Sur les terrains d'aventures, les choix pédagogiques exigeants favorisent le jeu libre

Des choix pédagogiques exigeants qui favorisent le jeu libre. Les adultes observent, prennent du recul, privilégient le côte à côte plutôt que le face à face.
« Mieux vaut un os cassé, qu’un esprit brisé », disait Marjory Allen, pionnière au Royaume-Uni du déploiement des adventure playgrounds, équivalent britannique des terrains d’aventures. Si cette punchline est séduisante pour les personnes sensibles aux apprentissages par l’agir, elle ne fait évidemment pas toujours l’unanimité quand il s’agit de la traduire concrètement.
Média secondaire

Une façon d'animer bousculée : observer et laisser la place au jeu libre

Longtemps animateur sur des terrains d’aventures, François Grandeau explique que c’est « toujours en mouvement : on construit, on détruit, on détourne, on aménage, on modifie... » Il arrive que les enfants à l’origine d’une cabane la détruisent joyeusement quelques jours plus tard, qu’importe ce que pensent les adultes bousculés par la mise en œuvre d’une telle démarche. En 1974, l’animatrice de terrain d’aventures Dominique d’Allaines-Margot écrivait dans la revue Éducation et Développement : « Pour les parents, ce lieu est incompréhensible : sale, désordonné, l’enfant s’y livre à des activités imprécises et peut-être dangereuses ». L’espace public aseptisé étant souvent la règle, on constate que ce type de jugement persiste aujourd’hui. Accompagner et acculturer le voisinage et les équipes s’avère nécessaire, comme le pointe le chercheur Gilles Raveneau. « Ils doivent désapprendre une partie de ce qu’ils ont appris, c’est-à-dire [...] de toujours proposer quelque chose aux enfants. Il s’agit plutôt d’être dans le retrait, dans une forme d’accompagnement, pour justement laisser la place à l’enfant, au jeu libre. Animer sur un terrain d’aventures, c’est lâcher prise sur ses représentations, c’est avant tout observer. Et cela n’a rien de facile, on marche sur un fil, on intervient en cas de nécessité mais on abandonne un interventionnisme systématique qui dépossède les enfants de leurs capacités à agir pour eux-mêmes. Le pas à franchir est énorme, la peur y est pour quelque chose. Dans The Land : An Adventure Play Documentary, l’animateur Dave explique que « même si tu ne te sens pas à l’aise avec ce qui est en train d’arriver, ce n’est pas ce ressenti qui doit guider ta manière de réagir ». Ce qui signifie que l’action ou la réaction n’est pas conduite par une attitude prescriptive mais joint plutôt « laisser faire » et accompagnement, en permettant par exemple de rendre intelligibles les dangers.

Lorsqu'un bobo arrive, ce sont les enfants chargés de l'infirmerie aménagée qui soignent les petites blessures.

Patienter avant d'intervenir

Observons : un enfant frappe une tôle à la masse pour la plier, à côté de son amie occupée à scier. Là-bas, des enfants se suspendent à un arbre tandis qu’une animatrice intervient pour leur signifier qu’il faudrait enlever une branche morte. De l’autre côté, deux enfants brûlent une pomme pour voir le résultat. Plus loin, des copines dévalent une butte avec leurs véhicules bricolés. Les terrains d’aventures permettent aux enfants de prendre en charge eux-mêmes leur sécurité, et donc de prendre des risques.

Ils essaient des choses stimulantes, développent des comportements adaptés face à des situations à risques, se font davantage confiance, gèrent mieux leurs peurs, accroissent leur capacité à décider par et pour eux-mêmes. Les terrains d’aventures se positionnent en rupture avec la tendance au zéro risque, proposant plutôt aux enfants d’apprivoiser le risque. Mariana Brussoni, professeure en santé publique à l’Université de la Colombie-Britannique (Canada), suggère d’aménager des espaces « aussi sécurisés que nécessaires » plutôt que « le plus sécurisé possible ». Elle propose aussi la règle des 17 secondes : au lieu d’intervenir immédiatement lorsqu’un enfant prend un risque, reculons d’un pas, et observons comment cet enfant va se comporter au regard des préjudices possibles. Une façon d’améliorer sa compréhension de ce dont sont capables les enfants lorsque l’on ne se met pas en travers de leur chemin.

Et s’il faut légiférer sur un sujet, les espaces dédiés comme les conseils d’enfants apportent des réponses.

À l’image de la classe dehors, de plus en plus d'équipes éducatives s’orientent vers l’extérieur. Les terrains d’aventures participent à ce mouvement qui offre à l’enfant la possibilité de se reconnecter au dehors et de prendre contact avec les éléments. La terre, car il n’est pas rare de creuser ou de jouer avec la boue. Le feu pour s’y réchauffer, brûler du bois, faire cuire un aliment. L’eau est indispensable quand il fait chaud et n’est pas un frein lorsqu’il pleut. L’air enfin, pour toutes les activités aériennes.

Mais peut-on pour autant parler d’éducation à la transition écologique ? Si ce n’est pas le principal objet des terrains d’aventures, ce contact direct avec les éléments ne peut que nourrir la sensibilité à l’environnement et les questions que cela soulève : « peut-on clouer les troncs ? brûler le bois verni ? » Et s’il faut légiférer sur un sujet, les espaces dédiés comme les conseils d’enfants apportent des réponses. On retrouve ces espaces démocratiques dans la plupart de ces espaces éducatifs. Leur rythme, fréquentation ou durée changent selon les lieux, mais l’idée reste la même : constituer un espace de dialogue, de négociation et de décision. Chloé Thibert, animatrice en Île-de-France, explique que « ces débats et cette expression de soi aident à mieux vivre les relations, à mieux vivre ensemble les initiatives ou les frustrations ».

En y acceptant les adultes, les terrains d’aventures d’aujourd’hui sont plus ouverts que par le passé. Les équipes gardent des témoignages qui racontent les bénéfices de l’action pour leurs enfants ou pour eux-mêmes. « Mon fils a des problèmes de motricité et ici il peut faire toutes sortes de choses », explique un père amusé par ses garçons qui adorent la peinture : « Ils disaient que c’était pour les filles avant. » Un autre demandait à propos de la perceuse : « C’est avec ça qu’on installe des rideaux ? » et décidait finalement d’apprendre à l’utiliser. Ou encore, ces deux femmes qui ont passé l’après-midi installées sur le terrain. « Elles avaient l’air d’y être bien, même si ça n’était pas pour pratiquer elles-mêmes ou pour accompagner leurs enfants. » (extraits de Carnet de bord, Saint-Jean-de-Braye 2022). Mais les dynamiques sont aussi collectives. Une habituée qui a fédéré un petit groupe de femmes autour du terrain d’aventures de son quartier explique qu’elle en profite pour gagner en compétences et oser expérimenter : « Il y en a marre que nos maris soient les seuls à utiliser les outils, on va apprendre aussi ! » Déposer à l’entrée ses réflexes d’adultes, se laisser tenter par le plaisir de se faire surprendre, c’est peut-être continuer d’apprendre, et donner la possibilité aux enfants de s’exprimer et de prendre des risques comme ils le décident.

A retrouver dans la revue VEN #590

Liberté, éducation, terrains d'aventures
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Entretien avec Thomas Champion pour la revue STRENÆ

Dans le numéro 23 "La ville et l’enfant : images, récits, espaces"

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