Le BAFA, une affaire à suivre !

Le Bafa, qui fêtera bientôt ses 50 ans, reste une formation marquante pour de nombreux·euses jeunes, une entrée dans le volontariat et dans le monde de l’animation. Sa pertinence est incontestable. Elle demanderait néanmoins à être interrogée sur sa forme.
Média secondaire

Crédits photos : Céméa

 

Pendant trois jours en mars 2021 le mouvement des Ceméa a organisé des journées d’étude sur les jeunesses. Un moment de réflexion pour s'interroger sur la place des jeunesses dans une société en crise, sur l'accueil et l'accompagnement des jeunes, sur leur engagement citoyen, la place et le rôle du numérique, etc. Intervenants, chercheurs et acteurs de terrain ont échangé et partagé des pistes de réponses Trois textes tentent de relater les points forts de cette manifestation. Voici l’un d’eux

Nice trip in youth, road-book jour 3

Ludovic Falaix (maître de conférences à l’Université Clermont Auvergne) à la demande des Ceméa d’Auvergne a mené une recherche/action sur l’importance de la valorisation, de la reconnaissance des différentes formes d’engagements volontaires des jeunes.

Une recherche/action qui s’appuyant sur 500 h d’immersion, une cohorte de 120 stagiaires (dans 4 stages BAFA aux Ceméa) a été menée sur le principe de la participation observante (être comme stagiaire ou formateur dans le groupe stage) et non pas de l’observation participante. Une participation où l’observation est charnelle, et se fait « dans la chair et le sang » dixit « Ludovic »

Il invite à repenser la dynamique du BAFA, tout particulièrement en ce qui concerne les stages pratiques.

Ce texte est le fruit d’une réflexion qui s’appuie sur son intervention.

le BAFA : une idée pas si folle que ça

Est-on en passe d’ouvrir les stages pratiques ailleurs que dans le domaine de l’animation ? Est-ce imaginable de permettre aujourd’hui à des jeunes qui se sont engagé·e·s dans la dynamique de la formation Bafa de mettre leur engagement volontaire au service d’actions humanitaires, culturelles, environnementales, de mobilité ou d’économie sociale et solidaire, etc ? La question mérite d’être posée et n’a pas fini d’agiter les esprits à l’interne du mouvement des Ceméa et de titiller la rigidité des Drajes, qui ne sont pas réputées pour être des chantres de l’innovation pédagogique. Cela demande une certaine prise de distance avec elles : et dénote une posture subversive. Le ministère de tutelle risque d’être heurté, mais d’autres ministères pourraient identifier l’éduc pop comme ressources, ce sera l’occasion de renforcer les partenariats avec d’autres acteurs.

Mais peut-être est-on dans une dimension par trop empreinte de valeurs pédagogistes (ce qui semble un mot grossier dans la bouche de certain·e·s ministres), par trop politique de fait ? Une dimension qui se rapprocherait de ce que vivent les jeunes dans les expériences du Corps Européen de Solidarité à l’étranger.

Cemea

Une entrée de plain-pied dans le volontariat, une immersion pleine et continue dans des lieux variés à découvrir, à apprivoiser, avec des publics diversifiés. L’Europe a peut-être ici un temps d’avance.

Il y a là incontestablement une piste à débroussailler, un chemin à tracer et même si en apparence cela peut paraître incongru que le secteur de l’animation ne soit convoqué que comme une possibilité au cénacle du terrain des stages pratiques.

Affaire à suivre.

Il convient de regarder de plus près ce que signifie un stage Bafa au sein du mouvement des Ceméa.

 

Crédits photo : François Simon

Le BAFA : un rite de passage ?

C’est incontestablement un rite de passage mais choisi, pas imposé comme l’était le service militaire (je vous parle d’un temps où…). Et on a beau nous rabâcher sans vergogne que ça transformait son homme, tout d’abord ça ne touchait que des mecs et ça faisait aussi des ravages (humiliations, violence institutionnelle) qui ont laissé des traces. Si on institutionnalisait le bafa comme passage obligé, n’enlèverait-on pas la sève à cette possibilité d’émancipation ? Et la part d’engagement initial qu’est la décision de s’inscrire à cette formation ? Et celle de la liberté de faire le pas, ou non ?

Argument contraire : c’est une alternative possible, un biais assumé pour contrecarrer la formule du SNU qui paraît par trop proche d’une discipline militaire et reste sous la coupe de l’éducation nationale, versant école..

Affaire à suivre.

Le BAFA : faire société ?

« L’expérimentation est au cœur du dispositif de formation ce qui permet aux stagiaires de prendre la mesure de leur présence au monde, au travers du partage, du vivre ensemble. Et de faire l’expérience d’une sociocratie en tous points préférable à démocratie représentative.

Du topos au cosmos, le lieu devient espace puis milieu de formation, dans le processus de l’appropriation d’un espace spatialité qui devient spatialisant. » (cf également à ce sujet les travaux de Michel Lussault (1)).

Cemea

Les pratique et posture pédagogiques permettent aux stagiaires de développer leur espace potentiel, et des habiletés au profit du concept d’habitabilité.

Le topos est lieu commun, le cosmos univers, espace. Si je veux évoluer dans un endroit je dois le faire mien , l’investir comme espace de vie, d’être. Sans moi le lieu est vide. Avec moi il vit. Et je suis, je vis. Il peut être intéressant d’aller lire ce qu’écrit Georges Pérec (2) dans son bouquin « espèces d’espaces », certes son approche est littérature, mais elle éclaire sur la notion d’espace.

« l’homme habite l’espace en poète » disait Heidegger, il y a à méditer sur cette affirmation.

Affaire à suivre.

 

Crédits photos : CEMEA

Le BAFA : une expérience à vivre ?

Au fil d’une partition savamment écrite et sans improvisation, le groupe stage, pas d’une manière égale mais dans un même élan, gomme la réalité suivante : tous les stagiaires présent·e·s au même stage n’ont pas les mêmes aspirations à être là (parcours de réussite sociale/tremplin pour anim socio-cu/par hasard/occasion opportune) et souvent se sont inscrit·e·s au hasard de la pub, ou viennent avec un copain, une copine, rarement parce qu’il·elle·s connaissent l’organisme de formation. Et puis souvent au fil des jours, au gré des relations qui se tissent, au rythme des sujets abordés, la mémoire efface le pourquoi. La raison d’être là a disparu au profit du plaisir d’y être.

Selon le degré de politisation des formateurs (il ne faut pas méconnaître ni nier cette nuance) il ne sera pas diffusé la même musique. Plus il sera développé une lecture politique plus cela s’inscrira dans une dimension d’émancipation. Mais l’essentiel est bien que quelle que soit la composition de l’équipe, la politique est consubstantielle de nos valeurs, traduites dans les méthodes employées.

Le Bafa, aux Ceméa porte en lui déjà autre chose qu’une simple formation d’animateurs et d’animatrices. Et un soin tout particulier est apporté à la formation de la personne, c’est notre marque de fabrique.

Et si l’animation a séduit, alors en route pour le stage pratique en accueil collectif de mineurs ou en colo, ou encore en périscolaire, sinon cela peut conduire à une autre forme citoyenne de l’engagement (voir plus haut : la palette de domaines variée) à valoriser de la même manière, quitte à travailler à ce que l’exaltation présente se poursuive après la fin de la formation. Le bafa est une expérience à vivre même si au bout il n’y a pas d’encadrement d’enfants.

« En marge, on peut se dire que l’horizon de réflexion des Ceméa en matière d’éducation nouvelle peut s’élargir à d’autres sphères que celles de l’éducation quitte à reconfigurer les objectifs politiques », belle perche tendue par Ludovic. Il y a sans conteste un travail à engager pour étudier cette opportunité d’explorer les possibles d’un tel projet, opportunité doublée d’une menace de sortir d’un système que depuis plus de 80 ans nous investissons avec bonheur.

Le BAFA : des certitudes à questionner

Ludovic Falaix, pour terminer, nous livre une étude qui devrait nous faire réfléchir et animer les débats dans notre réseau, une révélation qui va à l’encontre de ce que communément nous avons en tête : la mixité sociale existe plus dans les stages en 1/2 pension et en externat.

Cemea

 

L’internat ségrègue aujourd’hui, il ne faut pas craindre de se le dire, même si cela remet en cause notre intime conviction.

Ce qui se passe en stage « La mixité culturelle existe, elle, lors des stages pratiques plutôt, et se vit dans les moments informels. » ajoute Ludovic, ce qui ne nous surprend pas et pourrait nous conforter dans l’idée qu’il faille réfléchir à une autre forme d’engagement, lié à la formation Bafa.

Affaire à suivre.

 

Crédits photos : CEMEA

Le BAFA, un espace irremplaçable et unique de transformation sociale

C’est une question primordiale qu’on ne peut balayer d’un revers de pensée. Transformation sociale signifie que des acteurs et actrices estiment que la société doive être changée et qu’ils aient (au-delà d’un désir) les outils pour s’y atteler. Ce qui est certain c’est que dans les stages BAFA des Ceméa il y a un objectif commun qui vise à « permettre à chacun· e de penser par lui·elle-même. Et si cet exercice intellectuel conduit la personne à avoir des velléités de faire évoluer les choses alors oui il s’agit de transformation sociale, mais s’il conduit celui ou celle qui le vit à se dire que le monde est tel qu’il·elle le rêve alors aucun problème, la transformation attendra. Il suffit de donner la possibilité à chaque stagiaire de prendre conscience qu’il·elle est capable de se forger sa propre manière de voir les choses, et qu’il a le droit de penser par lui.elle-même. Il n’est nullement question de manipulation. Ou de propagande. Ou d’embrigadement. Je dis cela parce que lorsque j’ai effectué mon stage de base BAFA, j’ai à certains moments ressenti une crainte de ce type. Et si j’étais tombé dans un truc sectaire ?

À partir de quand il peut y avoir manipulation ? Nous nous gardons d’une telle volonté, mais est-on certains que jamais le glissement ne s’opère ? Que jamais par mégarde nous convainquions grâce à l’autorité que nous confère notre statut ?

Il n’en reste pas moins vrai que c’est souvent l’espace de premières fois, des chambardements, de découvertes qu’on n’imaginait pas. C’est l’occasion d’un déclic, d’un choc, d’un électrochoc parfois. On passe en 8 jours du A ‘xiste pas (cf « la môme néant » de Jean Tardieu (3)) au Cogito ergo sum de Descartes (in « le discours de la méthode »). Comme une grande baffe danlag, une secousse salutaire, prémices d’une prise de conscience et prémisses de la concrétisation d’une conviction.

Il suffit de saisir l’étincelle qui mettra le feu aux poudres, qui allumera la mèche.

Affaire suivie.

 

Notes :

1. Géographe

1. Écrivain français, membre de l’Oulipo

3. Poète du XXè siècle