Décrypter les stéréotypes genrés dans les séries télévisées
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Partie 1 - la thématique : Les stéréotypes sexistes dans les séries
L’étude des séries est particulièrement pertinente du fait du succès de cette pratique culturelle, largement partagée chez les adolescent.e.s, et de la multiplicité des canaux de diffusion : télévision, streaming et developpement de nombreuses plateformes VOD comme Netflix, Amazon Prime, abonnements OCS, Canal +, etc.
Centré sur le visionnage et l’étude d’extraits, l’atelier vise à décrypter les clichés sexistes véhiculés au travers des séries les plus regardées aujourd’hui. Bien que fictionnelles, les séries véhiculent des représentations genrées et stéréotypées.
Les personnages féminins sont de fait souvent très stéréotypés et basés sur de nombreux clichés sexistes encore largement ancrés dans les consciences collectives. Ces représentations sont multiples et passent par de nombreux biais : les qualités dites “féminines” (douceur, émotion, etc.), les professions qu’elles exercent, les vêtements attendus, l’image de la sexualité et de la nudité, leur dépendance aux personnages masculins, la banalisation de la violence et des agressions subies ...
En outre, beaucoup de séries mettent en scène les violences dont les femmes sont victimes au quotidien, voire se donnent pour objectif de les dénoncer, mais souvent ces violences sexistes et sexuelles sont mal retranscrites. Les réalités reproduites sont mal connues puisque la majorité de l’ensemble des réalisateur.rice.s et scénaristes de séries sont des hommes. De fait, selon Iris Brey (1) Si la place des femmes à la télévision est importante (44 % des personnages sont féminins), les showrunners restent tout de même à 80 % des hommes à Hollywood...".
Toutefois, ces représentations tendent doucement à évoluer, à mesure que des femmes créent de nouvelles formes d’images et de narrations, mettant en scène des personnages féminins détachés du male gaze. De par leur audience et la popularité dont elles jouissent, les séries ont le pouvoir de proposer un discours que l’on n’entend pas ailleurs, de mieux traduire les violences sexuelles et sexistes… Aujourd’hui elles incarnent donc un intermédiaire majeur pour changer les choses et ouvre le champ des possibles pour proposer de nouveaux modèles alternatifs détachés des clichés aux adolescent.e.s (en prenant en compte la multitude des genres, féminins, masculins, trans, non binaires, gender fluid, etc…).
Partie 2 - Mise en pratique
Titre de l’activité : Décrypter les stéréotypes sexistes dans les séries
Publics cibles et cadre de mise en œuvre :
S'inscrivant dans le cadre du programme d’éducation à l’image promu par le Ministère de l’Éducation Nationale, cet atelier est à destination des lycéen.ne.s, de la seconde à la terminale.
Intevernant.e.s :
- Intervenant.e.s en charge de l’éducation aux médias et à l’information
- Enseignants.e.s
Objectifs généraux :
L’atelier a donc pour objectif de fournir aux jeunes des outils pour qu’ils soient à même de déconstruire les stéréotypes lorsqu’iels regarderont une série, un film ou une publicité.
• Repérer, identifier et déconstruire les représentations et stéréotypes sexistes dans les séries
• Développer un esprit critique à l’égard des messages diffusés dans les séries et œuvres audiovisuelles
• Participer à un débat et exprimer des opinions argumentées
• Former à l’égalité entre les genres
Durée globale : 2h30
Étape 1 - Introduction à la notion de stéréotypes sexistes
Durée: 30 mn
Objectif :
Recueillir le regard des jeunes sur les représentations sexistes dans les séries.
Supports / équipements:
- 1 ordinateur connecté
- 1 vidéoprojecteur
- Des enceintes
Déroulement de l’atelier :
Présentation brève des intervenant.e.s et des objectifs de l’atelier. Les intervenant.e.s proposent un visionnage collectif d’un premier extrait “choc” : générique d’Alerte à Malibu. https://www.youtube.com/watch?v=7iOTtCHR1TQ&feature=emb_logo
Questions posées aux jeunes suite à la projection :
• Est-ce que cet extrait pourrait encore passer à la télévision ?
• Est-ce que vous seriez choqué.e.s ?
Éléments de retour sur les séries étasuniennes dans les années 90 : des représentations sexistes systématiques (ici le sauveteur en mer musclé et viril versus Pamela Anderson tout sourire en bikini) et non questionnées par les spectateur.rice.s ).
• Et qu’en est-il aujourd’hui ?
• Quelles séries regardez-vous ?
• Est-ce que certaines vous paraissent sexistes ?
• Et d’autres féministes ?
En fonction des réponses à ces questions, les intervenant.e.s choisissent les extraits pour cette séance dans une sélection d’une dizaine de séries. Ces extraits ont pour vocation de résonner au mieux avec les séries visionnées par le groupe de jeunes. Il est également possible de leur soumettre le choix des extraits.
Étape 2 - Décryptage de cinq extraits de séries
Durée: 2h
Objectif : Interroger successivement cinq extraits aux représentations de genres hétérogènes.
Supports / équipements:
- Ordinateur connecté
- 1 vidéoprojecteur
- Des enceintes
Déroulement :
L’analyse repose sur les échanges oraux et débats avec les jeunes. L’idée n’est pas de présenter une analyse préparée en amont mais bel et bien de la construire avec les ressentis et propos des jeunes.
- En amont du visionnage des extraits : On demande aux jeunes s’iels connaissent la série et si certain.es l’ont vu. Si oui, est ce qu’iels peuvent faire un bref résumé de la série et sinon les intervenant.e.s ,expliquent la série afin de permettre aux jeunes de comprendre le contexte de l’extrait choisi.
- Visionnage des extraits : (voir proposition de liens d’extraits de séries et analyses en annexe)
- Visionnage des extraits et présentation des questions :
Les intervenant.e.s adoptent des postures de médiateur.rice.s de la discussion, iels posent uniquement des questions pour aiguiller le débat.
En voici une liste non exhaustive :
• Pouvez-vous nous décrire cette scène ?
• Quels sont les personnages ? Que font-iels ? Où sont-iels ? Quelle est l’atmosphère ? Que retranscrit la musique ?
• Quels sont les différents plans ? Quels sont les effets cinématographiques utilisés ?
• À première vue, cet extrait comporte-t-il des biais sexiste ou misogyne ? Est-ce qu’un aspect de cet extrait vous dérange (propos, situation, message véhiculé) ? Pourquoi ?
• Ou au contraire, est-ce une représentation défaite des stéréotypes de genre ? Pourquoi ?
Les intervenant.e.s mobilisent toute sorte de jeux ludiques et pédagogiques pour susciter le débat et accompagner la prise de parole de tou.te.s :
• Jeux brise-glace pour faciliter l’expression et la prise de parole des jeunes les plus timides
• Débats mouvants après le visionnage d’un extrait pour que chaque jeune se positionne et argumente son point de vue
• Jeux de rôle : producteur.rice.s défendant sa série versus détracteur.rice.s de la scène en question
• Réécriture d’une scène dans laquelle les stéréotypes de genre étaient particulièrement présents et en proposer une nouvelle version plus inclusive, voire la jouer devant le groupe
Prolongement et bilan
Il s’agira de conclure la séance par un bilan collectif et à l’oral avec l’ensemble des élèves. L’idée est de les amener à formuler les questions à se poser pendant le visionnage de séries. Les jeunes réfléchiront par petits groupes à la rédaction de ces questions avant la mise en commun.
À l’issue de l’atelier, les élèves recevront une petite notice reprenant ces différentes pistes et questionnements et garderont ainsi une trace écrite de cet atelier. Ce support sera également utilisable pour les films, les publicités, etc.
Voici quelques pistes et questionnements qui seront apparents dans cette notice :
“Lorsque tu regardes une série, voici quelques questionnements pour continuer cette réflexion :
• Qui a réalisé cette série ?
• Combien de personnages principaux sont des femmes ?
• Quelles sont les relations entre elles ?
• Quelles sont les fonctions professionnelles occupées par ces dernières ?
• Si elles occupent des postes de pouvoir, comment les ont-elles obtenus ?
• Quels comportements et caractères leur sont attribués ? Ces personnalités sontelles stéréotypées ?
• Sont-elles plus souvent nues que les hommes ? Pour susciter le désir chez le spectateur ?
• Éventuellement, quelles insultes sont prononcées au cours des épisodes ?
Pour conclure la séance et proposer un atelier pertinent au regard de leur consommation de séries, les médiateur.rices demanderont de quelles séries iels auraient aimé discuter. Cela permet une actualisation constante des extraits proposés.
Évaluation et grille d’évaluation
Afin d’uniformiser les archives liées aux ateliers, les différent.e.s médiateur.rice.s tiendront un journal commun sur leurs vécus et ressentis des séances. Ce journal réunira sur un même support les informations permettant l’évaluation du cycle d’ateliers : date de l’atelier, nombre de participant.e.s, établissement scolaire concerné, thématique de la séance, niveau d’interactions, d'intérêts et d’écoute des élèves, extraits visionnés, ressentis par le.a médiateur.rice, etc.
Ces informations permettront de mettre en lumière ce qui fonctionne et/ou ne fonctionne pas de façon récurrente dans l’organisation de l’atelier. Enfin, ce journal accompagnera l’actualisation progressive des extraits et séries sélectionnées : seront rapidement visibles les extraits provoquant le plus de réactions et à l’inverse les extraits plus datés.
À la fin de chaque cycle, un bilan sera tiré par les médiateur.rice.s afin d’évaluer les enseignements retirés par les éléèves à l’issue des trois ateliers. L’idée est qu’iels puissent ensuite se resservir de cette grille d’analyse et de ce décodeur lors du visionnage d’une série mais également d’un film ou toute situation de leur vie quotidienne. Cela devrait également leur permettre d’être plus attentif.ve.s et d’exercer un regard critique face aux représentations véhiculées dans et par les publicités et les médias… Pour les inciter à se questionner plus largement, les intervenant.es leur montreront la « Une » récente d’un journal questionnant l’un des trois épisodes et pourront ainsi vérifier les réflexes et identifications des stéréotypes.
Annexes
Proposition d’analyse de 5 extraits de séries :
• Game of Thrones, épisode 4 saison 8
https://www.youtube.com/watch?v=Zsw6h5z1nuo
Résumé : Les survivant.e.s d’une bataille célèbrent leur victoire dans une taverne. Sansa Stark et Sandor Clegane se retrouvent à une table. Il fait remarquer à la jeune fille qu’elle a bien changé depuis leur dernière rencontre : elle n’est plus le fragile “petit oiseau” qu’il aurait souhaité sauver à Port-Réal. Ayant choisi d’y rester, Sansa Stark fut en effet victime d’abominables tortures et violences sexuelles perpétrées par son mari Ramsay Bolton et Littlefinger notamment. Elle répond alors sèchement à Clegane : “Sans Littlefinger, sans Ramsay et le reste, je serais restée un petit oiseau toute ma vie”.
Problématique soulevée : Ce dialogue fait ainsi apparaître le viol et les violences sexuelles comme facteur d’émancipation, d’empowerment. Ils rendraient donc la femme plus forte ? La femme devrait-elle être victime de violences pour devenir puissante ? C’est ici une immense négation de la souffrance des victimes à laquelle on assiste.
Ouverture : Ce n’est pas la première fois que la série GoT est critiquée pour sa misogynie. La scène de viol auquelle fait référence cet extrait avait déjà fait polémique en 2015. N’existant pas dans l’ouvrage de George R. R. Martin, cette séquence insistait de nouveau sur la violence par le sexe et l’immense brutalité envers les femmes.
En plus d’être trop souvent sexualisées voire nues, les personnages féminins de la série sont bien plus présents pour exciter les spectateur.rice.s que pour faire vivre leur intrigue personnelle. Soumise au test de Bechdel, Game of Thrones est en effet en très mauvaise position. Créé en 1985 par la dessinatrice Alison Bechdel, ce test vise à mesurer la sous-représentation des protagonistes féminines d'une production culturelle. L'œuvre est questionnée selon trois critères : fait-elle intervenir au moins deux femmes identifiables par un nom ? Ces deux femmes discutent-elles ensemble ? Et parlent-elles d'autre chose que d'un personnage masculin ? En 2017, Sara David, a soumis chaque épisode de la série au test. Résultat : seuls 18 épisodes sur les 67 diffusés passaient le test.
• Riverdale, épisode 3 saison 2
https://www.youtube.com/watch?v=llp_13O1x4o&feature=emb_logo
Résumé : Alors qu’Archie est emprisonné, sa copine Veronica décide d’organiser un show de pompom girl avec ses camarades devant la prison afin de le soutenir/ le distraire/ lui remonter le moral. L’ensemble des détenus hommes accourent donc assister à ce spectacle de danse sexy et semble avoir du mal à retenir leurs ardeurs.
Problématique soulevée : Ralentis, poses lascives, tout est fait pour sexualiser ces jeunes lycéennes. Elles sont offertes au regard des prisonniers. On pose ici le problème du regard masculin sur les femmes et leurs corps. Même enfermés, les hommes semblent en position de domination sur les corps féminins.
Cet extrait pose la question de l’intégration de normes stéréotypées dès le plus jeune âge car les jeunes filles ne sont que des lycéennes. La série érotise le corps des jeunes filles dès le le lycée alors que ce n’est pas le cas pour les garçons. Historiquement les pom pom girls, sont là pour occuper la pause entre deux mi-temps d’un match sportif entre des hommes. Nous pouvons alors interroger plus globalement la sexualisation et représentation du corps des femmes.
• The Queen’s Gambit
https://www.youtube.com/watch?v=pSEnzwTOktU
Résumé : Cette scène montre le quotidien de l’héroïne de la série, Beth Harmon. La talentueuse joueuse d’échecs boit seule dans son salon, danse ivre, fait des achats, ou sort ses poubelles. Tout cela sur la chanson Venus du groupe Shocking Blue et sans aucun dialogue.
Problématique soulevée : Cet extrait tend à glamouriser l’alcoolisme de Beth. En effet, tout au long de la scène la jeune femme reste bien maquillée, habillée en nuisette et vomi même proprement dans une de ses coupes, ce qui est peu probable dans la réalité. Ici encore elle est sexualisée, on montre une vision idéale de ce que devrait être une femme ivre.
Bilan : La série se présente comme plutôt féministe dans la mesure où elle met en avant un personnage féminin dans les années 60-70 qui devient championne d’échec. Pour autant, la mise en scène dévoile plusieurs biais sexistes et misogynes mis en lumière ci-dessus. Ainsi, attention aux apparences !
• Sex Education, épisode 3 saison 1
https://www.youtube.com/watch?v=Gg1U6zls8zU
Résumé : Cette scène montre Maeve, un des personnages principaux de la série, allant dans un centre afin d’avorter. En chemin, elle croise des militant.e.s anti-avortement devant la clinique qui tentent de dissuader les femmes de le faire. Elle rencontre alors d’autres femmes dans sa situation dont une mère bavarde qui a déjà avorté plusieurs fois. On assiste à l’attente de Maeve, son angoisse et ses émotions puis son réveil et sa sortie.
Problématique soulevée : Cette scène va à l’encontre du tabou et de l’invisibilité de l’avortement dans l’ensemble des oeuvres cinématographiques. Elle représente toutes les étapes de cette intervention, sans rien dissimuler, ni omettre. Cet extrait expose par ailleurs les difficultés autour de l’avortement et le jugement auquel les femmes sont soumises. Maeve fait face à des miliant.e.s anti-avortements et leurs slogans de façon violente. La réponse proposée par la série est alors forte : le personnel médical fait preuve d’une bienveillance exemplaire et le personnage de la mère permet de mettre en avant la sororité et l’entraide entre femmes.
• Sense8, épisode 9 saison 2
https://www.youtube.com/watch?v=t7Ak-0uI_2g
Résumé : Ce court extrait montre le mariage de Theagan, soeur de Nomi, une jeune femme trans. Comme il est de tradition, un homme cisgenre accompagne Nomi jusqu’au prêtre pour qu’elle rejoigne les autres demoiselles d’honneur. Ce dernier ne peut visiblement pas s’empêcher de lui faire une remarque suivante : “Tu as vraiment une belle poitrine pour un homme”. Cette réflexion est d’une part transphobe, puisqu’elle ne reconnaît pas l’identité de genre de Nomi et la ramène au genre auquel elle a été assignée à la naissance, doublée de misogynie puisqu’il lui fait une remarque sur sa poitrine, la réduisant à son physique, comme c’est souvent le cas pour les femmes. Sun, spécialiste en arts martiaux, décide alors de lui faire comprendre que sa remarque est totalement inappropriée et lui tord les doigts.
Problématique soulevée : Cet extrait permet d’introduire ce qu’est la transidentité et la diversité des expressions de genre.
La série Sense8 présente des profils de personnages féminins variés, complexes et profonds, ce qui est rare dans une série. Leurs genre et orientation sexuelle sont fluides et leurs origines plus représentatives que dans la plupart des séries (Islande, Inde, Mexique, Etats-Unis, Nigéria). Les professions sont également représentatives : DJette, chercheuse, hacker, libraire, etc… Par ailleurs, les violences conjugales sont dénoncées au travers du personnage de Dani. La représentation des femmes évolue donc aujourd’hui dans les séries, notamment sous l’impulsion de réalisatrices telles que les sœurs Wachowski.
Seuls cinq extraits sont ici détaillés, mais voici d’autres possibilités : Desperate Housewives, La Casa de Papel, Stranger Things, Las Chicas del Cable, Orange is the New Black, Girls, etc.
Ressources utiles :
« Mixité, genre, sexisme, le poids des représentations » : https://yakamedia.cemea.asso.fr/univers/comprendre/des-ambitions-pour-lecole/mixite-genre-sexisme-le-poids-des-representations
« light fly, fly high » : en inde, Thulasi combat sur tous les front : pas facile d’être une fille, de faire de la boxe, d’accéder à des tournois, de lutter contre des recruteurs coorrompus, de devenir une femme autonome »
« A quoi joues-tu ? », déconstruire les stéréotypes sexué : https://yakamedia.cemea.asso.fr/univers/comprendre/contre-toutes-les-exclusions/quoi-joues-tu-deconstruire-les-stereotypes-sexues
Note : (1) Iris Brey, Sex and the series. Sexualités féminines, une révolution télévisuelle, Paris, L’Olivier, 2018, 261 p.