Le Stratège
UN JEU À INFORMATION CACHÉE
Le Stratège (fi g.1) se pratique à deux joueurs qui ne disposent pas des mêmes informations pour élaborer leur stratégie. La position des pions est connue à tout moment de la partie par les deux joueurs mais la force des pions adverses est cachée.
Figure 1 - La boîte du jeu
ÉQUIPEMENT
- Un tablier de 110 emplacements sur lequel les pions stationnent (fig. 2).
- Deux séries de pions : 18 verts et 18 blancs. Chaque couleur comprend trois groupes de six pions de force « 1 » à « 6 » (fig. 2).
Figure 2 - Exemple de position initiale
SITUATION INITIALE
Le tablier est vide et chaque joueur, à l'abri du regard de son adversaire, pose ses 18 pions sur les trois premières rangées de son côté : les lignes 1, 2 et 3 pour les blancs ; les lignes 8, 9 et 10 pour les verts. Seules les intersections des lignes verticales et horizontales sont utilisées pour installer les pions au départ (fig. 2&3).
BUT DU JEU
Obtenir le meilleur score possible. En fin de partie, chaque joueur additionne les points de ses pions arrivés sur les emplacements de départ de la ligne de fond adverse. Ainsi, le joueur vert va-t-il essayer d'occuper les six emplacements noirs de la ligne « 1 » de son adversaire avec le maximum de points ; le joueur blanc, ceux de la ligne « 10 » (fig. 3).
DÉROULEMENT DU JEU
Les joueurs jouent à tour de rôle en effectuant soit un « déplacement », soit une « annonce de prise » (voir ci-dessous) .
LE DÉPLACEMENT
Un pion se déplace d'un seul pas sur un emplacement libre, selon les lignes verticales ou horizontales, vers l'avant ou sur le côté (à droite ou à gauche). Les pions ne peuvent pas reculer sauf pour prendre. Ainsi, les pions situés sur les emplacements noirs (fig. 3) se déplacent d'un seul pas soit vers l'avant, soit à droit e, soit à gauche; ceux se trouvant sur les blancs se déplacent seulement à droite ou à gauche. Un pion transposé sur la ligne de fond adverse ne peut plus bouger.
L'ANNONCE D'UNE PRISE
Un joueur, à son tour de jeu, peut annoncer une prise sur un pion adverse posé sur une place adjacente à un pas de déplacement en avant, en arrière, à droite ou à gauche (toujours selon les lignes horizontales ou verticales) ; les deux joueurs montrent alors la force de leur pion. Deux cas peuvent se présenter :
- Si l'attaquant est égal ou supérieur à l'adversaire, ce dernier est pris et retiré du tablier ; l'attaquant prend sa place et c'est au tour de l'adversaire de jouer;
-Si l'attaquant est inférieur, l'adversaire le retire du tablier, prend sa place et joue. Ainsi, après une séquence de prise engagée par un joueur attaquant, c'est toujours au joueur attaqué de jouer quelle que soit la conclusion de l'attaque (fig. 3).
FIN DE PARTIE
La partie s'arrête dès que l'un des joueurs a réussi à occuper les six emplacements de départ de la ligne de fond adverse ou quand les deux joueurs sont bloqués. Tant que l'un des joueurs n'a pas occupé ces six emplacements particuliers, la partie continue même si l'un des joueurs est bloqué. Dans ce cas, le joueur se trouvant dans l'impossibilité de jouer passe son tour. Quand la partie est terminée, les joueurs montrent leurs pions se trouvant sur la ligne de fond adverse et celui qui a le meilleur score est le gagnant.
Un exemple de fin de partie est donné en figure 3.
COMMENTAIRE
Le Stratège fut inventé autour des années 1950 et distribué par les établissements le Derby qui ont édité quelques autres jeux dont Le Régent; un jeu de pions sans originalité. Au Stratège, les joueurs n'ont pas les mêmes informations pour élaborer leurs coups : les pions adverses sont visibles mais pas leur force. Cette caractéristique, couramment utilisée dans les jeux actuels (wargames, jeux de simulation, jeux de cartes), fut étudiée dès la fin du XVIe siècle par le savant italien Jérôme Cardan. Ce mathématicien, médecin, philosophe, était aussi un joueur dont l'addiction aux échecs et aux dés l'ont conduit à écrire un ouvrage en 1564 (imprimé en 1663 à Lyon) qui classe les jeux selon quatre critères : « l'habileté comme aux échecs», « la chance », « l'habileté comme aux jeux de balles », « objet caché-objet découvert ». Bien que la théorie des jeux parle maintenant de «jeux à information complète ou incomplète » pour exprimer ce dernier critère de classification, la formule de Jérôme Cardan est bien adaptée aux jeux de société. Ainsi, au Stratège l'un des deux côtés de chaque pion est caché à l'adversaire. Ce critère de classification des jeux (objet découvert ou caché), quoique connu depuis le XVIe siècle, n'a pas été exploité par les inventeurs de jeux avant la fin du XIXe siècle. Autour des années 1890, deux inventions britanniques de tels jeux furent brevetées mais ces nouveautés n'ont jamais été commercialisées. En 1908, l' inventrice française Hermance Edan déposa une demande de brevet pour un jeu de type « objets cachés » qui fut commercialisé dès 1909 sous le nom de L'Attaque. Cette innovation a donné naissance à de nombreux jeux dont Le Stratège qui apparut comme un jeu original car la plupart des jeux de pions édités en France à la même époque étaient dans le groupe « objets découverts », telles les variantes des échecs et des dames.
Les Cahiers de l'Animation (n° 77, janvier 2012)