LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Il est fou, l'animateur !

Prêt à développer des activités ouvertes qui rebondissent "dans tous les sens", les possibles du milieu repérés et les coins aménagés, maintenant, comment moi, animateur, je vais m'y prendre avec eux, enfants, pour que "ça marche" ?
Média secondaire

Prenons un exemple: on a repéré un centre d'intérêt chez les petits autour de la fabrication d'arcs et de flèches. Ils jouent, un peu, sans plus. Ça ne décolle pas, il manque ce petit rien du tout pour que cette fabrication se transforme en une véritable aventure: jouer aux indiens, se poursuivre, se cacher, se barbouiller le visage avec du charbon, se déguiser, s'approprier un lieu, construire son tipi et y dormir à l'intérieur entre copains...

Et si l'imagination des enfants n'était pas aussi débordante qu'on veut bien nous le faire croire? Si ce petit grain de sel qui manque, c’était un petit grain de folie de l'animateur? Un grain qui le fait arriver au petit matin métamorphosé en visage pâle et se présenter aux enfants d'un salut redoutable : "Hugh! Moi être Clair de lune !!" Des regards étonnés ou amusés s'ensuivent. Il est fou l'animateur... mais il est rigolo! En même temps, on se laisse porter par ses histoires, sa voix, son regard d’indien, on se prend à rêver d'aventures, on finit son petit déjeuner, on enfile les chaussures et là, direction le grand large et la forêt! On a tout de suite envie de le suivre cet animateur, il rampe sur le sol, s'enfuit dans le bois sans un bruit, grimpe sur les arbres et taille les flèches mieux que personne! Nous pouvons identifier d'autres attitudes chez les animateurs qui contribuent à susciter de l'activité: partager avec les enfants ses "passions" et ses propres centres d'intérêts, discuter avec eux des aventures à vivre, les "titiller" sur les indices de présence des animaux de la forêt, rêver ensemble à la cabane qu'on va se construire le lendemain ou encore se raconter des histoires pas possibles sur les ours, les loups et les bergers.

L'animateur, un barreur sur le bateau

Si l'enthousiasme de l'animateur apparaît comme une condition nécessaire pour que 1'activité soit source de plaisirs, il est entendu que le plaisir ne se définit pas de la même façon pour l'animateur et pour l'enfant.

On touche ici à la question des relations adultes - enfants et plus particulièrement du rapport éducatif de l'adulte envers l'enfant.

Ce qui différencie l'enfant de l'animateur, c'est bien évidement que ce dernier a toujours une prise de distance sur les activités qu'il suscite : il sait vers quoi il oriente le jeu, il repère ses enjeux et ses perspectives, il maîtrise et sait canaliser l'euphorie des enfants, tout comme il a su la provoquer. Il est "le calme dans la tempête" a écrit Deligny mais aussi celui "qui sait marcher sur les mains".

Nous serions tentés de prendre une autre image dans la tempête, celle du barreur d'un bateau: il cherche les vents, contrecarre les courants, maintient son cap vers où il a décidé de se diriger mais profite des diverses possibilités et cheminements qui s'offrent à lui. C'est tout l'intérêt de la navigation, il n' y a pas de route toutes tracées.

Ne nous trompons pas sur la signification de cette métaphore. Choisir et maintenir un cap dans l'animation, ce n'est pas prédéfinir aveuglement les activités que je vais proposer à des enfants quoi qu'il arrive!

La direction se détermine plutôt à partir d'intentions éducatives. Par exemple, je peux avoir le souci de favoriser le jeu, l'autonomie, la créativité ou la prise de responsabilité chez les enfants en débroussaillant les chemins et en multipliant les entrées possibles. Le tout, c'est de posséder la boussole et de savoir s'en servir.

Les risques de la navigation

La navigation n'est pas sans risques! Le barreur peut parfois se laisser bercer par la mer et oublier qu'il dirige le bateau.

C'est un peu l'histoire de cet animateur qui joue avec quatre ou cinq enfants aux épées. Le jeu est à son comble, au point que l'animateur en oublie sa place, il hurle, assène des coups de plus en plus forts, se sent "comme les enfants" et finit par réprimander l'un d'eux qui a assommé l'autre d'un coup de bois sur la tête!

Parfois encore, notre barreur est si enthousiaste qu'il se débrouille pour que le plaisir des passagers ne soit pas celui de la navigation mais plutôt celui de le regarder barrer le bateau.

C'est une autre histoire, celle de l'animateur qui utilise toutes les ficelles, surtout celles de la démagogie, pour réduire l'animation à son seul spectacle. Il est sympa, drôle, satisfait de la séduction qu'il exerce sur les enfants sans jamais parvenir à se sortir de son numéro, sans jamais laisser de la place aux enfants.

La question de l'appropriation d'un projet pédagogique et d'intentions éducatives est posée simultanément à celle de la relation qui va s'établir entre les animateurs et les enfants.

Partager du plaisir, vivre des activités

La fonction de l'équipe de direction est alors d'aider l'équipe d'animation à s'interroger sur le sens et la valeur des activités mais aussi sur les relations qu'elle tisse avec les enfants pour réaliser son projet.

Accompagner les animateurs dans ces démarches passe par des temps de formation au cours desquelles le plaisir de faire est essentiel: comment avoir sinon des exigences envers les animateurs si l'équipe de direction elle même ne parvient pas à faire partager de l'enthousiasme, de la curiosité, une part de rêve aussi...

Cette posture vis-à-vis des personnes est primordiale dans une relation éducative parce qu'elle modifie le regard que chacun peut porter sur l'autre.
Il sagit d'un regard qui se différencie d'une conception figée du développement des personnes et qui ne se trompe pas de cible lorsqu'il cherche à comprendre les motifs de ses échecs, un regard en mouvement qui s'interroge sans cesse sur la pertinence des situations éducatives qui permettent ou pas à chacun de se réaliser dans des activités.

 


Article publié dans les Cahiers de l'animation - Vacances Loisirs