À Mayotte les jeunes agissent sur le territoire

Parfois, il faut savoir, il faut oser sortir du cadre et inventer des manières d’agir avec de la matière d’être. Pour répondre à une situation qui préoccupait toute la population à Koungou les Ceméa se sont lancés dans une aventure singulière et qui pétille : le BAFA citoyen.
Média secondaire

Le BAFA citoyen à Koungou sur l’île de Mayotte ce sont deux sessions comme les autres (le public étant lui particulier) qui ont accueilli soixante stagiaires vingt deux filles et trente huit garçons) dont la formation a été financée par le CCAS. Ils et elles venaient tous et toutes de milieu modeste, la plupart sont né.e.s à Anjouan (une des îles des Comores, la plus proche). Chacun et chacune avait besoin de cette parenthèse, de cette respiration pour sortir de sa misère. Jusque là ils et elles passaient leur temps à voler (barrages en bandes pour détrousser les automobilistes et affrontements avec les jeunes d’autres villages), mais ces actes violents n’étaient pas gratuits, ils étaient la manifestation ultime d’un ras le bol profond, d’une insatisfaction de ce qui se passe, et du refus de l’état de leur pauvreté. Pas d’accompagnement proposé, pas de moyens, pas de propositions d’emplois et ils et elles jusque là avaient du mal à se faire entendre, on ne les calculait pas. Voler des objets puis les vendre pour subvenir à leurs besoins, piquer la copine du gars de la bande rivale, c’est le moyen qu’ils et elles ont trouvé pour dire leur colère. En échangeant avec eux et elles en amont, il s’avérait qu’ils et elles étaient demandeurs.euses et que ce type de stage répondait à leurs besoins.

« Et pourtant ce n’était pas gagné d’avance. On a dû dépasser la première impression (ils et elles nous faisaient peur quand on les a vu.e.s  pour la première fois, ils se ressemblaient tous, elles se ressemblaient toutes. On aurait dit des clones.

« Nous avons sans cesse dû nous adapter afin que chacun.e trouve sa place en tant qu’individu, en tant que stagiaire (Certain.e.s étaient illettré.e.s, d’autres analphabètes). Nous avons souvent assurer les contenus en langue vernaculaire, le shimaoré, beaucoup ne maîtrisant pas le français » nous glisse avec enthousiasme Oily, responsable de formation et acteur du secteur « parentalité » aux Ceméa Mayotte.

Il ajoute dans son élan :

« C’est Maurice et son association Centre d’Animation Jeunesse qui est allé les chercher (parce qu’il les connaissait bien et qu’il avait gagné leur confiance au fil des jours, avec l’aide appréciable de la commune de Koungou et de son CCAS. »

Personne ne travaillait et n’avait les moyens de rentrer en formation sans accompagnement financier. Cette formation pourtant leur était connue mais leur semblait inaccessible.

Le Bafa, un déclic salvateur

Et le stage s’est déroulé (Les deux groupes étaient dynamiques et dormaient peu, le groupe était en effervescence, il mordait à pleines dents chaque instant de travail), et le stage s’est terminé après des moments inoubliables. Il s’est passé quelque chose au fil du temps, imperceptiblement d’abord puis au grand jour. Ils et elles devenaient autres.

Oliy, intarissable, poursuit : 

« et aujourd’hui les stagiaires sont tous et toutes devenue.e.s des adultes, plus aucun.e ne se permet d’avoir un comportement trouble . La formation a pris tout le sens qu’on avait l’objectif de lui donner. Certain.e.s ont trouvé du boulot, dans l’animation ou ailleurs, d’autres ont monté une association, sont actif.ves sur face-book. Le BAFA a été un véritable déclic pour la totalité des participant.e.s. Ils.elles ont souvent des questions à nous poser, nous les accompagnons et restons en relation avec la plupart. Des mamans nous appellent pour faire part de leur étonnement et de leur satisfaction. Le stage a été le détonateur d’un élan collectif où les individus un par un ont une place dans la vie du territoire, ont une place et la prenne. Quand je repense à ce qu’était la situation à la fin de l’hiver ; échauffourées, agressions dans les six villages de Koungou, je me rends compte de la transformation : la guerre éclatait pour le vol d’un objet ou de la copine d’un autre, ce n’était jamais pour rien mais c’était l’étincelle qui mettait le feu aux poudres. Aujourd’hui pour ces groupes tout s’est apaisé mais d’autres, plus jeunes ont pris le relais, la violence ne fait pas silence. Il y a des gamins de dix ans déscolarisés avec une machette, dont les jeunes ont peur et je dois avouer que nous n’en menons pas large ».

En ce mois de septembre 2020, même si l’insécurité règne encore et la reprise dans les écoles connaît quelques balbutiements (les travaux qui s’imposaient n’ont pas été faits en temps utile et dans la précipitation on constate des anomalies et certaines écoles ferment), les participant.e.s aux deux BAFA sont devenu.e.s des agent.e.s de développement local et ont contribué, contribuent et contribueront à l’apaisement d’un territoire et à son animation.

L’atmosphère de la rentrée est presque sereine.

Le festival du jeu de Koungou, autre point d’orgue

Les Ceméa qui ont mis en place le festival  (des équipes de dix personnes mêlant les six villages qui forment la commune de Koungou, au nord de Mamoudzou, à la lisière du chef-lieu du département) en assurent le suivi.

Il y a un réel intérêt pour ces jeunes de se lancer dans l’organisation d’une manifestation culturelle. Cet événement concerne tout le monde et le lien entre jeunes et parents s’en trouve resserré. Et les jeunes y prennent toute leur place, ils et elles gèrent le festival (accompagné.e.s par les Ceméa) au sein du comité. Et c’est le comité qui va aller devant la population, nous sommes là pour mettre à disposition des outils. Il y a une véritable prise de responsabilité. Et des jeunes qui ont suivi le BAFA se sont engagé.e.s avec enthousiasme dans cette dynamique. Le festival qui aura lieu en novembre s’annonce plein de promesses.

Seul petit bémol, pour le festival du jeu, si les conseillers municipaux ont échangé avec les jeunes et c’est un point positif, d’une manière générale les équipes municipales sont pointées du doigt. Le manque de moyens a la vie dure, il y a pénurie d’emploi, pénurie de structures. Et au-delà de ces dialogues furtifs, le manque de lien social se fait sentir.

Nous sommes bien dans une nouvelle poétique de l’intervention sociale, dans une réelle dynamique d’insertion (on peut ne pas aimer ce terme mais il est parlant ô combien ! Je m’insère, cela veut dire que je me glisse dans une ouverture qu’on m’a laissée, je suis le sujet, l’acteur.rice de mon insertion, je me fais ma place dans un système auquel j’appartiens et qui jusque là m’ignorait)

Pour l’avenir, des jeunes sont déjà inscrit.e.s pour la troisième partie du BAFA et d’autres formations sont prochainement mises en place (une inscription en groupe est prévue, le CCAS ne lâche pas l’affaire).

Quel chemin parcouru ! On ne pouvait l’imaginer au tout début du projet. « Je me souviens que la première fois qu’on a rencontré ces jeunes, il y avait dans leur regard quelque chose qui nous inquiétait et on s’est même dit : qu’est-ce qu’on fout là, qu’est-ce qu’on fout là ? » ajoute Oily radieux, et avec un grand sourire.

Le premier regard, le premier sentiment sont souvent trompeurs. À la réflexion et à la lueur de ce qui s’est vécu et de l’impact que cette initiative a eu, ils ont  bien fait de rester.

Les fonctions qu’occupent déjà quelques jeunes, le rôle qu’il ont dans le quotidien des enfants sont des éléments capitaux dans la quête d’une citoyenneté qui leur échappait jusque là.
En cela, nous pouvons nous risquer à avancer que c’est (jusqu’à présent) une réussite.

L’épithète « citoyen » n’était pas usurpée.

La paix sociale en-jeux à Koungou

Mra, morpion, jeu de dame ou de palets, les jeux sont nés sous la patte des BAFA Citoyens à Koungou. Ils vont servir de ponts entre villages, et à retisser du lien entre parents et enfants.

Lire l'article de Anne Perzo dans le JDM du 16 novembre 2020

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