Une conférence sans conférencier·ère, c’est possible

L’animatrice propose aux participant·e·s une conférence sur « l’alimentation et l’environnement » et le conférencier n’est pas là. Mais ce n’est pas grave parce qu’il est possible de nourrir le sujet grâce à tous et toutes. Elle présente la méthode qui va permettre d’y parvenir.
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Média secondaire

Il y a dans la panoplie des méthodes toute une palette de possibles qui permettent à tous et toutes d’être acteur·rices des débats et de contribuer à la réflexion et à la production de contenus et de ressources. Ici il nous en est présentée une qui enrichit notre portfolio.


5 tables, disposées en cercle où est posé de quoi écrire et où viennent s’installer cinq ou six personnes à chaque table.

L’animatrice propose aux participant·e·s une conférence sur « l’alimentation et l’environnement » mais le conférencier n’est pas là. Elle ajoute que ce n’est pas grave parce qu’il est possible de nourrir le sujet grâce à tous et toutes. Elle présente la méthode qui va permettre d’y parvenir.

Première étape : à chacune des tables il va s’agir d’élaborer un sommaire entre trois et cinq points de ce qu’on aurait aimé entendre dans la conférence si le·la conférencier·ère avait été là.

Presque instantanément les tables s’animent et les personnes se mettent au travail. Ça discute, ça parle et d’emblée les échanges, les idées fusent et les sujets abordés sont très divers. Chaque groupe est lancé et la prise de notes est assurée.

Florilège des mots entendus : inégalités, viande, enjeux, impact, empreinte écologique, pesticide, liaison, loi, décision, quel est le levier, marché bio pas bio, magasin, choix alimentaire, changer les pratiques, la place de l’éducation, avenir de l’humain...les bribes de conversations se mêlent et participent à une recette collégiale virtuelle qui peu à peu se crée au fil des mots. Chaque table est indépendante et pourtant il y a une unité, une cohérence générale et collective. Les cinq groupes déjà ne font qu’un.

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Deuxième étape : mise en commun des sommaires, le bruissement peu à peu s’amuit. L’animatrice note les mots-clés au tableau blanc : choix de production et de consommation, impact économique et sur l’environnement, déchets (y compris les emballages) et gaspillage, additifs, l’eau, politique d’achats des structures, agriculture de demain, protéines animales et légumineuses, quels leviers pour changer les pratiques, alimentation et empreinte écologique, territoires autosuffisants et alliance, c’est quoi un label, le rapport aux saisons, le traitement des animaux, impact écologique et éthique, modes de productions, circuits courts, écoresponsables c’est quoi, qu’est-ce qu’on met derrière environnement, changer les pratiques…

Troisième étape : l’objet est de décider d’un sommaire en commun. À partir des sommaires réfléchis aux cinq tables l’animatrice avec l’aide des participant·e·s choisit cinq thématiques à travailler pour la conférence, qu’il va falloir assurer, le·la conférencier·ère n’étant toujours pas arrivé·e :

1/ l’environnement (qui constituera l’introduction),

2/ les modes de production,

3/ la question des protéines : dans quels aliments peut-on en trouver ?,

4/ la question des achats et des choix de consommation,

5/ les déchets, les emballages, le gaspillage, l’eau…

Quatrième étape : à chaque table est dévolue une question du sommaire qu’il va falloir traiter pour alimenter la conférence. Chaque personne choisit la question avec laquelle elle se sent la plus à l’aise. Il s’agit dès le début de désigner un·e conférencier·ère qui viendra exposer les réflexions du groupe à la table de conférence. Les consignes étant de travailler ce qu’on sait puis de formuler des hypothèses et enfin de faire part de pensées subsidiaires. Il est dit également que les conférencier·ères peuvent faire évoluer le sommaire. À l’issue de la 1/2 heure en groupe, les cinq conférencier·ères prendront la parole à tour de rôle.

Chacun·e choisit son sujet (est-ce un choix réel ou un choix contraint?) et force est de constater que le nombre des personnes à chaque table est homogène, le choix des conférencier·ères s’opère et de nouveau un bourdonnement rassurant se fait entendre, bruire est le maître mot. Des mots circulent plus audibles que d’autres : besoins quotidiens, on ne réalise pas l’impact environnemental, valeurs, difficultés sur le terrain, pédagogie, impact sur la forêt, la demande est tronquée, formatée par le marketing, le choix va plus loin, éducation, comment présenter les choses aux enfants, protéger, informations transmises, capitalisme, choix différents, destruction, quel impact a mon environnement sur le milieu…

Les mots sont acérés, les propos au couteau, on sent les personnes concernées et engagées. C’est animé à chaque table, le débat est âpre. Toutefois les paroles se fondent en un brouhaha de conciliabules dont les participant·e·s apparemment se soucient peu. Certaines voix s’imposent, d’autres passent inaperçues mais chacun·e participe pour nourrir la réflexion et préparer l’intervention des conférencier·ères. Les opinions se confrontent, on va même dans un groupe jusqu’à parler de modifier un des principes des Ceméa, tout au moins de le repenser et de le réécrire à l’aune des bouleversements sémantiques que la société connaît. Il y a une sérénité apaisante dans l’intensité de la conversation. La discussion à chaque table a atteint son rythme de croisière et les arguments étayent les propos qui seront développés lors de la conférence. On est dans la dernière ligne droite. À certaines tables l’esprit de groupe se fissure, des apartés se font jour, il est temps de passer à la dernière étape. C’est le moment que choisit l’animatrice pour rappeler qu’elle est la maîtresse du temps.

La conférence commence et les conférencier·ères se succèdent

La première conférencière présente la question centrale qui a établi le raisonnement du groupe : comment ce que je suis dans mon environnement impacte le milieu (les notions de milieu et d’environnement sembleraient avoir inversé leur sens) ? Elle insiste en outre sur l’importance de l’éducation. Elle termine sur l’effet de balancier de l’interactivité (notions encore floues qu’il sera nécessaire de préciser et de développer).

La deuxième intervenante avance que les modes de production sont organisés en fonction des territoires et qu’ils viennent croiser la question des transports, qu’ils ont des impacts invisibles et un poids environnemental perfide et il est de notre devoir d’en informer les publics, enfin qu’ils participent à la pollution générale. Elle ajoute que la permaculture peut renforcer les inégalités et que le modèle tout bio ne peut nourrir le monde entier. Elle termine son propos en affirmant que tout ceci est un problème politique.

La troisième partie voit la conférencière nous donner des indications techniques et informatives sur les protéines dont nous avons besoin chaque jour. Elle nous parle de traçabilité, nous glisse à l’oreille que le tout bio n’est pas la panacée et qu’il est préférable de privilégier les circuits courts.

L’intervention suivante nous éclaire sur la problématique des choix d’achats. C’est un enjeu de société, ce sont des choix individuels souvent contraints et il est nécessaire d’apprendre à conjuguer les contraintes pour tendre vers des utopies concrètes.

Le dernier conférencier nous parle du gaspillage qui débute très tôt dans la chaîne alimentaire chez les producteur·rices. Il pose la question de l’organisation et propose quelques solutions pour réduire le gaspillage en insistant sur l’importance de l’accompagnement. Il termine sur un exemple édifiant : le compost qui est une fausse bonne solution tellement le procédé est complexe.

La conférence est terminée, elle a duré une vingtaine de minutes. 5 conférencier·ères, 5 manières de présenter les choses, 5 voix, 5 rythmes de paroles, 5 intonations, 5 thématiques abordées. Des collectifs ont travaillé sur des sujets rentrant dans une plus large et essentielle question qui touche tout le monde et préoccupe : l’alimentation et l’environnement.

Les propos tenus l’ont été par des expert·e·s devenu·e·s au fil d’une démarche qui permet de pallier la défection de quelqu’un·e qu’on attendait et qu’on attend toujours. Si après ce processus on a encore besoin d’un·e conférencier·ère on sait quoi lui demander.

Cette méthode, active réellement, qui permet de s’atteler à une préoccupation sociétale et de s’apercevoir qu’à beaucoup on sait beaucoup de choses mérite d’être travaillée encore afin en particulier que les consignes données par l’animatrice soient respectées et puissent orienter vers une unité de formes. On sait et on affirme, on fait l’hypothèse et enfin on s’interroge. Garder cet ordre et le nourrir oblige les groupe et les conférencier·ères qui les représentent à la tribune à respecter un plan qui permet aux auditeur·rices de s’y retrouver et de ne pas perdre le fil de la logique de la conférence.

Quoi qu’il en soit, il reste à écrire pour garder la trace de ce qui a été dit. Et tenir certainement le squelette d’une intervention possible.