Animer, ce n’est pas être un patou

Chaque personne qui décide de s’engager dans l’animation et de s’inscrire à un stage BAFA n’imagine pas toujours ce que signifie vraiment « animer ». C’est une fonction simple et complexe, pleinement éducative qui dépasse la notion d’encadrement et inclut celle du ludique.
Média secondaire

Quand un stagiaire arrive en stage de formation il ou elle se fait une idée ou pas de ce qui va s’y vivre mais bien souvent il·elle découvre avec surprise que ce n’est pas exactement ce à quoi il·elle s’attendait. Et il·elle mesure à la fois la grande diversité des tâches de la fonction d’animation et la multitude de postures qui seront nécessaires pour les accomplir. L’une d’elle est bien d’avoir la capacité de jouer avec le public, d’en saisir l’importance et non pas de passer son temps à sa surveillance.

En centre de vacances je ne sais ce qui anime les personnes qui passent leur temps à être sur leurs gardes, à élever la voix pour cadrer des enfants qui utilisent l’espace et le cadre posé pour l’investir à donf en tant qu’êtres de vie et de mouvement. Je ne sais ce qui les empêche de jouer avec, de se sentir concerné.es par leur énergie et leur envie de faire plus que préoccupé·es par leur soit-disant sécurité, à l’affût du moindre débordement.

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Et pourtant il doit bien y avoir une raison, une explication plausible, un hic, un grain de sable qui vient enrayer la belle machine alléchante de l’aventure de l’animation qu’on a enclenchée en s’engageant dans le BAFA. Peut-être est-ce plus difficile qu’il n’y paraît. Ils et elles n’osent pas, comme si jouer de concert avec les enfants était au-dessus de leurs possibilités et qu’il fallait bénéficier d’une autorisation délivrée par je ne sais qui pour quitter la pelisse de la surveillance et endosser l’habit d’animation.

Il ne s’agit pas de faire un procès aux chantres de ces postures, à la frange minoritaire des personnes qui traînent leur misère en fonction d’animation. Il s’agit d’analyser le pourquoi du choix (forcé ou non) de tenir ce rôle et d’éviter une déconvenue à celles et ceux qui s’imaginent que l’animation s’apparente à de la surveillance. Éviter qu’ils et elles s’engagent dans une voie qui n’est pas la leur. Nul·le n’est je le rappelle obligé·e d’inscrire « animateur·rice sur son CV. Qu’est-ce qui pousse un·e jeune à se lancer dans la fonction d’animation ? Il·elle n’est pas obligé·e je le rappelle de passer par là, ou alors c’est l’aspect sexy du côtoiement de pair·e·s qui attire. Et la junk food du 5ème !

C’est mieux alors d’aller s’éclater sur la plage avec ses potes ou ailleurs plutôt que de s’encombrer de mioches qui piaillent et qui réclament de l’attention, de l’écoute et du ludique.

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Animer c’est permettre et favoriser une kyrielle de possibles

Car animer c’est avant tout participer du grandir des enfants et des adolescent·es, pour y parvenir c’est alors leur donner l’occasion de faire ce qu’ils et elles ne peuvent faire ailleurs. Sauter de pierre en pierre dans un ruisseau (au risque de glisser, mais aussi au bonheur d’avoir réussi à ne pas se mouiller), franchir un petit fossé sur un tronc (au risque de tomber dans l’eau mais au bonheur de se faire une frousse du tonnerre de miaou), et tenter de bondir au-dessus d’un buisson un peu plus haut que celui de la veille (au risque de se rétamer et de s’écorcher les genoux mais au régal d’avoir dépassé sa marque), quels plaisirs véritables ! Quelle jubilation !

Animer c’est permettre et même favoriser ce type d’agir, accompagner des envies que chacun·e d’entre nous a connues durant son enfance à « l’âge de l’écolier » (Debesse) dans la rue, les bois ou chez soi, dans un environnement où ces gestes sont possibles en toute sécurité. Et faire avec plutôt que d’interdire ou d’être spectateur. Écouter, observer c’est plus facile quand on est au cœur de la mêlée.

Oui les enfants courent, s’agitent, sautent, escaladent, grimpent, s’invectivent, se bousculent, font des tentatives, essaient de se dépasser, de dépasser leurs performances, de se comparer aux autres, tombent parfois, se relèvent, contournent, élaborent des stratégies et n’obéissent pas toujours, oui ils et elles esquivent, se cherchent, osent, inventent, se confrontent  aux autres et à  un milieu...et bien heureusement. L’autonomie s’acquiert à ce prix. Et le centre de vacances est un lieu privilégié pour s’essayer à ces initiatives.

Cemea

Gamin, je grimpais aux arbres, je franchissais des mini canyons, je me gavais de mûres, déchirais mes vêtements en passant sous les barbelés, je sautais de 10 m du rocher de la Galère à St Cyr sur mer, au mépris du danger. Oui, d’accord, c’était avec mon père et mon frangin mais en colo j’en ai aussi connu des expériences et c’est un lieu de grande sécurité pour que les enfants s’éclatent (dans le sens de connaître un florilège de premières fois) et c’est une des missions de l’équipe d’animation de leur permettre de vivre ces découvertes et de les favoriser, d’ouvrir des possibles, une multitude.

Animer n’est pas surveiller, jamais

Animer n’est pas jouer au gendarme et aux voleurs, au gardien, à la gardienne d’une paix rêvée. Ce n’est pas non plus se prendre pour un patou, ce chien de montagne des Pyrénées et du Vercors qui veille à la bonne marche du troupeau. Pas plus, aboyer jusqu’à faire taire toute velléité d’agir à sa guise. Il me semble que la relation éducative c’est un autre pays, sous une autre latitude, des liens qui se tissent peu à peu, au gré des découvertes, fruits d’explorations multiples au fil d’une rencontre mutuelle au sein de laquelle naissent toutes sortes de tentatives, d’acquisitions qui scellent d’emblée la teneur de la relation qui va s’instaurer, qui s’est instituée d’elle-même.

Un animateur n’est pas un patou, pas un maton, la colo n’est pas réclusion et les temps informels pas le temps de promenade où on doit filer droit !

Étonnement, surprise teinté de souvenirs et tentative d’analyse

J’ai eu l’heur d’assister (je prenais des photos pour Yakamédia) à un temps pré/post douche dans un séjour de vacances et si les enfants s’ébattaient, s’égayaient, certains membres de l’équipe d’encadrement présent·e·s semblaient s’ennuyer effroyablement. C’est là qu’est le nœud, lorsqu’on s’ennuie, qu’on ne sait pas quoi faire, pour se donner une contenance on existe par des cris, on n’existe que par cela. Mais pourquoi s’ennuie-t-on alors qu’on a partout des occasions de jouer, de s’amuser avec les enfants s’ils·elles le désirent, le demandent ou quand on s’aperçoit qu’il·elles en ont besoin? Les jeunes qui s’engagent dans l’animation quand ils et elles sont avec leurs pair·e·s, savent s’amuser de conserve, s’éclater. Je crois qu’après m’être insurgé comme un ponte dogmatique, redresseur de tort et être monté sur mes double-poneys fougueusement et aveuglément, redescendu sur terre et dans la réalité, je doive essayer de comprendre ce phénomène. Peut-être les personnes qui animent ont-elles peur de mal faire, de se mettre en avant, de trop en faire et par souci d’équilibre se contentent-elles d’errer et de ronger leur frein ? Ou peut-être ne savent-elles pas faire ? Mais j’ai beaucoup de mal à me sortir de la tête que ça demande un effort particulier ou une prise de recul, de distance. Ça m’a toujours semblé si instinctif et naturel pour moi que je ne me suis jamais posé la question : est-ce pour tout le monde pareil ? Car enfin j’ai tellement toujours joué et toujours été curieux et j’adore jouer encore aujourd’hui que je ne conçois pas qu’il puisse en être autrement. Et je ne peux m’empêcher encore aujourd’hui de participer aux jeux symboliques pour prendre le thé dans le bac à sable quand j’y suis invité, il est si bon de se laisser aller à un tea time tranquillement et d’être sur le qui vive quant aux desiderata des enfants, quitte à passer une heure à faire une activité qui ne me botte pas plus que ça parce que les gosses prennent du plaisir à s’amuser et finir par me prendre au jeu. De même je prends toujours plaisir à jouer aux playmobil (en avant mes histoires et celles des bambins). J’avais déjà il y a quelques années été étonné du peu d’entrain des jeunes animateur·rices à la piscine, comme si c’était un pensum d’être pour les enfants un partenaire de jeu dans l’eau. Les kaplas, les legos ça me parle, une fourchette, une peluche, une chaussette, un pulvérisateur de liquide à vitres deviennent vite marionnettes, jouer est un objectif essentiel, aimer jouer une compétence obligatoire pour faire fonction d’animation, la seule peut-être. Je ne comprends pas qu’on puisse vouloir être animateurice si on a du mal avec cela. Peut-être suis-je vieux jeu, mais j’en assume la charge. 

Cemea

Ne rien faire, c'est toujours faire quelque chose

« Et surtout qu’il n’arrive rien » écrivait Lucien Goetschy « il y a belle lurette » dans son article « le temps de vacances », publié dans VEN pour signifier le principal objectif de beaucoup de directeur·rices de colo, je crains que chez certains animateurs (curieusement ce sont surtout des garçons) ce soit le leitmotiv de leur rapport à l’animation.

Mais qui leur a mis ça dans la tête ? Ils ne sont pas les promoteurs de cette façon de faire mais ils la vendent bien.

Il y a là une conception de la relation éducative très étrécie, étriquée même, qui se résume à surveiller, intervenir en jappant et rappeler le cadre, le boulot d’un garde-champêtre en somme.

Alors que prendre le temps de s’intéresser à cette chorégraphie, là-bas, de ces trois adolescentes qui balancent leur bras en rythme et enchaînent des mouvements qui se répondent ou font chœur, cela semble être du pur bon sens même si ce n’est pas si évident que cela.

Animer c’est s’autoriser à ne rien faire (et laisser les enfants faire de même), ne rien faire si ce n’est jouer avec les enfants, encourager leurs initiatives, se permettre de leur permettre des essais, de favoriser leurs tentatives de tester leurs limites et si l’un d’eux, l’une d’elles est toujours perché·e, plutôt que de sans cesse le·la reprendre sur son intrépidité, sa témérité, et de lui répéter que c’est dangereux, engager un dialogue avec lui, avec elle et lui proposer en toute sécurité d’exercer ses capacités, en agissant ses qualités physiques et de les mettre au service d’un projet d’acrobatie en toute sécurité.

Il vaut mieux l’encourager et lui donner les moyens de faire étalage de ses performances gymniques en toute sécurité plutôt que de l’invectiver like some (any) rotten fish*. S’engager dans l’animation c’est aussi poursuivre ses rêves de gosse et les mettre au service des enfants d’aujourd’hui.


Patou : Race de chien de berger qui protège les troupeaux dans les montagnes des Pyrénées

* L’engueuler comme du poisson pourri