En trois ans, à la Fédé, nous avons eu deux animateurs, dont un pendant dix-huit mois qui avait d’autres missions et la dernière année : personne. Et quand un animateur part, en six mois, on n’a plus de jeunes.
Jeunesses rurales : pour les animateurs, un tâtonnement permanent
« Il n’y a pas une jeunesse, mais des jeunesses et des territoires. » Hugo Ayrault, animateur et référent jeunesse au centre socio-culturel de l’Airvaudais et du Val du Thouet (Deux-Sèvres), met d’emblée les points sur les i. Les près de trois millions de jeunes ruraux qui vivent en France1 sont loin de former une masse uniforme. Entre les jeunes « qui restent », ceux qui reviennent après les études pour s’installer ou pour les vacances, jeunes formés ou non, néoruraux… : à part la date de naissance, il n’y a pas grand-chose qui les relie.
Eloignés des centres-villes, des transports, des services publics et des structures d’accueil, ils sont aussi un public que les professionnel·les ont du mal à accompagner. Dispersés sur le territoire, hétérogènes et aux besoins différents, il n’est pas simple de trouver la bonne façon de faire avec eux. Et ce, d’autant que le recrutement des professionnel·les de la jeunesse est complexe, et que le turn over y est plus important qu’en milieu urbain : « Dans le département, il y a un animateur qui partage son temps entre trois associations différentes, souligne Capucine Balcaen, animatrice enfance et jeunesse au sein de la Fédération départementale des foyers ruraux de Haute-Marne. En trois ans, à la Fédé, nous avons eu deux animateurs, dont un pendant dix-huit mois qui avait d’autres missions et la dernière année : personne. Et quand un animateur part, en six mois, on n’a plus de jeunes. » Et, Marie Marvier, psychologue à la Maison des adolescents d’Angers, de compléter : « or, il faut trois ans pour construire un réseau de professionnels sur un territoire. »
Repérer et approcher ces publics est un autre défi : « On voit peu les plus de 18 ans, qui sont plus autonomes, ils aspirent à avancer seuls, à porter seuls leurs projets et ont rarement envie d’avoir un animateur parmi eux », constate Damien Lulé, responsable de formation au sein des Ceméa du Maine-et-Loire.
En Ariège, dans la « très rurale » et « très enclavée » vallée de la Soule, c’est davantage les nouveaux arrivants - « ceux qui ne sont pas nés sur le territoire et ne se sentent pas concernés par la langue, la culture » - qu’Azia, une association de jeunes pour les jeunes, peine à approcher, explique Miren Juzan, bénévole. Au MRJC d’Anjou, une association de jeunesse et d'éducation populaire en milieu rural animée par des moins de trente ans, la difficulté est de continuer à faire avec des bénévoles engagés – le principe même du mouvement - mais qui partent étudier et travailler ailleurs. « Ils s’engagent à distance sur les projets, mais ça n’est pas simple et parfois un peu aléatoire… », regrette Elie Gaboriau, salarié de la structure.
Rompre l’entre-soi
Dans les milieux ruraux, où l’interconnaissance est forte, « tout le monde ne se parle pas ». Un des enjeux est de « permettre aux bandes de potes souvent refermées sur elles-mêmes d’aller à la rencontre d’autres jeunes, du même milieu ou qui ont d’autres parcours de vie », analyse Hugo Ayrault. Une approche qu’il nourrit de la lecture du sociologue Benoît Coquard qui a observé que les jeunes « qui disent vouloir rester ici » se définissent comme « de vrais amis [qui] forment une catégorie privilégiée face à toutes celles et tous ceux que l’on est bien obligé de croiser mais de qui on ne se sent pas proche. »
Capucine Balcaen
Comment ouvrir les horizons, faciliter la mobilité sociale ? Pour beaucoup de professionnel·les, les festivals et les temps festifs constituent des occasions pour sortir d’une « entre soi protecteur » et s’ouvrir à la création de nouveaux liens. A Saint-Loup-Lamairé (Deux-Sèvres), le Tava Fest reviendra ainsi pour une deuxième édition en 2025. « Ce festival est né de la rencontre de trois bandes de potes, de 22 à 30 ans, qui ne se connaissaient pas au départ. Désormais, ils ne forment qu’une seule bande. » Cette initiative est portée par une trentaine de jeunes soutenus par les équipes du centre culturel. Ces temps peuvent aussi être une occasion de partager des moments festifs intergénérationnels et de créer des ponts avec d’autres associations. « Pour aborder de nouveaux publics, on travaille beaucoup les liens avec d’autres associations, sportives notamment, dans lesquelles des jeunes sont engagés », explique un des animateurs du MRJC qui prépare Les grandes rurales, un temps qui fédère des militants et militantes du mouvements mais aussi les habitant·es des territoires.
Financement et politiques publiques
Autre défi, les baisses de budget. Ainsi, l’Union nationale des missions locales, structures qui accompagnent un million de jeunes de 16 à 25 ans chaque année sur tout le territoire, a vu le budget alloué au Parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie passer de 100 millions à 47 millions d’euros2, en 2024. Dans les Pays de la Loire, les coupes budgétaires de la Région, à hauteur de 82 millions d’euros, ont mobilisé fortement les professionnel·les de la culture et la jeunesse ces derniers mois. La fédération régionale du Planning familial a par exemple annoncé la suppression d’une subvention de 40 000 € destinée à l’information sur la santé sexuelle des jeunes ligérien·es et à la sensibilisation et formation des professionnel·les en lien avec ce public3.
Le financement constitue donc le « nerf de la guerre ». Au MRJC Anjou, « il faut se battre pour survivre financièrement », au point que la recherche d’argent et la gestion administrative supplantent l’organisation de projets. L’engagement se technicise : en plus d’être « très chronophage », la mission n’est pas perçue comme « très agréable ». Du côté d’Azia en Ariège dont le budget annuel avoisine les 60 000 €, « les subventions baissent de plus en plus. […] On envisage désormais de faire appel au mécénat et aux dons, mais cela aussi prend du temps, au détriment de l’accompagnement. »
Certains acteurs veulent se saisir des prochaines élections municipales en 2026 pour remettre ces enjeux sur la table : « Cela fait dix ans que l’on se bat afin de remettre une politique jeunesse en place, note Capucine Balcaen. C’est important que l’on arrive à trouver comment renouer le dialogue entre ces publics et les politiques. » Le MRJC compte prochainement se saisir de cette échéance politique pour aller à la rencontre des jeunes du département, recueillir leurs attentes et les porter auprès des élus.
1 Source : www.banquedesterritoires.fr, IGAS
2 https://www.unml.info/actualites/nos-actualites/l-avenir-incertain-de-laccompagnement-des-jeunes-vers-lemploi/
3 https://www.planning-familial.org/fr/le-planning-familial-de-loire-atlantique-44/education-la-sexualite/communique-de-la-federation-sur