SETU, Voici, Voilà ! Un festival participatif
"Si tu as faim, mange ta main" Tiphaine Calmettes, 2018
photographie©Clément Harpillard
Parfois, le sens se niche là où on ne l’attend pas. Au festival SETU (Voici, Voilà ! En breton) dans les croisements des parcours, les possibilités de débordements, et la porosité qui règne en maîtresse, on décèle une véritable construction mâtinée d’éducation nouvelle et qui dans son process a toutes les caractéristiques de l’Éducation nouvelle. L’agir y est continuel et partagé. Les participants·e·s sont associé·e·s à tous les instants des propositions en cours. Et chaque moment est unique, nouveau. Les installations se succèdent et les verbes « montrer » et « présenter » sont rois. La culture est là sans crier gare. Il faudra désormais attendre 2020 pour connaître le nouvel épisode !
« SETU » signifie “voici, voilà” en breton (prononcez “sétu” \ˈsetːy\ ). Mot de début et mot de fin, « Setu » est un terme qui, littéralement, montre et présente. « Setu » ouvre et ponctue une action, et par là, met en valeur le moment présent de la représentation. »
SETU*, quatrième édition d'un festival de performances artistiques, onze au total très différentes les unes les autres, dont quatre évoquées ici sont le fil rouge de ce texte ; festival qui a réuni public et artistes pendant deux jours, les 30 août et 01 septembre 2019 à Elliant dans le Finistère sud.
Ça commence et ça finit par des poulets à la ficelle
SETU, voici, voilà...Ça commence et ça finit, par des poulets à la ficelle. Poulets suspendus par des crochets au-dessus d'un brasier, un barbecue mode collectivité. Deux demi-cercles en métal sont la base à laquelle deux éléments verticaux en métal eux aussi sont soudés, le tout surmonté d'une grille de tubes épais. Cette construction s'est faite sur place avec des matériaux de récupération, ce qui en fait son originalité. Les poulets y sont accrochés après avoir été préparés pour ce mode de cuisson, badigeonnés de graisse de canard, salés et poivrés au poivre java. Le poulet cuit fumé par la chaleur. Pour ce festival et cette performance, ce sont vingt poulets qui au bout de leur ficelle vont ainsi cuire au fil de la journée. La technique s'inspire d'un mode de cuisson du Sud-Ouest et de celle des « Gauchos » d'Argentine.
La fumaison est une technique simple qui demande du temps ; pour ce festival c'est plus de huit heures de cuisson. Du temps et une surveillance continue, car il est important que la chaleur soit répartie sur tout le brasier et il est nécessaire de réduire la hauteur des ficelles au long de la cuisson pour maintenir une cuisson régulière. Le temps long et l'installation entraîne curiosité et invitation à s'approcher du brasier, petit à petit des groupes se forment, la cuisson devient une affaire plus collective, et des discussions s'improvisent. Cette performance se conclut par le repas du soir avec ces poulets agrémentés de pommes de terre cuites dans la braise, d'oignons de Roscoff rôtis avec leur peau par la rougeur du bois de Charme et de Frêne et d'aubergines grillées, le tout nappé d'une sauce à la crème fraîche au jus coulant des poulets suspendus. Ce soir-là nous étions plus de cent cinquante sur de longues tablées dehors au soleil couchant et ce fut un moment très chaleureux.
Elise Carron*, l'artiste qui a proposé ce festin travaille ce concept de performance culinaire où il ne s'agit pas uniquement de faire à manger, mais à partir de recherches documentaires sur la cuisine médiévale par exemple et en y intégrant parfois d'autres média comme la céramique ou le textile pour la dégustation et le service, de sublimer l'instant. Comme cette fois où un risotto cuisiné fut servi dans des bols moulés à l'ergonomie de la main. Les textiles peuvent eux être des tabliers, mais aussi des éléments de décor ; ces objets ont parfois une fonction utilitaire mais pas seulement. La performance ici à SETU est aussi celle de construire la structure de cuisson à partir des éléments du lieu et du nombre de convives, les parties de ce barbecue géant ont été fabriquées après une recherche dans la décharge de la ferme. Un barbecue géant qui devient alors comme une installation. Avec des produits locaux de qualité principalement et à base de techniques simples de préparation et de cuisson, ici le feu qui rassemble, il s'agit de retrouver le sens du partage dans une dimension festive en rapport avec la culture populaire et celle de la transmission de pratiques parfois ancestrales.
SETU est un festival de performances artistiques et une performance elle-même artistique d'une certaine façon par son concept, sa démarche, son organisation, son fonctionnement, son tempo, sa conduite, le lieu et son public. Un moment unique et original où la performance de chaque artiste invité s’offre dans un temps et un espace dédiés. Moment suspendu de l’éphémère de la représentation qui jamais ne se répétera à l’identique. Un festival à la campagne, dans une ferme pédagogique de plusieurs hectares, dont les bâtiments et les espaces extérieurs, prairies et bois deviennent l'écrin des performances et de l'accueil des artistes, de l'équipe des organisateurs, des bénévoles et des spectateurs.
Çà commence et ça finit par une partie de foot.
Mais un foot pas ordinaire. Son nom « Gloire boueuse » ! Une partie de foot avec des sabots en bois, un ballon en bois, un seul but et sans règles, ici dans un terrain en pente. Deux équipes de cinq joueurs s'affrontent et la partie est gagnée quand l'une d'elle marque deux points. Le propos de l'artiste est de détourner une activité sportive connue et par l'imposition de contraintes, en révéler les empêchements à jouer de manière classique et laisser agir. Cette pratique s'inspire d'un jeu du moyen-âge, comme la soule, une sorte de football de masse, pour régler des litiges sans limite de joueurs, qui originaires de deux villages s'affrontaient, luttant pour transporter une balle faite d'une vessie de porc aux limites de la ville. Tous les moyens étaient bons ou presque pour parvenir à ses fins.
Anaïs Touchot*, artiste est arrivée sur le lieu avec l'idée des sabots et du ballon en bois et c'est sur place que la performance s'est mise en place avec notamment l'idée du terrain en pente. Le jeu est très différent du foot, le rythme est plus lent, il y a les corps des joueurs et leurs déplacements qui prennent des allures baroques, le bruit des sabots sur le ballon comme une musique qui accompagne le jeu. Six parties se sont déroulées en deux tournois par des équipes avec des joueurs affublés de tuniques en guise de maillots. C'est très drôle à jouer, à regarder et ça amène des collaborations hilarantes entre les joueurs et les spectateurs.
La plupart des créations d'Anaïs Touchot* sont des projets collectifs et participatifs dans lesquelles le nombre de participants et le public vont influer sur l’œuvre et ainsi déjouer les normes sociales. À partir de matériaux de récupération, pour des sculptures par exemple, des matériaux pauvres et avec une économie de moyens, des matériaux qui sont momentanément mis en valeur dans une œuvre et qui peuvent redevenir de simples matériaux après. Où il est question aussi de mettre le corps, les corps en inconfort, dans des postures inhabituelles. Ainsi de cette performance qui était la construction d'une cabane de quatre mètres de haut que l'artiste venait chaque jour démolir à la masse et reconstruire le lendemain avec les mêmes matériaux et ce pendant un mois, une performance à la fois artistique et physique. Ici dans ce festival, avec ce tournoi de foot, il s'agissait de retrouver le plaisir de l'équipe, du groupe, dans un jeu qui soit du non-jeu en quelque sorte, dans une turbulence des corps et dans une relation non équitable.
Une philosophie participative
SETU, c'est un concept et une démarche inscrits dans une philosophie participative et associative par ses deux créatrices, Morgane Besnard et Marie L'hours, depuis la première édition, dont la ligne est la représentation et la mise en valeur des performances de « différentes formes d’expression transdisciplinaires, danse, musique, peintures, conversations, récits, gestes qui ont comme point commun de favoriser l'apparition de nouveaux langages »*. « SETU invite aux croisements, aux débordements et souligne les porosités qui existent entre toutes ses représentations »*.
Ça commence et ça finit par la remise d'une pâte à sel aux participants à leur arrivée à l'accueil. Sur chaque pâte à sel un message, une indication. Au moment dit de cette performance, des regroupements de tailles diverses s'opèrent à plusieurs endroits d'une grande prairie. Quand soudain le son d'une guitare se fait entendre, guitare et joueur déambulant dans la prairie. Simultanément qui, à cinq se promènent comme un groupe d'amis, qui à une douzaine vont être reliés par d'autres par une ficelle tenue au-dessus de leur tête et qui représentent une antenne, qui à six ou huit circulent avec une brouette qui se remplit d'objets divers, qui à plusieurs tentent de déplacer une sculpture intransportable qui se modifiera de fait, qui seul avec un mégaphone sème des mots à la volée, qui à quelques- uns se déplacent comme des aveugles, quand d'autres ont des écouteurs voient ce qui se passe mais n'entendent pas, qui à beaucoup regardent, s'exclament, s'esclaffent, eux qui sont les spectateurs et puis beaucoup d'autres encore et qui seule et invisible, mais équipée d'un micro hf reproduit la conversation qu'elle vient d'avoir avec sa grand-mère, conversation qui est entendue par tous et qui emplit la prairie et le vallon entouré d'arbres. Alors pendant un long temps, chacun de sa place et de son rôle assiste et participe à une création collective dans un décor de verdure, comme une chorégraphie aux points d'attraction multiples visuels et sonores.
C'est joyeux, inattendu et plaisant.
Valentine Traverse*, c'est elle qui a eu l'idée de cette performance, une première pour elle, est venue à SETU avec le support des pâtes à sel et de la conversation. C'est sur place pendant la préparation que la performance a pris sa forme. Elle a délaissé momentanément les sculptures dans sa pratique artistique actuelle. Valentine Traverse part d'un mot, s'interroge sur ce mot, une forme d'écriture quotidienne intuitive. Des mots naissent un dessin, une traduction comme un premier geste, puis des reprises qui en altèrent le sens pour aboutir à une proposition de réalisation. Ici partir d'une chose simple et fragile comme la pâte à sel, y figurer quelque chose c'est un peu l'altérer, puis trouver un médium un peu « casse-gueule ». Que les participants, spectateurs et acteurs mélangés, s'emparent de la performance et la modifie sans la possibilité pour l'artiste d'avoir la maîtrise sur ce qui va se passer pour aboutir à une sculpture globale, comme un moment de film, comme un tableau. D'ailleurs Valentine dit peu de temps avant le festival avoir rêvé de mettre en scène West Side Story, la scène du début où tout le monde aux quatre coins de la ville, claque des mains…
Une lente maturation jusqu’à l’été
SETU c'est une préparation tout au long de l'année, une lente maturation qui par la recherche des artistes, la connaissance de leur univers et leur adhésion au projet commence à mûrir dans la tête des deux directrices artistiques pour lui donner sens et forme bien avant la phase finale. Mais l'originalité tient aussi à la localisation et à l'utilisation du lieu comme un élément à part entière des performances. Une condition qui exige la présence des artistes plusieurs jours avant le festival pour s'imprégner du lieu, s'en inspirer, l'utiliser comme support de leur mode d'expression. Ainsi les artistes écrivent, réécrivent, modifient leurs performances au gré des échanges et des mises en action. C'est en cela que chaque performance est une œuvre originale et unique avec une seule représentation. Ce sont donc bien la découverte, la présence, les échanges au long de la semaine qui précède le festival, qui vont déterminer la touche finale et la manière dont chaque artiste va imaginer sa performance. Le festival devient alors une construction collective.
Ça commence et ça finit par une descente lente d'une quinzaine de voitures sur la petite route qui mène à la ferme et qui s'avancent vers l'aire d'accueil. On entend une musique sortir de la première voiture, le conducteur en descend laissant les deux portières avant ouvertes et la musique prend du volume, la seconde voiture s'arrête et la même musique en sort, puis une troisième voiture et une quatrième, la même musique ;une musique douce et répétitive comme une boucle emplit l'espace et ainsi de suite jusqu'à l'arrêt et l'ouverture des portières de la dernière voiture. Les véhicules sont arrêtés les uns derrière les autres garés en grappe. Les spectateurs alors déambulent car cette mélodie est comme un appel à s'approcher des voitures et à s'y faufiler pour entendre le son amplifié quand on se trouve à proximité de l'une d'elle et entendre l'enveloppe sonore de l'ensemble quand on se déplace. C'est une promenade dans une stéréophonie décalée, une promenade apaisante. Une promenade qui dit la fin du festival qui a uni l'ensemble des présents, artistes, bénévoles et spectateurs dans une forme d'union et qui dit la fin et les départs prochains par ces voitures ouvertes qui semblent attendre leurs passagers. Un moment émouvant, rare d’intensité partagée, dans un calme peu coutumier après deux jours de rencontres autour des autres performances. Comme une porte qui se referme doucement sur des souvenirs communs.
Une volonté d’associer tous les participants
La proposition est de Blaise Parmentier*, l'artiste qui a mis en place cette performance ; il a une pratique d'atelier et travaille des sculptures avec aluminium, fonte et verre et des peintures. Notamment cette recherche sur la couleur argentée chrome qui le renvoie à son expérience de jeune tagueur. La performance n'est pas le médium qu'il maîtrise le plus et il s'est inspiré pour cette fois d'une recherche issue d'un projet qu'il mène autour d'un dispositif de diffusion d'un album. Le point de départ, un vernissage d'une de ses sculptures déposée de manière un peu « sauvage » sur une aire d'autoroute avec cette musique comme ambiance sonore qui évoque la route dans l'autoradio de la voiture d'un ami. Le lendemain Blaise Parmentier est revenu remettre des copies aux routiers qui étaient là et cette musique répétitive, ils l'ont mis dans leur camion respectif et tout à coup sur cette aire d'autoroute, ce lieu impersonnel, une musique multipliée a envahi l'espace, « comme une vague, une circulation de boucles ». C'était très beau, avoue Blaise. Ici pour ce festival, le lieu, les voitures et l'acoustique ont induit cette forme particulière.
SETU c'est aussi une volonté d'associer au plus près tous les participants, artistes, bénévoles, spectateurs à tous les instants du festival. Une organisation et une logistique rigoureuses mais pas rigides avec une trentaine de bénévoles qui assurent le bon déroulement des deux jours, des régisseurs, une équipe de cuisine, une équipe pour le bar permanent, une équipe d'accueil et une direction de quatre personnes permettent cette fluidité entre les performances , les temps de pause, de repas, de détente, de rencontres. Deux zones de la ferme sont dédiées au camping pour les artistes, les bénévoles et les spectateurs. Une cuisine de qualité faite sur place et des repas à prix modiques et une vaisselle participative.
Consommer ici n’a pas cours
Dès l'avant festival le ton est donné, la signature apparaît, cet événement se réussit dans l'adhésion de chacun à cette dimension collective. Ici il ne s'agit pas de consommer du spectacle, ici il ne s'agit pas de payer pour recevoir. Ici il s'agit de saisir que les performances sont à chaque fois un moment singulier dont on apprécie la dimension artistique spécifique dans un ensemble dont les moindres temps et espaces contribuent à leur mise en valeur. C'est comme si l'ensemble de la dynamique créée les jours précédents avait fonction de portage de la concrétisation des deux journées par l'engagement de tous, spectateurs compris qui pris dans l'atmosphère du lieu, son ambiance, garantissent les représentations et le bon déroulé des deux jours.
Ce festival encore jeune s'inscrit pleinement dans le droit fil de l'éducation populaire, ici les performances artistiques sont entendues comme un positionnement émancipateur des personnes et pas seulement de distraction. Tout le monde a travaillé à cette forme de performance qu'est le festival en tant que tel, même les spectateurs, puisque spectateurs ils sont, mais spectateurs actifs. Le sens d'un projet, d'une action dans cette philosophie d'approche se lit dans les conceptions, les idées premières, mais prend son sens plein aussi dans les entours de la vie quotidienne et de la vie collective. Ainsi l'accueil, au sens d'être accueilli à son arrivée, mais aussi accueilli à chaque instant par les attentions qui s'expriment au fil des deux journées, sont les articulations qui vont créer la qualité de la succession des moments. Les rencontres, les vraies rencontres sont alors possibles car l'ambiance de facilitation des circulations diverses entre les personnes est à l'œuvre.
« Il n'y a pas d'éducation sans culture » et les Ceméa se sont construits avec les courants culturels et sociaux les plus novateurs. L'accès aux pratiques culturelles et artistiques est un droit fondamental pour tous et cette ouverture au monde sensible invite chacun à aller vers ce qu'il ne connaît pas. Ce festival bien que ne s'en revendiquant pas, promeut d'une certaine manière l'éducation nouvelle. « L'Agir » est de tous les instants et le projet politique sous-jacent démontre qu'il est question dans cet ici et maintenant de subvertir nombre d'aliénations notamment culturelles et artistiques et d'ouvrir à de nouveaux horizons.
Note : Un grand merci aux quatre artistes avec qui j'ai pu partager un moment et qui ont inspiré cet article et à Sophie Lapalu* qui m'a gracieusement communiqué les interviews longues qu'elle a réalisées des artistes présents support à sa propre performance. Un remerciement également aux deux directrices artistiques, Morgane Besnard et Marie L'hours qui m'ont donné leur accord pour cette publication.
Pour poursuivre cette lecture :
www.setufestival.com
Anaïs Touchot : École européenne supérieure d’art de Bretagne
Elise Carron : Ecole Supérieure d’Art de l’Agglomération d’Annecy
Valentine Traverse : Ecole des beaux arts de Lyon, école supérieure d'art de Clermont-Ferrand,
Blaise Parmentier : Musique de la performance de Jordan de la Sierra «Gymnosphere, Song of the rose »
Sophie Lapalu : Critique d'art et professeur à l'école supérieure d'art de Clermont Métropole