Le jardin, un outil d'animation

Comment, dans un jardin partagé, l'animatrice conçoit-elle son rôle, dans la mise en place et la pratique de cette activité avec les habitants du quartier ? Comment passer d'un rôle moteur à celui d'accompagnatrice ?
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Il y a 18 mois le jardin n'était qu'un anodin morceau de pelouse, au pied de la cité HLM du Park ar Roz. En ce début septembre, il donne à plein : haricots, framboises, piments, tomates... et récompense ceux qui y ont travaillé. Ce matin, cinq femmes et un homme, au foyer, sans emploi ou retraités, sont affairés autour de Valériane à peindre le mobilier de jardin fabriqué en bois de palette. Valériane, 27 ans, est animatrice au centre social de Briec, petite ville de 5 000 habitants à une quinzaine de kilomètres de Quimper. Initiatrice du projet, elle s'est lancée dans l'aventure alors qu'elle effectuait son Dejeps Animation sociale au sein du centre social de Briec.
Média secondaire

« Je voulais sortir du centre social, aller vers les gens. Pour provoquer la rencontre, j'ai utilisé un outil découvert en formation, le photo-langage. Je me suis postée à l 'entrée des immeubles avec une quarantaine de photos qui montraient des gens qui discutent ou se disputent... d'autres montraient des événements festifs, du vivre-ensemble, du faire- ensemble ou témoignaient de l'isolement, la solitude. J'interpellais les gens comme ça et en fin de journée, je retranscrivais tout ce que j'avais entendu. Il en est ressorti des idées fortes suggérées par les habitants : faire des repas, des barbecues, des jardins... De mon côté, j'avais un intérêt pour le jardin collectif, le jardin partagé et je me suis dit que le lieu s'y prêtait, il y a de l'espace et cela semble rencontrer certains désirs des habitants.»

Un jardin sur la pelouse

Cemea

C'est ainsi qu'en mars 2013, Valériane invite, via un tract distribué dans les boîtes aux lettres, les 180 locataires de la résidence à une première réunion au centre social pour discuter de la création possible d'un jardin partagé

Quatre personnes se présentent et suffisamment d'envies en ressortent pour que l 'animatrice se mette à labourer le terrain institutionnel. Il faut s'assurer de l'engagement du centre social, de l'office HLM, de la Caf et des élus de la commune. Les travaux démarrent en juin avec des contributions financières et techniques des différents partenaires. À l'annonce des travaux, on en parle à la Résidence et de 4 on passe à 6. « J'ai proposé des créneaux pour organiser le chantier et en plus des pionniers, pas mal de gens sont venus filer un coup de main, pas forcément pour avoir une parcelle mais pour faire quelque chose sur leur quartier. Une élue, référente sur le projet, est également venue mettre la main à la pâte. »

Le jardin est construit sur les marges d'une vaste pelouse qui borde la résidence. On délimite les parcelles, on clôture pour protéger le jardin des chiens, on monte un abri pour les outils et récupérer l'eau du toit... On sème... Valériane tient le cap avec des jardiniers qui s'impliquent et d'autres qui lâchent ou que la vie amène à partir.

« Depuis le lancement, il y a eu du renouvellement. Muriel, Leïla et les enfants sont arrivés courant octobre. Sezin et Burccin sont arrivées après aussi... et voici qu'elles partent, maintenant. » Parmi les résidents beaucoup vivent des situations difficiles, fragilisés par le chômage, par l'isolement (59 % de personnes seules) et des ruptures avec la famille.

Le jardin, c'est l'occasion de sortir, d'avoir une activité physique, de rencontrer d'autres personnes. Bien sûr, récolter des légumes constitue un apport non négligeable pour des revenus modestes. C'est aussi la concrétisation visible d'efforts et de soins continus dans les 12 m² dont on a la charge.

Le rôle de la parcelle commune

Mais pour l'animatrice, le ferment capable de provoquer du changement réside dans les obligations d'une gestion collective.

« Dans le jardin, j'ai insisté pour qu'existe une parcelle collective. Pour moi, la dynamique vient de ce que l'on partage et pas de ”j'ai mon bout de terre et je m'en occupe”. C'est aussi pour ça que je suis présente tous les mercredis. » La perception de cette dimension collective du jardin chemine tout doucement chez les jardiniers-habitants.

« Le deal c'est d'avoir une parcelle individuelle mais pas seulement. Dans la parcelle collective, il y a des fruitiers, des fines herbes que l'on ne peut pas mettre dans une petite parcelle mais dans une plus grande avec un aménagement de l'espace. Et ça, ils ont accepté. Mais ce n'était pas évident au début. Ainsi, Muriel disait : ”Je ne vais pas récolter dans cette parcelle, sinon on va dire que je prends !” Je lui ai répondu : ”Et bien non. Cette parcelle collective, si tu participes de son entretien, tu peux récolter de manière individuelle ou collective ou les deux, en fonction de ce que vous décidez et de vos besoins”.»

L'animatrice n'est pas une jardinière comme les autres

Initiatrice du projet, l'animatrice a convaincu des habitants de se lancer dans l'aventure, un projet qu'elle souhaite partager mais dans lequel elle tient une place particulière. Vu de loin, elle jardine comme les autres mais le plus souvent, c'est elle qui fait tenir l'ensemble. Par ses initiatives sur le plan technique, par son aide au fonctionnement, grâce à la réunion hebdomadaire du mercredi, mais aussi par sa médiation dans les relations, ses rappels au cadre.

« C'est assez troublant, mais j'adopte différentes attitudes selon que je m'adresse au groupe ou aux individus. Lorsque je suis en réunion avec eux, je fais en sorte que chacun vienne avec ce qu'il est et puisse participer, prendre la parole, d'égal à égal. Mais quand je suis au jardin, que j'impulse des choses et qu'il y a des choses à faire, je deviens chef. Il y a toute une gestion de groupe qui repose sur moi, j'essaie de m'en ”dégluer” mais ce n'est pas évident. »

Ainsi, a-t-il fallu poser le cadre avec le groupe. L'animatrice n'est pas un portefeuille sur pattes que l'on sollicite à chaque nouveau besoin pour le jardin. Elle n'est pas non plus le recours unique en cas de bisbilles ou de règlements de comptes interpersonnels. « Quand on vient me voir pour me dire qu'untel n'a pas fait ci ou n'a pas fait ça, je me refuse à en parler en dehors de la personne. Moi, mon but, c'est que les gens communiquent. Un jardin c'est un lieu comme un autre. Il peut y avoir des conflits, des amitiés, des disputes... Mais je ne dois pas être le vecteur commun à tous dans la gestion de leurs relations. Et en même temps, je suis garante du bon déroulé pour que ça ne parte pas en cacahuète. C'est compliqué. »

Les relations humaines au cœur de la dynamique

Cemea

Si pour l'animatrice il faut se préserver d'un surinvestissement affectif, préjudiciable à des dynamiques d'autonomisation des personnes, elle ne peut malgré tout, totalement s'extraire du jeu des relations avec les habitants- jardiniers qui sont au cœur de la dynamique du jardin.

« J'apprends tous les jours à me positionner. C'est vraiment une gymnastique hyper fine. Parfois je suis ferme, parfois je me fais avoir... D'autres fois, je suis bien consciente de ce qui se passe. Aymé, par exemple, c'est le seul homme du projet et c'est mon allié. Il est là tout le temps. Il aime être présent, donner des coups de main. Mais parfois je le soupçonne de se dire : “Valériane elle a fait tout ça pour nous, donc il faut que je sois présent aux ateliers qu'elle propose, aux mercredis, aux réunions pour lui rendre la pareille. “ Et en même temps quand je vois l'évolution d'Aymé jusqu'à maintenant, ça lui a fait un bien fou. Au niveau vestimentaire, il fait attention. Au niveau de l'alcool, il y avait des jours où il était complètement alcoolisé, et là, de plus en plus, il fait l'effort de ne pas boire avant de venir. Il est assez conciliant. Il n'est pas dans la revendication. Il est en bons termes avec tous les jardiniers. Ça lui a fait beaucoup de bien de venir au jardin, d'avoir un rendez-vous dans sa semaine au jardin. »

Le jardin peut-il exister sans l'animatrice ?

Valériane se pose la question depuis la création du projet. D'abord parce qu'elle est dans une situation à durée déterminée de part la nature de ses contrats. Pas possible d'engager des personnes dans un projet et de les laisser au milieu du gué. Sa vie n'est pas à la résidence non plus. Et puis sans doute qu'un autre but réside dans l'autonomisation du groupe de jardiniers-habitants, la prise en charge complète du jardin partagé par les habitants. « Ne plus être là ? J'y pense depuis le début... C'est un idéal. J'aimerais bien les amener à réfléchir à créer une association. J'en ai parlé déjà. Mais après, monter une asso ça veut dire bien s'entendre avec tout le monde, ça veut dire savoir communiquer, mettre un cadre... et puis passer en association trop vite c'est prendre le risque que le jardin ne fonctionne plus. Mais en même temps ce serait une expérience aussi. Et ce n'est pas parce que le projet « se pète la gueule » que pour autant ce ne serait pas une réussite... une réussite d'évolution. » Il est difficile de changer une situation dans laquelle s'est construit un équilibre, avec des rôles de participants et d'animatrice.

Chacun a une place, mais l'ensemble ne tient plus sans la présence de l'animatrice. Il faut mener le groupe d'une situation à une autre. Et cela passe par un changement de rôle pour l'animatrice, passer dans une conduite qui permette aux jardiniers de dépasser la dépendance, peut-être en devenant plus une intermédiaire, une «facilitatrice» institutionnelle dans un dialogue entre l'association des jardiniers et la mairie, des financeurs, le quartier. Une situation sans doute plus réaliste que d'envisager un retrait complet.

Cemea

« Quand je parle de créer une association, à mon sens elle ne serait pas complètement abandonnée. Dans l'idéal, il faudrait que ce soit une asso intégrée dans le territoire, qui ait des rencontres avec les élus, le bailleur social... et pour cela, il faudrait que l'association soit soutenue. Le rôle du centre social, c'est aussi cela. Souvent dans des quartiers comme ça, ils ne se passe pas grand- chose... il n'y a pas d'animation de territoire, et pourtant il y a tellement de monde… Il faut pouvoir créer du lien pour qu'il y ait une bonne ambiance... » Le travail de l'animateur ne peut se limiter au lancement d'un projet qu'on laisse vivre, pas plus qu'à l'inverse, il ne s'agit de prendre plus ou moins un public en otage de ses activités. Valériane dit que le jardin permet aux jardiniers de constater à vue d’œil les transformations provoquées par leur travail de la terre. Il implique présence et constance. Jardiner c'est travailler une matière vivante. Animer aussi. « Je suis une novice en jardinage. J'ai appris en même temps que certains, ici. Ma partie à moi est plus d'animer un collectif dans un lieu, qui est un jardin, en l'occurrence. »

 


Cet article est issu des Cahiers de l'Animation - Vacances Loisirs