« Les enfants ont des droits, mais ils·elles ont aussi des devoirs. »

C’est dans le quotidien de la classe que les droits de l'enfant peuvent faire sens. C’est dans le détail d’une organisation du travail qu’ils se cachent, dans l’attention aux choses infimes que l’on fait au quotidien.
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Cette chronique est issue d’un recueil publié par les CEMÉA Belges en septembre 2020. Le collectif d’auteur·e·s nous rappelle qu’à l’origine de ces écrits était l’envie de déconstruire, dans un format court, les « formules toutes faites autour de la vie scolaire » à travers le filtre de l’Éducation nouvelle. Il s’agit de dénoncer l’entretien de paradigmes qui polluent l’école et le développement des enfants, d’analyser les dysfonctionnements et les habitudes non questionnées. Réfléchir le quotidien et les fausses évidences pour transformer sa pratique, sa classe, son école
 

Et si l’école…22 chroniques pour changer l’éducation

Et si l'école ...

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Décembre 2019

À l’école ou ailleurs, lorsque l’on aborde la question des droits de l’enfant, surgit dans les secondes qui suivent, celle de leurs devoirs. Un peu comme si ces deux notions s’opposaient, ou comme si l’une faisait en sorte de mériter l’autre. On peut souvent entendre cette phrase : « On parlera de leurs droits quand ils rempliront leurs devoirs ! ».

Cemea

Le 20 novembre 2019, la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant (CIDE) a fêté ses trente ans. Si aujourd’hui, on peut se dire qu’en termes de respect des droits de l’enfant, l’Europe, la Belgique ou la France, se portent bien, il n’en a pas toujours été de même. En effet, après les désastres de la 2e guerre mondiale, les états se sont rendus compte qu’il y avait urgence pour les enfants à être protégé·e·s par un texte officiel. Les travaux de Janusz Korcak servent alors de base à la réflexion : respect des enfants et prise en considération de leur personne sont au centre des débats.

En 1989, la CIDE est adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies. Elle vise à permettre aux enfants de se développer dans les meilleures conditions possibles, leur évitant d’être exploité·e·s au travail et sexuellement, mais aussi d’avoir accès à des soins, à une famille, à l’éducation, à des loisirs, etc. Les 54 articles qui composent ce texte sont guidés par la même intention : l’intérêt supérieur et la protection de l’enfant.

En regardant un peu au-delà de nos frontières, il reste encore du chemin à parcourir pour certains états. Alors, face à la situation du Bénin, de la Thaïlande et d’autres pays encore, on pourrait se dire qu’ici, quand même, les enfants sont plutôt bien loti·e·s et que, par contre, leurs devoirs, ils·elles s’en préoccupent peu. De toute évidence, il y a confusion. En effet, les droits de l’enfant sont un ensemble de conditions devant être garanties par les adultes. D’une certaine manière, la Convention ne concerne pas directement les enfants. Ils·elles n’en sont pas responsables. Ce n’est pas à eux·elles de mettre en œuvre leurs droits et de les défendre. Cette responsabilité est celle des adultes, de tou·te·s les adultes à différents niveaux. Que ce soit à un niveau politique ou dans les petits gestes du quotidien, ce sont les grandes personnes qui doivent porter cette préoccupation. En réalité, les droits de l’enfant, ce sont les devoirs des adultes.

L’école a un grand rôle à jouer dans ce combat pour le respect de la CIDE. Notre système scolaire est défaillant. Nombreuses sont les études qui le montrent et le démontrent : échec scolaire, redoublement, reproduction des inégalités sociales, discrimination… Entre les écoles qui demandent des frais scolaires impayables pour bon nombre de familles, celles qui ont pour vocation de former l’élite, celles épinglées poubelle, l’école manque à ses missions premières. Les inégalités ne cessent de se creuser et l’accès au droit aussi. Et puis, il y a le quotidien des vies de classe : le non-respect de l’intégrité physique, parce qu’il n’y a pas de portes dans les toilettes ; les enfants attrapé·e·s par le bras pour leur demander quelque chose ; les enfants qui ne peuvent pas s’asseoir à table durant le temps de midi, parce que leurs parents n’ont pas payé leur « droit de chaise » ; les devoirs tellement conséquents que les enfants n’ont plus le temps de jouer ; la non-inclusion des enfants en situation de handicap, parce que les infrastructures ne le permettent pas... Alors plutôt que de parler des devoirs des enfants, parlons d’abord des devoirs des adultes et de ceux de la société !

Ne nous méprenons pas ! Il ne s’agit pas de dire que les enfants ont tous les droits ! Poser, défendre, revendiquer la mise en œuvre de la Convention n’est pas synonyme de création d’enfants-rois, voire d’enfants-tyrans, pour qui tout est permis. Au contraire ! Il s’agit de réfléchir à la société que l’on souhaite avoir, celle que l’on veut créer, celle que nos enfants, adultes de demain, seront en capacité de porter.

L’école est l’espace premier de l’apprentissage de la liberté citoyenne qu’organisent ces droits. Ils forment les codes d’une vie en société. Le système éducatif se targue de promouvoir les droits de l’enfant dans les discours généreux des décrets, des projets d’établissement… Pourtant, c’est bien plus dans le quotidien de la classe que ces droits peuvent faire sens. C’est dans le détail d’une organisation du travail qu’ils se cachent, dans l’attention aux choses infimes que l’on fait au quotidien. La petite phrase anodine qui nous échappe lorsque le petit Alan n’a une nouvelle fois pas la somme demandée pour une sortie pédagogique, la règle qui régit en classe la liberté d’aller aux toilettes, le petit geste d’énervement qui oublie que, pour Sophie et ses difficultés en mathématique, l’exercice proposé n’était pas adéquat… Au final, ce sont des poussières de petits détails qui nient bien souvent le même droit de la Convention pour un enfant : le droit à être reconnu comme une personne à part entière et non comme un adulte en devenir. Pour les CEMÉA, cette reconnaissance à pouvoir être une personne, que l’on soit bébé, enfant, adolescent·e, adulte ou personne du 3e ou 4e âge, est fondamentale. Elle affirme que la relation est d’abord une rencontre de deux individus ayant des rôles différents. Et pas celle d’une personne subordonnée à une autre. Il y a là un droit de la Convention dont tous les autres découlent.  

À l’école, comme ailleurs, ce sont les adultes qui donnent tous les codes aux enfants pour agir avec eux·elles-mêmes, avec les autres et, à plus grande échelle, dans la société. Respecter les droits des enfants, au-delà du cadre légal qu’induit la CIDE, c’est aussi montrer aux enfants l’importance de respecter les individus et de remplir ses devoirs. Les enfants sont sans cesse bombardé·e·s de demandes, d’exigences qu’elles·ils doivent remplir et vite. En fait, ils·elles ont plein de devoirs. Et pour finir, on se penche peu sur leurs droits. Ce serait sans doute intéressant que l’école, chaque professionnel·le de l’éducation, chaque adulte, se demande si ce qu’elle·il est en train de faire avec les enfants qu’il·elle côtoie, leur permet  de se reconnaître en tant que personnes.


« L’enfant ne devient pas un Homme, il en est déjà un. » Janusz Korczak1

Note

  1. Janusz KORCZAK, « Comment aimer un enfant », Robert Laffont, 1919. 

Un jeu de cartes pour repérer quelques fausses idées sur la pédagogie active

Des réflexions, des arguments pour les déconstruire...