, il fallait l'avoir construite préalablement. Avec des masques, en jeu masqué, on s'est aperçu que, le plus souvent, ça n'était pas possible car il y a beaucoup de masques construits de manière empirique qui ne jouent pas ou qu'il est très difficile de faire jouer ? Est-ce là une différence entre masques et marionnettes, qu'en penses-tu ?

NC - Pour moi, la marionnette est avant tout un objet avec lequel on joue au théâtre, un objet à faire théâtre. En effet, c’est un objet de représentation qui impose nécessairement une certaine distance. Alors c'est vrai que n'importe quel objet peut servir de marionnette (une poupée ou un vieux chiffon) comme n’importe quel objet peut devenir un doudou pour un enfant en particulier, mais là s'arrête l'analogie.

 

Ven - Construction, manipulation, y a-t-il une chaîne d’activité à proposer systématiquement ?

NC - Tout est possible. Mais, pour moi, la manipulation et la construction sont deux choses différentes. Construire une marionnette pour qu’elle soit manipulable, c’est-à-dire solide, articulée, ni trop, ni trop peu, et pas trop lourde, est quelque chose de difficile et si l'on va vers des formes un peu élaborées, cela peut être long. Il est cependant plus facile de le faire lorsque l’on a une expérience de la manipulation, du jeu, du phénomène théâtral. 

 

D'ailleurs, le jeu de marionnettes est sans doute le premier des jeux de théâtre. Il est théâtre par essence car c'est le seul en effet où il n’y a pas besoin de convoquer obligatoirement d'autres. Avec des enfants, partir de marionnettes existantes très simples, comme le propose Danièle, est une entrée qui me semble tout à fait juste et qui a fait ses preuves, même avec des tout-petits ( Au jardin d’enfants,des enfants marionnettistes : une recherche action, L’Harmattan,Paris, 1987). Avec des adolescents et des adultes, personnellement, je préfère partir de rien,d’un bout de bois, d’un papier froissé et travailler, comme l'a proposé Jacques, sur de la manipulation à vue sur table. On travaille alors à la compréhension de cet étrange phénomène qui fait que ce «rien» bien montré et mis en jeu devient quelque chose pour ceux qui regardent tel un bonhomme avec une tête et avec des yeux, qui « en vrai», n’existent pourtant pas.

Ven - Venons-en, si tu veux bien, à la question qui nous préoccupe en premier lieu ici, dans cette rencontre de formateurs qui ont en perspective la définition et l'animation de stages, et en particulier ceux préparant à l'obtention du Bafa. Peut-on proposer des Bafa3 uniquement «marionnettes» ?

NC - Je ne vois vraiment pas pourquoi l’art de la marionnette ne pourrait pas être une entrée possible dans une proposition de formation du Bafa 3 ; il y a bien des Bafa 3 Arts du cirque. Un Bafa 3 sur l’art de la marionnette me semble même pouvoir être très riche en activités et en questionnements. Derrière les marionnettes, il y a de nombreuses techniques traditionnelles (la gaine, le fil, la tringle) des techniques orientales comme le Bunraku, toutes les techniques d’ombre et de fantasmagorie (ombre blanche, apparition de spectres), les marionnettes habitables comme le célèbre Padox, d’Houdart, mais aussi les géants de carnaval. Il y a aussi toutes les activités de sensibilisation, d’accompagnement, que l’on peut mettre en place autour de la visite d'exposition, ou de la sortie pour aller voir un spectacle. Mais cette question m’en renvoie une autre. Même s’il existe une école des arts de la marionnette à Charleville-Mézières, beaucoup de marionnettistes professionnels notamment François Lazaro ou Pierre Blaise voudraient que la marionnette intègre la formation initiale du comédien dans les écoles et les conservatoires, car il s’agit d’une technique d’interprétation qui pourrait avoir autant sa place que celle du masque. Aussi, si un Bafa 3 uniquement centré sur la marionnette me semble tout à fait intéressant, je pense qu’il ne faut surtout pas oublier de proposer la marionnette comme une entrée possible aux côtés d'autres entrées, dans les stages généraux « jeux de théâtre » comme cela a été le cas au regroupement national Jeux et théâtres de novembre 2002 à Vaugrigneuse.

Cadre et point de départ des échanges

  • Q1. À partir de ce que tu as vécu ici, dans ces quatre ateliers, quelle est, pour toi, l'entrée qui favorise le mieux l'expression - communication ? Plus largement en quoi la marionnette favorise-t-elle l'expression par exemple celle des personnes inhibées ?

 

  • Q2. Si l'on s'intéresse aux aspects les plus concrets de cette activité (déroulement, conduite, accompagnement), donc aux «comment», quelles réponses peut-on donner aux questions qui suivent ?
  • Quels espaces (dispositifs) de jeux promouvoir et en fonction de quoi ? (évolution, diversité) ?
  • Comment amène-t-on une activité «marionnettes» en stage (objets inducteurs, démarches) ?
  • Faut-il fabriquer sa marionnette pour pouvoir l'investir?
  • Aménager un coin «marionnettes» en Bafa est-il inducteur ou réducteur pour aborder cette activité ?
  • Y a-t-il un travail corporel indispensable/utile) à faire avant de proposer de jouer ? Lequel ? Avec qui ?
  • Est-ce identique avec des stagiaires et avec des enfants ?

 

  • Q3. Si on se centre d'une part sur les enjeux et les «pourquoi » de cette activité et si l'on cherche d'autre part à situer ces activités «marionnettes» sur la palette des activités d'expression-communication, comment prendre en compte et répondre aux questions qui suivent ? Pour faciliter ces échanges peut-être faut-il distinguer l'existence de degrés dans l'acte de représenter (des niveaux de représentation) et repérer des activités qui ont un lien direct avec des récepteurs (les théâtres) et d'autres activités («marionnette-doudou») qui ne relèvent pas de champs explicitement et intentionnellement artistiques mais de champs créatifs d'explorations comme les jeux symboliques ou les jeux dramatiques.
  • Jeux symboliques et marionnettes quels points communs – quelles différences ?
  • Une marionnette peut-elle être un doudou ?
  • À quoi sert spécifiquement l'activité ? Qu'est-ce qu’elle met en jeu d'original ?
  • Quelles particularités présente l'activité «marionnettes» au sein des activités dramatiques ? À quel(s) besoin(s) spécifiques répond-t-elle ? Que met-elle en jeu ?
  • Rencontre-t-on au niveau des activités «marionnettes», les mêmes distinctions qu'il peut y avoir dans les activités dramatiques entre jeux de théâtres et jeux dramatiques ?
  • Y a-t-il une spécificité d'emploi de la marionnette dans le champ théâtral ?
  • Les représentations se font le plus souvent les stagiaires Bafa de la marionnette et de l'activité ? Comment les prendre en compte?
  • Comment articuler la pratique de l'activité et l’accompagnement du spectateur de ce type de spectacle ?

 

  • Q4. Dans le prolongement de cet échange, quelle(s) place(s) peut-on donner à ces activités «marionnettes» dans les stages Bafa et dans la batterie des formations proposées aux Ceméa ? L'activité “marionnettes“ en stage(s), quelles propositions ? Dans quels buts, avec quelles intentions ?
  • Comment former les animateurs pour qu'ils suscitent ensuite avec des enfants, des ados ou entre animateurs, l'envie de «faire » des activités marionnettes ?
  • Quelle expérience minimum de pratique personnelle faut-il que les stagiaires aient vécu, en stage pour commencer une véritable réflexion sur l'activité «marionnettes» ?
  • Quels objectifs pourrait-on se donner par rapport à la mise en place (en stage) d'une séance «marionnettes » ?
  • Quels types de projets possibles (en stage), autour des marionnettes ? - Proposer une thématique unique «marionnettes» en Bafa 3 (intitulé de stage) est-ce que cela a/aurait du sens, de la pertinence ?
  • Qu'est-ce qui est transférable en stage de ce qui a été vécu ; là, dans ces ateliers du regroupement ?