LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

L'influence du cadre de vie sur l'épanouissement de l'enfant

Où peuvent avoir lieu les activités des enfants ? « C'est se poser la question : qu'est-ce que je mets en à la disposition de l'enfant comme espace et comme matériel pour qu'effectivement les activités existent ? ».
Média secondaire

Parlons des aménagements pour montrer combien le cadre de vie a une importance effective sur la vie de l'enfant1. Si la pièce est trop installée, la part d'initiative est nulle. Si la pièce est trop nue il risque de ne rien se passer. En réalité mettre une table dans une pièce est stimuler l'activité. Mais alors on se pose la question : quel type de table? Il faut y réfléchir. 

Les aménagements 

Est-ce qu'un enfant va pouvoir travailler en vis-à-vis où côte-à-côte avec un autre ? Est-ce qu'il pourra faire quelque chose de propre alors que quelqu'un fait quelque chose de sale ? Comment conserver propre la table et faire parfois sur cette table des activités salissantes ? Comment va-t-on s'y prendre? 

Alors on arrive effectivement à des études qui permettent un ensemble de constatations. Par exemple, dans les salles d'activités, les tables devraient pouvoir s’escamoter, c'est-à-dire se réduire à des plateaux ou des tréteaux. C'est certainement la meilleure des formules, sans bannir d'autres systèmes. Ces sortes de table ont un avantage, le plateau pouvant fournir deux surfaces différentes. Un côté en bois propre et chaud sur lequel on peut lire, dessiner, écrire, etc., l'autre protégé, sur lequel on peut faire des travaux salissants. Si le bois est d'une bonne qualité et s'il est bien nourri d'une « sauce » protectrice on peut avoir les 2 faces semblables. Un plateau de table doit pouvoir recevoir des coups de marteau, il faut qu'on puisse à l'occasion y serrer une presse. 

Pour aller plus loin il faudrait deux types de tables : des tables qui répondent à des situations d'activités assises, d'autres debout. Une table bien étudiée, comme bien d'autres éléments du mobilier d'un centre, est un outil qui sert l'activité de l'enfant en limitant les contraintes. D'ailleurs les plateaux peuvent servir à autre chose. Ils peuvent devenir des praticables pour des jeux dramatiques, des panneaux d'exposition , des plans inclinés pour toutes sortes de jeux. Si je propose cette solution ce n'est pas pour trouver des solutions à un aménagement qui ne tiendrait compte que du rangement du matériel. C'est parce que je me dis : plus le mobilier est simple, plus il répond aux conditions d'activités différentes de l'enfant et de toute manière un matériel absolument polyvalent répond toujours sur le champ à ce que des enfants souhaitent. 

Je dirai la même chose pour des sièges. Nous avons fini par dire que les bancs n'étaient pas une bonne solution. Assis au milieu d'un banc devant une table, on est obligé de bousculer un peu ses copains pour se lever et en sortir. Le siège individuel n'est pas la marque d'une richesse, il est simplement la marque de l'autonomie liée à l'activité et c'est tout à fait différent. Le banc coûte quelque fois moins cher que 3 ou 4 sièges mais c'est du point de vue de l'enfant qu'il est préférable d'avoir un siège individuel (qui doit d'ailleurs avoir d'autres caractéristiques ). Les murs aussi doivent permettre d'afficher, d'exposer, de conserver les travaux des enfants.

Au moment de la construction, concevoir un mur accueillant est la meilleure solution. Nous attachons beaucoup d'attention au revêtement du sol. Bien sûr, la situation la plus simple et la moins coûteuse est de faire une dalle propre, et puis est-ce suffisant ? Le revêtement de sol choisi a une importance pour le bruit, pour le nettoyage. Cela a aussi une importance pour le contact, pieds nus, on pallie souvent cette négligence de conception en ajoutant des nattes, des coussins, des « moquettes » parce que les enfants aiment se rouler par terre, dessiner par terre etc. En réalité la simple question posée : qu'est-ce que je mets au sol, pas tellement pour faire joli - et encore - où faire riche, c'est une fois de plus pour permettre à l'enfant une liberté d'allure. 

Parlons de l’éclairage et des sources lumineuses. Il est plus important d'avoir des prises de courant que d'avoir un ensemble de lampes qui pendent du plafond. Il faut un éclairage pour travailler mais il faut aussi un éclairage pour moduler l'espace. C'est aussi éclairer un objet que l'on veut mettre en valeur. C’est donner la possibilité de créer de l'ombre et de la pénombre. On s'aperçoit que dans les pièces où il y a une trop grande quantité de lumière les enfants, au bout d'un certain temps, deviennent excités et qu'en réalité pour un certain nombre d'enfants, et en particulier, de jeunes enfants, la possibilité de placer la pièce en pénombre est certainement une chose à laquelle il faut penser.

Alors la pénombre, l'ombre, la lumière, l'éclairage, une fois de plus ne sont pas seulement de nature esthétique ou des marques de richesse ... La question est que devant l'afflux d'enfants fatigués, détraqués, excités, il faut mettre tout de son côté du point de vue du matériel pour qu'effectivement, pendant un temps, ils puissent se retrouver dans un « havre de fraîcheur », se repérer. C'est bien sûr aussi un problème d'insonorisation et de distribution de la lumière. 

Les lieux d'activité 

Faisons une petite incursion vers l'extérieur parce que les lieux de vie extérieure n'ont souvent pas d’aménagement, ce qui est regrettable, sauf évidemment pour les plaines de jeux. L'activité qui naît d'un pré conduit trop généralement au match de foot. Mais que peut-on faire dans un pré sans aménagement?

S'il y a du matériel pouvant rester dehors à longueur de temps, les enfants trouvent des choses intéressantes à faire avec ces éléments. Des propositions de construction en bois naturel sont maintenant courantes2. Si l'on enterre des tuyaux en béton que l'on bourre de sable ou de graviers, on crée des plans assis ou des tables, des emplacements pour faire du feu. Préservons les lieux où l'on puisse planter des charpentes de cabanes.

Créons des coins qui peuvent être protégés par des sortes de paillassons, des palissades dont pour moi la canne de Provence ne serait qu'un mauvais exemple mais c'est pour me faire comprendre. Des coins qui seraient isolés, qui morcelleraient l'espace afin que l'activité extérieure puisse s'organiser dans des lieux à la mesure de l'enfant. Là encore ce n'est pas pour créer un décor extérieur, peint à la peinture blanche des vacances, avec des parasols ou un vélum tendu ... Ce n'est pas ça. Des lieux extérieurs aménagés, c'est pour qu'effectivement il y ait un ensemble de conditions par lesquelles l'activité puisse naître le plus spontanément possible.

L'ordre est une chose qui est acquise, puis se perd. Mais tout appareil qui permet sans contrainte de remettre les choses en place apparaît important, et je ne résiste pas au plaisir de dire que c'est pour nous qui avons réinventé les panoplies d’outillage qui répondent non seulement aux nécessités du rangement, mais permettent le morcellement des outillages et la diffusion des outils dans les différents lieux intérieurs et extérieurs.

Lorsque pour une activité on a besoin d'un outil particulier pour faire quelque chose on le trouve sur la panoplie et il y a alors peu de distance entre l'idée, le choix de l'outil et l'utilisation. Le rangement est important du point de vue de l'aide au développement de l'enfant en favorisant les expériences. Il y a des rangements qui sont stimulants et d'autres qui ne le sont pas.

Par exemple, ranger les pointes par dimensions est un classement de factotum. Je ne nie pas le rôle de cette personne. Mais un classement qui consiste à avoir une pièce, un carton ou un cageot dans lequel il y a du papier sulfurisé, de la ficelle et du scotch et je ne sais plus quoi encore pour faire un cerf-volant, est bien plus intéressant.

Ce type de rangement est supérieur, au moment de la naissance de l'activité, à celui qui oblige à aller chercher du papier sulfurisé et de la ficelle ailleurs, d'autant qu'il existe plusieurs types de papier, plusieurs colles, plusieurs ficelles. 

Ou bien les types de rangement sont moteurs de l'activité de l'enfant ou peuvent l'être, ou bien cela demande un tel travail de rassembler les matériaux rangés que l'animateur rassemble pour l'enfant, ce qui est une mauvaise solution. Ou bien il y a tellement peu de ce qu'il faut et c'est tellement difficile de le réunir que dans le fond l'activité avorte. Militons pour un stock de matériaux en place avant l'arrivée des enfants. Un certain nombre de matériaux de base rangés d'une certaine façon deviennent stimulants. 

Le mobilier 

Le mobilier est témoin d'une manière de vivre et généralement d'une manière de penser. Si j'ai choisi tel lit pour faire dormir les enfants c'est que j'ai une idée sur la façon dont l'enfant dort, dont on peut dormir. C'est exactement la même chose pour la table de la salle à manger. Si l'on souhaite l'autonomie des enfants, si l'on souhaite qu'ils fassent leur lit par exemple, il faut que le lit soit possible à faire.

Et puis si on veut que la salle à manger devienne un lieu autre, il faut que les tables puissent être déplacées. Si on veut pouvoir inviter des camarades à sa table il faut des tables d'une certaine façon, c'est-à-dire chaque fois que je choisis tel mobilier, il faut se poser les questions « Qu'est-ce que je vais en faire? À quoi ça va servir? Comment les enfants vont-ils pouvoir l'utiliser? ». Et alors si les pieds marquent le sol, si cela est sonore, si c'est trop lourd… 

Du point de vue du mobilier il faut dénoncer ce qui est inutile. Il y a des personnes qui disent «moi j'ai une colonie en Alsace, alors on va acheter du mobilier alsacien ». Ou encore et c'est une pratique courante à l'heure actuelle, on va choisir du « mobilier régional ». Il faudrait alors, pour être cohérent, manger comme on mangeait à la ferme en respectant la structure familiale. Mais les raisons ethnologiques, folkloriques que nous estimons n’ont que des rapports lointains avec le choix d'un mobilier de centre de vacances. En faisant entrer un milieu qui n'existe pas par le biais du mobilier, cela n'a pas de sens. Les chaises d’aujourd'hui faites de matériaux d’aujourd'hui ont plus d'importance dans la vie de l'enfant que le retour aux formes du musée. Nous ne pouvons pas nier que des matériaux actuels, lorsqu'ils sont adaptés et surtout quand ils sont traités comme on doit les traiter, placent l'enfant dans la réalité de son époque. N'est-ce pas ce que nous cherchons? 

Posons-nous la question : comment un jour l'enfant appréciera où n'appréciera pas tel mobilier ? Comment achètera-t-il ? ... Et comment dans le fond nous participons à cette culture que pour une fois l'école ne peut apporter seule car elle ne bénéficie pas des mêmes situations de vie quotidienne, intime et émotionnelle. 

Les meubles qui sont lisibles, c'est-à-dire dont les volumes sont parfaitement définis, les structures claires, la fonction visible ont une fonction éducative. Je suis toujours très inquiet quand je vois les pieds des tables ou les pieds des meubles qui ne portent pas leur volume et je me dis, si on met quelque chose dessus, cela va s'écraser. L'équilibre, la lisibilité, la sincérité des matériaux sont des idées extrêmement importantes pour que l'enfant s'y reconnaisse. Cependant il existe un problème: où acheter les meubles ? 

Faute d'argent, faute d'avoir prévu des amortissements on se tourne vers ce qui est bon marché, vers une chaise qui parfois est bruyante, laisse des traces sur le sol, n'est pas empilable, à l'entretien difficile…

Il y a des maisons hôtelières qui ont du matériel robuste certainement intéressant. Je ne fais pas de réclame pour telle ou telle maison mais je me dis que les fabricants nous proposent des choses qui quelquefois sont de mauvaise qualité parce que nous n'avons pas suffisamment fait nos études personnelles pour déterminer des matériaux et du mobilier utile et que nous n'avons pas défini assez clairement nos critères d'usage. 

Les objets de la vie quotidienne

Avec les objets de la vie quotidienne nous abordons un point de vue un peu plus discutable car il met également en cause en apparence la valeur esthétique des objets que l'on met à la disposition des enfants. Prenons l'exemple des cuillères pour manger. Notre pays vient de s'enrichir d'un organisme que je vous conseille de consulter: le Centre de Création Industrielle3. Un certain nombre d'objets ménagers y sont étudiés. La cuillère qui coupe la commission des lèvres, celle qui se charge bien, qui est facile à laver, que l'on peut ranger convenablement, qui ne se déforme pas à l'usage, ils sont entre autres expériences celle dont il faut tenir compte pour faciliter la bonne prise des repas et préserver l’atmosphère détendue de la salle à manger. La valeur d'usage de l'objet aide à la valeur esthétique. Les formes, matières, couleurs participent à cette valeur. C'est la même chose pour une chaise. Sa couleur, son aspect au toucher, son entretien, son stockage et son usage prévisible, font qu'il y a des types de chaises qui ne répondent pas à nos besoins. 

Au terme de ce trop long développement nous affirmerons que nous ne pouvons plus proposer aux enfants n'importe quelles vacances, n'importe où, de n'importe quelle façon. Que nous devons être attentifs à la conception et à l'organisation du cadre de vie comme nous le sommes à la qualité des rapports que nous entretenons avec eux. 

Ces soucis, qui peuvent paraître superflus - mais le « c'est bien bon pour les enfants » n'est pas éteint, ils risquent même de renaître - doivent nous préoccuper. 

L'organisation du cadre de vie marque les vacances mais imprime l'avenir. Nous n'avons pas suffisamment vu la nécessité pour chacun d'un espace suffisant de qualité. Nous n'avons pas assez montré ce qu'apporte la fréquentation de formes adaptées et belles. Nous n'avons pas assez fait sentir ce qu'un volume bâti procure de sérénité et d'équilibre dans la vie de tous les jours. Soigner le cadre de vie est un effort qui conduit à la réduction de certaines inégalités. Ce qui paraît encore à certains un détail sans importance - ce que nous considérons nous souvent comme essentiel - malgré les difficultés et les entraves présentes, est un but à atteindre pour que les enfants vivent autrement. 

La construction, la rénovation, l'aménagement des centres de loisirs sont souvent, au regard de nos intentions pédagogiques auxquelles nous sommes attachés, ligotés par des questions d'ordre économique. C'est donc au fond une orientation politique autre qui orientera des solutions. 

Notes

  1.  Voir la première partie de cet article dans le numéro 328 de la revue Vers l'Éducation Nouvelle
  2.  Grand matériel pour petits enfants, éditions du scarabée 
  3.  CCI- centre Beaubourg