S'émanciper par la culture

Philippe Meirieu, spécialiste des sciences de l'éducation et pédagogue, et Robin Renucci, directeur de La Criée à Marseille et des centres de jeunes du festival d’Avignon, racontent comment la culture permet l'émancipation.
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Média secondaire

Ven : Quelle expérience fondatrice vous a donné envie de vous investir dans le champ de l’éducation et de la culture ?


Philippe Meirieu : Peut-être, est-ce pour moi, mon implication dans la création d’un ciné-club au collège. Grâce au cinéma, on pouvait enfin discuter avec nos enseignants sans qu’ils se placent face à nous en détenteurs de la vérité absolue. Je me souviens de ces débats jusque tard dans la nuit pour parler des films et confronter nos interprétations. Chacun arrivait avec son histoire singulière, ses goûts, ses idées... et, devant le film, nous étions confrontés aux mêmes images et renvoyés à des questions communes. Personne ne renonçait à sa sensibilité et nous nous découvrions partager les mêmes interrogations, même si nous avions tous des réponses différentes. Car, une œuvre d’art peut, tout à la fois, interpeller personnellement et être le moyen de construire un vrai collectif...

Robin Renucci : Cela me rappelle mon premier stage de réalisation. J’étais membre d’une équipe dans laquelle chacun assumait des tâches au service d’un projet artistique. J’ai compris ce que nous pouvions réaliser par la solidarité et la complémentarité des talents. Il n’existe rien, et tout à coup quelque chose prend forme. Ça me fait penser à Groucho Marx qui explique comment se mettre à construire : « Vous voyez cette maison là-bas ? Il n’y en a pas, répond son auditoire. Eh bien, nous allons la construire ensemble ! » répondit-il. Plus tard, j’ai organisé dans un village corse très reculé une formation conjointe d’enseignants, d’artistes, d’amateurs venus de toute l’Europe. Les liens que nous avons créés alors ont résisté au temps. La Forge, la Stazzona, est un centre culturel désormais ouvert toute l’année. L’art permet les rencontres entre êtres humains, de lutter contre la violence qui est en nous, contre la peur de ce qui n’est pas nous. Et en même temps il nous délie et nous ouvre sur autre chose. C’est cela que j’ai envie de vivre et de faire vivre.

Cemea

P.M.: Oui, fabriquer ensemble une œuvre d’art fomente des solidarités qui n’exigent pas de chacun d’abdiquer sa spécificité, tout au contraire. Quand j’ai débuté dans l’animation, j’ai pu expérimenter cela à travers le théâtre et le cinéma. Le travail collectif pour chercher ensemble quelle image, avec quel angle de prise de vue et quel montage, permettait de partager le mieux possible une expérience... la recherche collective du geste juste qui transmet exactement l’émotion que l’on veut faire ressentir... C’est vraiment une manière de se dépasser et de créer du commun. On accède par là à l’ordre du symbolique. Le mot « symbole » vient du grec « symbolon » qui marque la matérialisation de la séparation comme signe de reconnaissance. Accéder ensemble au symbolique aujourd’hui, c’est relier, par l’art, ce que chacun a de plus intime avec ce qui peut être le plus universel.

 

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