LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

« Une plus grande prise en considération de la parole des jeunes »

Entretien avec Tana Stromboni chargée d'études et d'évaluations à l'Injep.
Tana Stromboni a publié en novembre 2024 avec sa collègue Gabriela Arino un rapport intitulé « Agir auprès de la jeunesse en milieu rural, Enseignements de l’appel à projets Jeunes en milieu rural (2019-2024) du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ)». Entretien avec le concours de Élodie Sans-Chagrin, chargée d’études et d’évaluation à l'INJEP.
Média secondaire

Comment est née l'idée d'un projet spécial du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ) en direction des jeunesses rurales ?

La démarche est née au moment où l’État engageait une nouvelle approche de l’aménagement du territoire pour « mieux vivre » dans les zones rurales. En 2016, les contrats de ruralité ont été mis sur pied pour mobiliser l’ensemble des acteurs locaux autour de projets de territoire. En s'appuyant sur le rapport du Conseil économique social et environnemental publié en 2018 « La place des jeunes sur les territoires ruraux », le FEJ a alors lancé un appel à projets. Deux approches ont été retenues : construire une représentation positive de la jeunesse en les associant à la définition des politiques les concernant et leur offrir des opportunités notamment par la création d’activités pour faciliter leur autonomie et leur insertion sociale et professionnelle. Deux autres facteurs ont été pris en compte. L’accès aux services et acteurs de la santé, marqué par de fortes inégalités territoriales dont pâtissent les zones rurales et la mobilité difficile, captive des transports en commun ou de la voiture. 

 

Qu’est-ce que le le projet « Jeunes en milieu rural » a permis de déployer comme expérimentation ? 

Il a été a été conçu autour de trois axes qui répondaient à la volonté de tester de nouveaux dispositifs plus en lien avec les besoins des jeunes : encourager et accompagner les jeunes résidant en milieu rural à créer des activités sociales et économiques et porter des initiatives sur leurs territoires ; favoriser l’accès des jeunes aux services de proximité en matière de santé et de prévention des conduites à risques notamment en direction des jeunes femmes, les plus isolées socialement et/ou géographiquement et donc les plus vulnérables ; favoriser la mobilité et la socialisation des jeunes ruraux. L'appel à projets s’adressait aux réseaux associatifs notamment les associations d’aide à l’accompagnement des jeunes, aux collectivités territoriales, aux établissements d’enseignement, aux mutualités sociales agricoles, aux coopératives d’activité et d’emploi, aux structures de soins.

 

Même si les problématiques peuvent se rejoindre, les jeunes ruraux sont loin de constituer un ensemble homogène. Les critères familiaux, sociaux, culturels sont aussi des éléments déterminants.

 

Y a-t-il des points communs dans les freins et difficultés qui pénalisent les jeunesses rurales ? 

Même si certaines problématiques peuvent se rejoindre, les jeunes ruraux sont loin de constituer un ensemble homogène. Les critères familiaux, sociaux, culturels sont aussi des éléments déterminants. On pointe toutefois des difficultés structurelles. Au niveau des parcours scolaires notamment. Les élèves de seconde générale des petits bourgs isolés ont un taux de réussite inférieur à ceux des communes urbaines très denses qui ne s'explique pas par des performances scolaires inférieures. Ils sont plus nombreux à s'orienter vers des filières professionnelles, ce qui peut être lié à l'absence de débouchés en proximité. Ceux qui font le choix de rester en milieu rural occupent des emplois plus rapidement mais avec des niveaux de revenus plus faibles et connaissent plus d'épisodes de chômage prolongé. Une situation qui peut rapprocher de celles des jeunes de banlieue. On relève aussi certaines difficultés d'accès aux droits et services de proximité, par exemple les soins hospitaliers, des problèmes pour se loger et une mobilité parfois entravée par des transports en commun déficients. Au plan des pouvoirs publics, on se retrouve souvent avec des politiques sectorielles selon la collectivité compétente, ce qui rend compliquée une action globale et intégrée en direction de la jeunesse.

 

Les élèves de seconde générale des petits bourgs isolés ont un taux de réussite inférieur à ceux des communes urbaines très denses qui ne s'explique pas par des performances scolaires inférieures.

 

Pouvez-vous donner des exemples qui ont permis de revitaliser les espaces ruraux ?

Certaines initiatives ont eu de réelles plus values comme les sept projets relatifs à la revitalisation des espaces ruraux par la création d'activités impliquant les jeunes. Deux pépinières d'initiatives et cinq campus ruraux se sont principalement donné comme objectif d'accompagner des jeunes dans leurs projets personnels ou collectifs : monter une maison de santé, organiser des centres de vacances, des ciné-débats, des festivals... Les évaluations ont montré de vraies avancées pour connaître et toucher un public éloigné des structures. On a pu aussi constater une montée en puissance des compétences des jeunes sur l'ingénierie de projet : qualification des tâches, budgétisation, recherche de financement... Par contre, l'insertion professionnelle, qui était aussi un objectif, a fonctionné de manière plus marginale et surtout pour les jeunes déjà pourvu d'un capital social et scolaire. De la même façon, le développement de l'engagement civique et associatif n'a pas forcément été au rendez-vous. En revanche, l'idée de renforcer le dialogue entre jeunes et élus a pu parfois se mettre en place à la faveur de la porte d'entrée que constituent des projets concrets. 

 

Comment améliorer la situation de ces jeunesses rurales ? 

Un des freins souvent évoqué quand on sort du champ scolaire, c'est la difficulté à toucher tous les publics. Il semble donc important en amont de chaque projet de bien identifier quels sont les publics prioritaires, en n’oubliant pas les invisibles, et de développer des stratégies pour les atteindre comme être mobile et aller rencontrer les jeunes sur leurs lieux de vie. Et on doit aussi construire des politiques jeunesse bien intégrées sur l'ensemble du territoire concerné et qui mobilisent l'ensemble des acteurs, ce qui suppose qu’ils se rencontrent, qu’ils se parlent, qu’ils co-construisent ensemble. Enfin, il est essentiel que l’on arrive à mieux prendre en considération de la parole des jeunes et que les élus les associent davantage dans la conception des projets et des politiques qui leur sont destinés.

Jeunes en milieu rural (APRURAL)

Le FEJ a lancé en juin 2019 un appel à projets ayant pour objectif d’expérimenter des dispositifs innovants au bénéfice des jeunes en milieu rural afin de faciliter leur insertion et d’accroitre leur autonomie
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