Terrain d'aventure : un lieu de liberté et de créativité pour les enfants

A travers son parcours d'animateur et de directeur de structure d'accueil, François Grandeau retrace l'histoire des terrains d'aventure en France. De leur émergence à aujourd'hui, il revient le rôle d'animateur, la place des parents ou encore la question de la sécurité.
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Quelle est la grande idée des terrains d’aventures ?

François Grandeau : Ils reposent sur l’affirmation que l’enfant existe en tant que personne et non en tant que futur adulte comme on le considère à l’école ou dans les centres de loisirs. Cela veut dire qu’il doit avoir des espaces dans lesquels il n’est pas obligé de produire. Un enfant peut creuser la terre avec une pioche sans autre projet que de creuser la terre avec une pioche et faire du feu sans avoir besoin de se réchauffer. L’aspect pédagogique vient seulement dans un second temps. C’est une pédagogie de l’expérience qui laisse l’enfant face à ses envies, à ses difficultés et à ses solutions. S’il ne sait pas faire, il ne fait pas. C’est difficile à accepter pour un adulte.

D’où viennent-ils ?

François Grandeau : De Carl Théodor Sørensen, un architecte paysagiste danois qui a observé que les enfants préféraient jouer partout sauf dans les terrains de jeux qu’il leur construisait. En 1931, inspiré par la vue d’enfants jouant sur un chantier de construction, il imagine « un terrain de bric-à-brac » dans lequel « les enfants peuvent créer et façonner, rêver et imaginer une réalité ». Son objectif était d’offrir en ville les mêmes possibilités de jeu qu’à la campagne. Le premier terrain ouvert à Copenhague en 1943 est toujours en activité aujourd’hui. En 1946, l’urbaniste Lady Allen of Hurtwood, qui avait observé des enfants jouant dans les ruines laissées par la guerre, développe les playgrounds après un séjour à Copenhague. Les Pays-Bas, l’Allemagne et la France suivront.

Quand je suis arrivé dans les années 80, il y en avait une trentaine en France dont plusieurs en Ile-de-France, à Montreuil, à Chanteloup-les-Vignes, à Villiers-le-Bel… L’émergence d’espaces de friches dans le cadre de la rénovation de certains quartiers populaires avait contribué à leur essor. Sous les pressions sécuritaires et l’aménagement de tous les espaces urbains, cette pratique est peu à peu tombée dans l’oubli avant de susciter un nouvel intérêt depuis une petite dizaine d’années.

On compte actuellement près de 60 terrains d’aventures en France. Pourquoi ce renouveau et quelles sont les différences avec la première époque ?

Cemea
François Grandeau : Les terrains ont commencé à péricliter dès le milieu des années 70 du fait de scissions entre les porteurs du projet et de positions parfois provocatrices. Défendre la liberté à tout prix, ne pas prendre en considération les demandes du voisinage, nous a mis des gens à dos.

Une autre raison tient au durcissement des règles, lié notamment à des accidents dans des colonies, alors que l’accidentologie sur les terrains d’aventure est moindre qu’ailleurs. C’est la société du risque zéro, de normes de sécurité très contraignantes. Les militants se sont fatigués. Ce renouveau doit être accompagné de débats de fond sur la question notamment de la présence ou non des parents sur le terrain. Je pense pour ma part qu’il y a des lieux pour travailler la parentalité et que le terrain d’aventures doit rester un espace où les adultes doivent s’effacer le plus possible.

Cemea

Comment vous êtes-vous intéressé aux terrains d’aventures ?

François Grandeau : J’étais instituteur suppléant en première année à l’École Normale et, comme beaucoup de mes camarades et enseignants, passionné par la question de la place de l’enfant dans la société, la reconnaissance de l’enfant comme enfant, si bien vulgarisée par Françoise Dolto.

En 1981, j’ai squatté un jardin dans le 11e arrondissement  vers le square Saint-Bernard jusqu’à ce que les Parcs et jardins me demandent de créer une association. C’était le début de l’aventure des Petits Pierrots. En 1983, j’ai investi un terrain vague de 5000 m 2 dans le 20 e à Ménilmontant en apportant des palettes, du bois, des pneus ; quinze jours plus tard entre 40 et 50 enfants venaient régulièrement.

Les enfants peuvent créer et façonner, rêver et imaginer une réalité.

François Grandeau

Cemea

Dans un tel projet, quel est le rôle d’un animateur ou d’une animatrice ?

François Grandeau :  Au tout début, j’avais rangé une cinquantaine de palettes et empilé des pneus. Quand les enfants sont arrivés, ils ont regardé ces piles et ont passé leur chemin pour jouer ailleurs. J’ai compris qu’il fallait organiser un désordre « savant » pour qu’ils puissent se sentir libres d’explorer leur milieu.

Stimuler l’activité libre et créer un espace riche en possibilités, c’est notre fonction. Pour que l’enfant expérimente petit à petit ses possibilités et   celles offertes par son environnement, apprivoise les dangers et trouve ses réponses. Bien sûr, il peut avoir besoin d’aide et on peut intervenir.

Comment évaluer quand il est nécessaire d’intervenir ?

Être animateur est un métier hautement qualifié qui demande de la finesse d’écoute, d’attention et la capacité de changer de posture. Il faut désapprendre, arrêter de vouloir faire à la place de. C’est une posture exigeante car l’adulte doit pouvoir évaluer si l’enfant est ou non capable de faire ce qu’il entreprend. Cela suppose d’être très observateur.

François Grandeau est né à Paris en 1955. Il étudie les Lettres classiques à la Sorbonne, puis enseigne comme instituteur suppléant. Après un an à l’École Normale d’instituteurs de Bonneuil et un stage à l’école Decroly, il devient animateur. Il ouvre son premier terrain d’aventures à 25 ans avec l’association « Les Petits Pierrots » dans le 20e arrondissement à Paris. Le premier d’une longue série. François Grandeau est aujourd’hui directeur du terrain d’aventures de Montreuil, « Un tramway nommé désir ».

A retrouver dans la revue VEN #590

Liberté, éducation, terrains d'aventures
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