LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Le rap, étape par étape

Alexis Demoncheaux-Wemeaux, chargé de mission aux Ceméa et animateur d’ateliers d’écriture de rap, livre ses conseils pour mettre en confiance son public et l’aider à s’exprimer
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Média secondaire

Comment débutes-tu ton atelier pour amener les gens à écrire ?

D’un point de vue pédagogique, le rap présente l’avantage d’être très écouté par les jeunes. Cette importante familiarité aide à briser les barrières de l’écrit mais il ne s’agit surtout pas de leur proposer d’écrire d’emblée.

 

L’idée est au contraire de retarder le moment de passage à l’écriture pour que celle-ci soit perçue comme une suite logique des étapes précédentes et non comme une épreuve. Quand les participants deviennent impatients de se mettre à écrire, on peut se dire que l’atelier a pris.

En début de séance, je les incite à exprimer ce qui définit le rap dans leurs écoutes quotidiennes ou plus ponctuelles. Les témoignages sont souvent surprenants, allant d'artistes très catégorisés comme Booba, Rohff, Koba laD, Vald à d'autres qui le sont moins comme Angèle, Grand Corps Malade ou Billie Eilish. Cela démontre que le rap est une catégorie musicale très largement définie, qu'elle offre de la liberté dans son mode d’expression. Le but étant de les mettre en condition de produire ce qui leur correspond et leur parle.

Comment procèdes-tu pour le travail des rimes ?

Je propose de constituer une banque de rimes par la mise en place d'un grand tableau. Les participants inscrivent un mot en titre, chacun à leur tour dans les colonnes correspondantes. La seule consigne est qu’aucun mot ne doit rimer avec un autre. Quand le tour est fait, les participants remplissent librement et à volonté chaque colonne avec des mots qui riment avec le titre. Cela constitue une banque dans laquelle ils vont pouvoir puiser pour écrire. Quand on a le temps, on fait même un petit jeu dans lequel je leur donne une idée à synthétiser en deux phrases, lesquelles riment entre elles ; on développe aussi la notion de punchline.

Ensuite, nous écoutons de très courts extraits de rap, connus et moins connus, et je leur propose de repérer les rimes. Puis chaque participant partage un extrait qui lui parle et on identifie ensemble les figures de style, les techniques de rimes, de diction, de jeux de mots, de reprises… Bref, on met des mots sur toutes les techniques de chanté-parlé.

L’étape suivante est celle du « yaourt ». Quelle pratique recouvre ce drôle de terme ?

Il s’agit d’intégrer l’approche syllabique du rap et la notion de « flow » : découpage, rime multisyllabique où des sonorités se ressemblent entre elles*, fréquence, vitesse, tempo.

On fait tourner une instrumentale en style BoomBap, des boucles de batteries riches en groove et en inventivité qui aident les rappeurs à poser leurs rimes et on leur demande de rapper dessus… en « yaourt ». Je le fais toujours en premier pour briser la gêne, autant que faire ce peut. Pas de mots donc, juste du « yaourt » pour caler sa voix sur les temps de l’instru. Chacun s’enregistre avec le « yaourt » qu’il trouve le plus intéressant sur l’instrumentale. Quand ils écriront, plutôt que de faire des calculs du nombre de syllabes, je leur demande de faire correspondre le nombre de syllabes dans la phrase à leur « yaourt ». C’est simple et ça fonctionne très bien.

Et quand se mettent-ils à écrire ?

Après toutes ces étapes, le groupe a appris à se faire confiance et à sortir du jugement. Je leur propose d’écrire une ou plusieurs phrases conductrices : un sentiment, une idée, un projet, une valeur, ou tout ce dont ils ont envie de parler jusqu’au café renversé du matin. C’est souvent là qu’on aborde la diversité des styles d’écriture et de représentation dans le rap. Ils écrivent et tentent des rimes, se trompent, recommencent, se soumettent des idées entre eux et c’est à ce moment-là que je passe individuellement les aider à structurer leurs idées, et relaxer ceux que je vois tendus dans le rapport à l’écrit.

Y a-t-il ensuite une socialisation des créations ?

Elle peut prendre différentes formes. Chacun arbore la production qu’il veut. Dans le meilleur des cas en 16 mesures, le temps d’un couplet, un 8’, ou même juste 2/3 rimes. Ils peuvent aussi demander à changer d’instru, le faire a capella, ne pas le faire, le faire seulement devant moi à la fin de l’atelier, le faire faire par quelqu’un d’autre ou moi-même, ou même juste le lire de manière standard sans y mettre la rythmique et le phrasé. Le plus important dans la socialisation, est qu’elle ne fasse pas violence. Ensuite, selon le niveau d’engagement du groupe, il est possible d’agencer les différentes créations et de passer à la composition. On peut créer un refrain commun, modifier des passages pour les mettre en cohérence entre eux. Parfois cela se termine par une production commune, à laquelle je participe ; c’est comme un brainstorming de bac à sable. Parfois certains s’arrêtent ; seuls restent ceux qui ont envie de développer ce qu’ils ont déjà écrit.

* Exemple de multisyllabique extrait d’un texte de Nekfeu, « Risibles amours »

« La première fois que je vous vois / Je vous vouvoie car vous pouvez être mille personnes possibles / Ce sera « tu » quand le mystère du « je » se sera tu / Cesseras-tu, cesseras-tu de m’aimer après ces ratures ? / Ce sera dur, cette histoire c’est la nôtre, faut pas qu’on se vautre / Car quand deux cœurs se nouent, on se voue à l’autre .»