LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Pour comprendre la Laïcité à la française et faire taire les représentations

La question de la laïcité a le vent en poupe et provoque des remous dans la société, la divise. Pour parfaire la connaissance de ce pilier, inscrit dans la constitution, des formations sont mises en place en direction des acteurs de terrain. Récit d’une séquence de l’une d’elles.
Média secondaire

Sous la houlette de 2 formateurs (Jean-Luc et Khaled) et de 2 formatrices (Ludivine et Sarah) les participant·e·s (qui venaient de toute la région Bourgogne-Franche-Comté) ont pendant trois jours découvert les idées force d’un kit de formation qu’il·elle·s mettront au service d’autres acteurs de terrain. Un soir d’hiver dans la salle nature, il est question de radicalisation, approchons-nous un peu ; ouvrons les yeux et tendons l’oreille.


22 participant·e·s, venu·e·s de toute la région Bourgogne Franche-Comté et originaires de divers mouvements ou associations (Ligue de l’enseignement, UFCV, PEP, Francas, PJJ...)

se sont retrouvé·e·s du 9 au 11 mars 2021 au château d’Aisey (propriété des PEP Centre- Bourgogne Franche-Comté) en Haute Saône pour y suivre une formation « Valeurs de la République Laïcité » de niveau 2.

Il semble que l’internat a créé les conditions d’une bulle de convivialité qui a fait de ce temps de formation un événement exceptionnel et cela a participé grandement à la réussite de celui-ci, qui avait pour objectif d’habiliter des formateurs, des formatrices mais aussi de créer une dynamique de réseau.

… Deuxième jour de formation, le groupe existe, les relations se sont tissées et les débats s’enchaînent.

Il s’agit d’une formation certifiante (dite de niveau 2) qui habilite les personnes qui l’ont suivie à encadrer des formations d’acteurs et d’actrices de terrain.

Jour 2 donc, j’assiste à la séquence 9 du kit, sur la prévention de la radicalisation.

Le kit ( il détaille le déroulé de 2 jours tant sur le fond que sur les méthodes d’animation de la formation N3), soulève un peu de résistance au début (les plus expérimentés critiquent le côté clé en main) mais après l’avoir découvert les personnes reconnaissent toujours la qualité et ont envie d’y travailler pour se l’approprier et en appréhender toute la sève.

Verbatim des stagiaires : ce qu’ils ont retenu du module « Prévention de la radicalisation »

Tout d’abord un temps de contextualisation et un rappel du pourquoi de cette thématique qui a fait son entrée tardivement dans la formation. Elle s’est ajoutée suite à la multiplication des engagements dans le processus de radicalisation.

Il s’agit d’un temps descendant (présentation d’un diaporama) qui vise à donner une information globale sur la politique publique de prévention de la radicalisation. Et d’amorcer une définition de celle-ci. Si certaines personnes ont envie de creuser le sujet, il y a possibilité d’aller plus loin en suivant une formation spécifique d’une journée.

Une petite vidéo entamera cette séance, suivie d’un diaporama puis d’un échange en forme de debriefing afin d’aborder la question du « comment animer cette séance ? ».

Courte, elle nous plonge dans l’univers de Troupaumé1 et, au prix d’images et de répliques non dénuées d’humour, introduit parfaitement le sujet.

D’emblée il apparaît que c’est une question problématique, en effet, quels liens (houleux débat s’il en est) entre laïcité et politique publique de prévention ?

Il est néanmoins important de constater que le cadre juridique n’aide pas dans certaines situations.

Pour preuve, une série de questions (études de cas) ou il apparaît clairement que si la laïcité peut beaucoup, elle ne peut pas tout.

Certain·e·s participant·e·s font remarquer que la formulation des questions est étrange, il n’est jamais précisé dans le corps de celles-ci que ce sont des raisons religieuses.

Très vite on s’aperçoit qu’il faut une accumulation de signes pour conduire à une suspicion de radicalisation.

Attention tout de même aux risques de discrimination au nom de la laïcité, dérive laïciste ou laïcarde.

 

On apprend qu’il y a plusieurs formes de radicalisation : idéologique, politique, religieuse, violente ou non violente, que le phénomène n’a rien de nouveau mais il est précisé qu’on parle bien ici de la radicalisation djihadiste. Ce sur quoi insiste la diapo suivante qui présente 4 termes (radicalisation, terrorisme, fondamentalisme religieux, dérive sectaire) et 4 définitions qu’il faut relier. Ce petit exercice (pas si simple d’être certain de la définition) permet de mieux s’y retrouver dans cet univers où souvent les possibilités de confusion pullulent.

Farhad Khosrokhavar, sociologue avance l’idée suivante : « ce qui particulièrement intéressant à analyser, c’est le processus »

une revendication labellise le terrorisme

il n’y a pas de profil type, n’importe qui, donc tout le monde, peut se radicaliser, les indicateurs isolés ne sont pas signifiants ni significatifs, il faut un faisceau d’indices, une conjonction d’indicateurs pour déclencher une alerte (de quelque niveau que ce soit). S’il y a lieu, pour effectuer un signalement il existe un numéro vert (anonymat préservé) et une cellule dans chaque département. Mais il est utile et nécessaire de rappeler que le fait de se radicaliser n’est pas une infraction pénale. Il faut défendre le fait que c’est un acte de protection et non de délation. Le dispositif vise à prévenir l’évolution vers un passage à l’acte.

La question de l’anonymat divise et pose question. Il s’agit de l’anonymat de qui ( de ceux qui appellent, ou de ceux pour qui on appelle) ?

Et tout cela n’a rien à voir avec le fichier S.

Il y a toute une procédure à suivre. Le mot enquête n’apparaît pas, l’organigramme du traitement des signalements semble complexe et plus clair.

d’aucun·e·s trouvent le diaporama un peu pauvre voire vague, malgré cela il donne quelques pistes pour aller plus loin.

Verbatim : impression des stagiaires sur la façon de conduire la formation

c’est mal ficelé (on a l’impression d’une déconnexion entre les exemples choisis et la suite)

peut-on virer la première partie ?

on ne parle pas des signes (il n’y a pas d’exemples ce qui est plutôt une bonne chose ou pas, les avis divergent)

ça se sent que cette séquence a été ajoutée, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine

c’est peu clair, ce qui ne met pas à l’aise ni en confiance les formateur·trice·s, cela amène même une certaine confusion

il semble nécessaire de contextualiser (Syrie, frénésie de radicalisations), c’était l’objet d’un compromis, on n’est plus dans la même urgence

« parfois notre malaise paraît incongru et même indécent » dit un participant

au vu de l’enjeu, c’est le fait que le diaporama existe qui est essentiel

la séquence doit durer 75’

on a l’impression qu’on change de ton (on pointe une religion du doigt et un comportement qui en est issu)

plus on veut approfondir, plus on s’enfonce dans les sables mouvants

fin du verbatim

Deux regards et deux attentes de la formation

On sent les participant·e·s très concerné·e·s et des désaccords, voire des agacements antagonistes poignent. Mais tout ceci en tout professionnalisme et toute cordialité. Par petits groupes, les gens se dispersent, qui pour aller dormir, qui pour boire un verre.

J’en profite pour interviewer deux participant·e·s et leur demander leur sentiment sur la formation.

Théo, coordinateur des cyber-centres de la Ville de Belfort et Ismahan, éducatrice PJJ en milieu ouvert originaire de Belfort également.

La formation s’affirme incontestablement comme une plus-value pour les deux personnes rencontrées. Mais leurs raisons de la vivre ne sont pas les mêmes. Pour Ismahan la formation a été proposée par sa hiérarchie, elle a sauté sur l’occasion. En effet, la situation des jeunes suivie par la PJJ est souvent complexe et nouée, et elle a un criant besoin d’être outillée. Elle a par ailleurs suivi une formation qui portait sur la radicalisation (prévention, modalités…) mise en place à l’interne de la PJJ. Elle n’a en revanche pas suivi la formation N3.

Pour Théo, il s’agit d’une suite logique. Il avait envie d’aller plus loin pour développer les interactions associatives dans la ville et contribuer à développer dans chaque mairie de quartier (dans lesquelles est installée une base numérique).

Il a, lui, vécu la formation N3 (c’est l’association « inter’Actions » de Belfort qui a conduit celle-ci).

Il s’est aperçu que beaucoup de professionnels sont à côté de la plaque, croient savoir et se trompent, et de ce fait perdent de la crédibilité. Le fait de savoir permet de contrecarrer les envies de radicalisation. Il est important d’élargir le nombre de personnes qui pourront encadrer ce type de formation. IL EST URGENT DE DONNER UNE IDÉE CLAIRE AUX GENS martèlent en chœur les deux stagiaires.

Une certitude, il et elle affirment que « les valeurs de la république et la notion de laïcité restent inconnus du grand public.

Verbatim à propos du vécu de la formation

au début je l’appréhendais, quel contenu allais-je découvrir ? Flou, concret ? J’ai été agréablement surpris, et je suis très satisfait de cette formation. Le kit permet que les choses glissent et tout se remet en ordre au fil de l’eau. La laïcité a une histoire, le contexte juridique permet de délimiter les contours, il n’y a pas d’amalgame possible. Ça rassure.

Même si je savais comment était cette formation, cela m’a beaucoup servi. Comment allais-je pouvoir tout retenir, ça m’insufflait de la crainte. Crainte vite balayée, je vais pouvoir transmettre sans être un ponte. Je me sens prêt.

Le fait d’avoir la possibilité de se mettre en situation vient concrétiser la théorie.

Tout le monde va-t-il dans le même sens, est-il sur la même longueur d’ondes ?

J’ai perdu mon côté fleur bleue, alors parfois j’entends des choses qui m’irritent. Si on pense qu’on tape toujours sur les mêmes, on est bisounours et on est à côté de la plaque. Les gens ont encore du mal à mettre leurs a priori de côté.

La ligne directrice est la même, on a tous compris, je crois.

Comment mettre en pratique lorsque le groupe est hétérogène ? c’est déjà tellement compliqué quand on part de zéro. Il faut se concentrer sur l’objectif principal : comment je vais pouvoir retransmettre, il faut que j’aie retenu, assimilé, digéré le contenu, que je l’aie compris.

Il est vain de chipoter sur des termes.

Le cadre du kit est essentiel, je suis sécurisée, j’ai un cadre clair, je suis rassurée. Il y a une certaine marge de manœuvre même si le cadre est rigide. On peut trouver un bon compromis. Tout ceci évite de perdre du temps en palabres inutiles. Ce qui est intangible c’est ce cadre commun qui empêche de pouvoir jouer sur les termes.

C’est une vraie chance que cette formation existe, on n’a rien à débourser, et ça nous donne des billes pour accompagner le public.

Et pour conclure

Il semble que la perception de ce duo (qui ne se connaissait pas au début de la formation, bien qu’habitant la même ville) soit celle de tout le groupe, c’est du moins le sentiment de l’équipe d’encadrement. Une cohorte d’une grosse vingtaine de personnes sort de cette formation prête à transmettre ce qu’elle y a découvert à d’autres. La démultiplication va son bonhomme de chemin.

Une formation de niveau 1 vient de se terminer à la fin du mois de mars, accueillant près d’une centaine de personnes de toute la France hexagonale et d’outremer. Ce dispositif , qui va être amené à s’étendre, semble répondre à un réel besoin pour toutes les personnes ayant des fonctions d’accueil, d’animation, d’éducation et confrontées à un public au quotidien.

1 Nom du village, héros de la série "Les Clés des médias" qui a remporté le prix Education aux médias et à l'information aux Assises du journalisme. Vous pouvez découvrir cette série, glossaire de mots et de notions essentielles pour appréhender les médias, sur youtube et lumni (plateforme éducative numérique de l'audiovisuel public français permettant aux élèves de la maternelle à la terminale de consolider les notions des programmes scolaires).