Sur un air d'opéra

Quand l’opéra s’invite à l’école et qu’Offenbach sert de lien entre les enfants, les enseignants et une chanteuse lyrique. Un projet qui fait résonner les classes, la cour de récréation et amène à s’interroger sur la culture et l’Éducation.
Média secondaire

« La musique … Où elle est la musique ? Dans les salons lustrés aux lustres vénérés ? Dans les concerts secrets aux secrets crinolines ? … C’est là qu’elle se pâme, c’est là qu’elle se terre la musique ? » chantait Léo Ferré, en la revendiquant dans la rue.


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La musique classique, l’opéra sont des composants de notre culture commune. Ils ne doivent pas être réservés à une élite ou à des milieux initiés. La musique classique s’adresse aux sentiments, aux émotions, à la sensibilité de chacun, quel qu’il soit, quel que soit son niveau scolaire, intellectuel ou sociétal. Elle nous fait tous progresser dans notre humanité et notre perception du monde. Nous sommes au cœur de la culture. L’école et l’Education Populaire ont un rôle essentiel à jouer dans cette rencontre.

Depuis deux ans, les enfants et les enseignants d’une école élémentaire travaillent avec la chanteuse lyrique, Marilyne FALLOT. Ce cycle autour de la culture de l’opéra a été programmé sur plusieurs années et intégré au projet d’école. Il semblait important aux enseignants, que ce travail ne soit pas un épiphénomène, mais se situe dans la durée, avec un avant et un après.

Chaque année, toutes les classes de l’école ont participé à une sensibilisation au chant lyrique : écoute, travail sur le physique et sur le souffle, placement de la voix, attitude, apprentissage d’un chœur commun. En parallèle, une des classes a travaillé plus en profondeur sur un opéra, étudiant plusieurs extraits , mais également l’histoire et la mise en scène théâtrale.

Les enseignants se sont de plus en plus impliqués au projet. Se contentant la première année de faire répéter leurs élèves en fonction des indications de l’intervenante, puis allant jusqu’à se risquer à donner la réplique chantée aux enfants, à la cantatrice et même à interpréter un chœur de manière autonome. L’ensemble de ce travail débouchant sur un concert public, avec un résumé de l’opéra lu et mis en scène par les enfants, certaines scènes jouées et des extraits chantés, dont certains airs accompagnés par un chœur d’environ 200 élèves.

J’ai été frappé de manière récurrente par l’incidence du projet sur les relations, à la fois entre les élèves, mais aussi entre les enseignants et les élèves. Une espèce de complicité s’est établie dans les groupes, pourtant différents chaque année, en fonction des personnalités.Chaque fois, le projet a changé l’ambiance de la classe, la rendant plus conviviale, modifiant le rapport entre des individus, porteurs d’un projet commun. L’enseignant, malgré son statut, se trouvant lui aussi en train d’apprendre, d’essayer et de se tromper. Le chant libère l’émotion et l’énergie. Cela a eu une incidence sur la dynamique du groupe. Les enfants ont osé, par la voix, le geste, l’attitude. On a vu certains élèves plutôt effacés d’ordinaire, prendre une posture différente dans ce projet. Une espèce de jeu complice s’est également créé, mêlant les personnages de l’opéra et leurs interprètes : « Peux-tu apporter ça sur le bureau du général Boum ? »

Lorsque l’air du sabre de la grande duchesse  de Gérolstein, s’élève spontanément durant un jeu dans la cour de récréation, que l’on voit des élèves sauter à la corde en chantant le « cabaret du labyrinthe » de la Belle Hélène, ou même que l’on entend, venant du côté des urinoirs, des voix d’enfants en train d’interpréter un air d’Offenbach tout en satisfaisant un besoin naturel. Et qu’en plus, tout cela est chanté juste, dans le ton et le rythme. On se dit que l’opéra vit au quotidien et qu’en termes d’évaluation, s’il en fallait, on trouve là de vraies confirmations de compétences et d’investissements, (pour lesquelles il serait pourtant difficile de mettre une croix dans un livret formaté).

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La voix suscite l’émotion et le partage. Quand les enfants ont entendu pour la première fois la puissance et la finesse du chant de Marilyne Fallot, qui leur paraissait pourtant une adulte comme les autres, ils en étaient physiquement bouche bée. Comment était-ce possible ? C’était extraordinaire. La magie de la voix ! Puis, ils se sont habitués, ont chanté avec elle. Ils se sont rendus compte que le chant, c’est aussi un travail de fond. Que l’on progresse et que les voix qui se mêlent en harmonie peuvent être une réussite de groupe.

Une manière active d’écouter l’autre, de partager et de construire avec lui. L’univers de Jacques Offenbach est propice à cette rencontre entre l’école et l’opéra. Ludique, humoristique, festif et d’une grande qualité musicale.

On s’amuse bien en chantant Offenbach. On joue, on rit, mais on travaille aussi beaucoup, car sa musique est très élaborée et complexe. Les enfants ont travaillé sur l’opéra « la belle Hélène », qui les a plongés dans la mythologie Grecque. Mais une mythologie vue par Offenbach, Meilhac et Halévy, avec un concours délirant des choses de l’intelligence, duquel un prince Troyen sort vainqueur face aux rois de la Grèce, rivalisant de stupidité et de suffisance. Puis, l’année suivante, ils ont changé de décor et de temporalité pour se retrouver dans l’univers de la Grande Duchesse de Gérolstein, au cœur d’un royaume clownesque et délirant, avec une armée loufoque et des intrigues de cour burlesques. Le tout montrant le côté dérisoire et ridicule de certaines guerres et enjeux de pouvoir.

L’opéra n’est pas seulement du chant, il donne aussi à réfléchir.

Ce projet mené sur plusieurs années n’avait pas simplement pour but de faire découvrir intellectuellement l’opéra aux enfants, mais de leur faire vivre et partager cette musique : Pour que le nom de Beethoven n’évoque pas uniquement un personnage de chien dans un film. Pour que leur rencontre avec la musique ne le soit pas seulement au travers de paillettes, sur fond de concours, de stars et d’éphémère. Pour qu’ils intègrent que l’émotion et la sensibilité musicale ne sont pas des domaines réservés à d’autres. L’opéra et la musique classique ne sont pas l’apanage d’une élite, mais nous concernent tous. Même si, toutes les écoles n’ont pas l’opportunité de pouvoir, travailler régulièrement avec une chanteuse d’opéra, il me semble important que cette musique puisse vivre dans les classes. Vivre à travers des projets qui ne se contentent pas d’une approche intellectuelle, mais amènent les enfants à écouter, voir, essayer, jouer, s’imprégner, participer, imaginer et partager des émotions ensemble. L’opéra et la musique sont des éléments essentiels de cette culture humaniste qui doit être au cœur de l’école, mais également de toutes les structures éducatives et d’Education populaire. Un projet opéra peut vivre et exister dans des séjours collectifs de vacances, des maisons de quartier… Sur la partition du dernier quatuor à cordes écrit par Beethoven, on a trouvé cette annotation sibylline écrite de la main du compositeur : « Muß es sein? Es muß sein! » (« Le faut-il ? Il le faut ! »). Osons et permettons-nous de considérer qu’elle nous est adressée : Oui, il faut que la musique fasse partie de l’univers des enfants.

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Il faut que la musique fasse partie de l’univers des enfants.

 

Maryline Fallot a fait partie de la troupe de l'Opéra National de Lyon. Elle a chanté sous la direction de Mark Minkowski… dans des mises en scène de Laurent Pelly ou Jérôme Savary…

Spécialiste des opéras d’Offenbach, elle participe au festival de Bruniquel consacré à ce compositeur. Elle définit son travail avec les enfants, comme un accompagnement pour leur faire découvrir des facettes cachées d’eux-mêmes, savoir utiliser sa voix comme « instrument libérateur d’émotions enfouies » et prendre plaisir à chanter ensemble.


 

Cet article est issu de la revue Les Cahiers de l'Animation

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