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Les grands cerfs

Ce magnifique roman de Claudie Hunzinger nous ouvre à une réflexion sur la condition animale et donc humaine, sur la place du sauvage à l’heure de la biodiversité déclinante, sur ce que peuvent les mots et la littérature.
Média secondaire
Cemea

Les grands cerfs

Claudie Hunzinger.

Grasset, 2019


Dans les premières pages d’un roman, il n’est pas rare que l’auteur nous glisse quelques mots – sentence, citation – destinés à éclairer la lecture ou, le plus souvent, appelés à s’éclairer une fois la lecture terminée. Dans Les grands cerfs, les petits cailloux semés en épigraphe – Car la clef estoit fée, « La Barbe-Bleue », Charles Perrault – nous plongent dans l’univers des contes, contrée a priori bien éloignée de ce roman contemporain qui, à la manière d’un journal, s’ouvre à la date du 29 octobre 2017. « Cet automne-là, je présentais mon dernier roman dans une librairie. […] Ça se passait chez Violette & Co, rue de Charonne à Paris ».

A l’issue de cette journée, la narratrice, Pamina, rentre vers sa forêt vosgienne. TGV puis voiture pour monter vers la ferme retirée qu’elle habite avec son compagnon « quand soudain dans mes phares, un tonnerre de beauté a traversé le chemin d’un bond ».

En trois pages fulgurantes, le décor est planté et nous voici plongés au côté de Pamina dans la chronique d’une révélation. Et la clef ne tarde pas à se rappeler à nous. « Une clé si petite que je l’avais attachée à une ficelle et rangée dans une boite au fond d’un tiroir. Elle y était restée dix ans. » On se souvient que dans le conte de Perrault, la clef confiée ouvrait une pièce à l’accès interdit et qui s’avérait cacher le résultat de terribles forfaits.

Dans le roman de Claudie Hunzinger, la chambre des secrets est de prime abord bien plus modeste et rustique puisqu’il s’agit d’une cabane d’affût destinée à observer les animaux. L’apparition nocturne de ce cerf dans les phares de sa voiture agit comme un déclencheur et Pamina, qui ne s’y était jamais aventurée, ne tarde pas à ouvrir la porte de la cabane d’affût, prémices d’une longue initiation plusieurs saisons durant. Mais si l’affût permet de réunir les conditions nécessaires à une possible observation il ne garantit de rien, si ce n’est de faire l’expérience de la patience, de la constance, de la contemplation. La nuit, Pamina guette le murmure des herbes froissées. Le jour, elle traque empreintes et fumées. L’affût commande l’engagement, se fait ascèse, purge extatique. Il faut regarder longuement pour peut-être voir.

Par les ouvertures de la cabane, l’empan se réduit ; le regard se concentre jusqu’à révéler le monde par le trou d’une serrure. L’attente fait de la rencontre un événement. « Mais bruits du côté de la forêt, à l’intérieur. Souffles, jeux, trots, poursuites. A la nuit, quatre silhouettes ont traversé le pré bleu indigo en diagonale. » Pamina contemple les cerfs jusqu’à l’obsession. A la grâce du spectacle vient s’ajouter le désir de connaître, de savoir tout des cerfs, jusqu’à faire corps avec ces animaux, à vouloir être cerf. « La curiosité, malgré tous ses attraits, Couste souvent bien des regrets » dit Perrault. Le spectacle des cerfs ne peut désormais s’extraire de celui de la marche du monde. La nature partout encagée ne peut se lire hors du vouloir humain, agriculteurs, forestiers, adjudicateurs, chasseurs.

Magnifique roman qui ouvre à une réflexion sur la condition animale et donc humaine, sur la place du sauvage à l’heure de la biodiversité déclinante, sur ce que peuvent les mots et la littérature. « Un livre comme une réponse, un droit de réponse qui ne résoudrait rien. »

 

 

 


Vers l'Education nouvelle (n° 578, avril 2020)

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