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Lecture collective : l'arpentage, une pratique d'Éducation Populaire

Publié le 24/11/2025 sur Yakamédia. Article original paru dans la revue VEN n°599, octobre-décembre 2025, sous le titre "L'arpentage"
Pratique d’Éducation populaire, l’arpentage est un atelier de lecture collective pour partager sa compréhension, son ressenti et son expérience.
Média secondaire

Il est d’usage de dire que l’arpentage est apparu dans les milieux ouvriers de la fin du XIXe siècle lors de cours du soir où étaient proposées des séances de lecture commune. On y lisait ensemble des contrats ou des textes réglementaires rédigés par le patronat et l’objectif était de s’outiller ensemble pour mieux les comprendre et lutter contre l’exploitation. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des résistant·es du Vercors1 qui formaient les jeunes maquisards, ouvriers et paysans, aux théories politiques, ont aussi utilisé cette méthode. C’est l’association Peuple et Culture qui a théorisé cette pratique à la fin des années 1990.

L’arpentage est un atelier de lecture collective d’ouvrages ou d’articles littéraires, politiques, scientifiques, techniques etc., pensé pour permettre à toutes et tous d’accéder à des textes qui sont peu accessibles, soit par manque de temps, soit par sentiment d’incapacité.

L’idéal est de ne pas dépasser dix personnes. Si le groupe est plus grand il est possible de se regrouper à 3 ou 4 pour découvrir une partie du texte à plusieurs. L’ouvrage ou le texte est divisé en parties égales et distribué à chaque participant·e ou sous-groupe. On se retrouve ainsi chacun·e avec sa portion de livre. Un premier temps de lecture individuelle est proposé, en général d’une heure mais tout dépend de la longueur du texte, guidé par un canevas de questions. Comment as-tu ressenti la lecture de ton passage ? Quelle est l’idée-force de ton passage ? Qu’est-ce qui est flou ? As-tu un désaccord ? En quoi cela fait-il écho à ton vécu ou à quelque chose que tu as vu ou entendu ? À qui recommanderais-tu la lecture de ce livre ? Vient ensuite le temps de restitution collective : dans l’ordre de l’ouvrage, chaque personne ou sous-groupe partage sa lecture. Pour chaque partie restituée, une discussion s’ouvre alors au sein du groupe.

L’arpentage relève pleinement d’une démarche d’Éducation populaire car il repose sur la confiance et l’apprentissage mutuel. Il illustre les phrases : « On apprend les un·es des autres », « On comprend mieux en croisant les regards ».

Cette pratique permet aussi de désacraliser le livre (on le déchire, on l’annote, etc.) autant que de s’autoriser à ne pas tout comprendre : avoir accès à un seul morceau du livre ou du texte facilite le fait de s’exprimer sur ses incompréhensions et encourage le questionnement collectif et la recherche de réponses à plusieurs. 

Cette expérience a été vécue avec des groupes de jeunes lors de séances d’arpentage autour du rapport du Giec. Toutes et tous étaient très fier·es d’avoir pu comprendre certains éléments alors que les termes scientifiques étaient très compliqués. Ils ont d’ailleurs eu envie de poursuivre l’exercice par des ateliers de recherche pour encore mieux comprendre certains chapitres ou certaines notions complexes. 

La question relative au vécu (en quoi cela fait-il écho à des expériences vécues ?) favorise le lien entre ce qu’on vient de lire et ce qu’on a pu rencontrer dans sa vie personnelle ou professionnelle. Cela peut permettre de mieux comprendre la façon dont on a traversé des situations mais aussi de mesurer que les savoirs acquis par l’expérience sont tout aussi importants et légitimes que les apports théoriques. Enfin, cette démarche peut réconcilier avec la lecture et donner envie d’aller plus loin ! Durant la séance d’arpentage, si la personne qui anime peut apporter des éléments de compréhension, elle est surtout là pour faciliter les échanges et donner la parole à toutes et tous. Comme dans de nombreuses démarches d’Éducation populaire, il est question de créer, le temps d’une séance, un espace où seront réduits les rapports de domination. Et comme dans toute activité venue de l’Éducation populaire, il est important qu’après une telle séance, la personne qui anime prenne le temps d’expliciter les enjeux de l’activité qui a eu lieu pour que les participant·es aient le temps de conscientiser tout ce qui vient de se jouer entre les personnes.


1. Joffre Dumazedier, professeur de lettres, et Benigno Cacérès, charpentier, rejoints à la Libération par les co-fondateurs de l’association Peuple et culture, Lucette et Paul Lengrand, et les militantes Geneviève Cacérès et Paulette Borker.