On est réfléchi quand on a 12 ans !

À Avignon, chaque mois de juillet c’est aussi un festival à la portée des plus jeunes des adolescent·e·s. Renouveler la notion d’accueil leur permet d’appréhender des spectacles a priori réservés à un autre public. Et de s’en nourrir pour grandir encore
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Phèdre, ça peut effrayer les novices, et ça ne dit rien à ceux qui ne l’ont pas étudiée à l’école. Alors lorsqu’on a prévu d’emmener un groupe de jeunes adolescent·e·s assister à la pièce et qu’en la découvrant on s’aperçoit que son abord risque d’être ardu, il faut trouver la parade et imaginer une autre préparation au spectacle. Un groupe accueilli en juillet 2019 à Avignon bénéficie de toute l’attention de l’équipe d’encadrement ainsi que des animateur·rice·s des ateliers de la pensée. Et ça fonctionne, il se passe  quelque chose de réjouissant, pour les jeunes et pour les adultes.


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Cette année, dans notre équipe, à Avignon, nous avons accueilli 9 jeunes de 11 à 13 ans avec 3 éducatrices spécialisées d’une MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social) qui se situe à Wormhout, dans le Nord de la France. Après 15 heures de route en camion, les jeunes et leurs éducatrices arrivent à Avignon dans notre lieu d’accueil, éreintés.es mais ravis.es d’être là et à l’idée de vivre ce séjour.

Dans le cadre de Centre de Jeunes et de Séjours au Festival d’Avignon (CDJSFA), nous choisissons deux spectacles dans le IN dont « Phèdre ! » prévu le lundi 15 juillet à 11h30 à la collection Lambert et le calendrier nous permet d’assister au dialogue avec le public, espace du festival animé par les Ceméa et ouvert à tout festivalier.ère le souhaitant. En l’occurrence, pour ce spectacle, le dialogue avec le public est prévu le 15 juillet à 16h30.

Pour notre équipe, c’est l’occasion de réfléchir à notre démarche d’accompagnement culturel en ayant en tête les éléments de réflexion suivants :

  •  Après avoir vu le spectacle en préparation, alors qu’il est annoncé « jeune public », il s’avère qu’il est difficile d’accès par sa forme : c’est un monologue de plus de 1h30 et le texte est parsemé de références qui ne parleront pas à notre public. Mais le spectacle est drôle et peut parfois s’apparenter à un one-man-show.
  • L’espace des dialogues est un espace public de rencontres avec les artistes. La prise de parole est possible mais peut être impressionnante pour des jeunes, souvent minoritaires dans cet espace. Au-delà du ressenti, la parole est légitime. Lorsque cette rencontre est possible et que la prise de parole publique a lieu, l’effet du spectacle en est renforcé, il se digère.

Nous convenons donc d’une démarche avec l’équipe des dialogues qui va au-delà du classique enchaînement de l’accompagnement culturel : « je me prépare à aller voir un spectacle, je vais au spectacle, je partage mon ressenti ». Le défi de l’équipe, c’est que ces jeunes puissent vivre une expérience positive émotionnellement, valorisante, une expérience qui fait grandir.

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L’équipe des Ceméa qui gère les dialogues et notre équipe se mettent d’accord pour que le groupe soit accompagné dans ce parcours. Nous convenons que la veille de la rencontre avec l’équipe artistique, une des animatrices de l’équipe des dialogues vienne dans le lieu d’accueil au moment du repas. Au préalable, l’équipe donne des éléments de connaissance du groupe, son fonctionnement, ses spécificités.

Marie, au moment du dessert, s’installe avec le groupe de jeunes. Elle se présente, explique son rôle, explique le fonctionnement du lieu où se passent les dialogues, les ateliers de la pensée. Elle leur demande d’où ils.elles viennent, si le séjour à Avignon se passe bien, s’ils.elles ont déjà vu des spectacles.

Elle se préoccupe d’eux. Les jeunes sont très calmes, à l’écoute. Marie leur propose d’arriver plus tôt, elle sera là à l’entrée pour leur faire la visite. On se quitte en se disant à demain simplement. Le pari pour Marie et pour notre équipe, c’est que les jeunes soient rassuré·e·s pour qu’ils.elles s’autorisent à exister dans cet espace par la prise de parole.

En tant que mouvement d’éducation populaire, les Ceméa qui gèrent cet espace des dialogues, sont soucieux de la démocratisation de la prise de parole en public. Il s’agit donc de se préoccuper plus de celles et ceux qui sont les moins à l’aise, moins habitués.es à cet exercice et faire que l’espace soit habité par ces prises de paroles plus que par celles de personnes rompues à cet exercice, qui parfois monopolisent la parole pour étaler leur connaissance, leur référence plus que pour discuter avec l’équipe artistique.

Arrive cette journée du 15 juillet, vers 11h30, le groupe se rend, avec une partie de l’équipe, sur le lieu de spectacle. Les jeunes sont assez réjouis.es à l’idée de retourner dans le festival pour voir un nouveau spectacle. Ils.elles restent assis.ses, concentrés.es durant toute la durée du spectacle, ils.elles rient à des moments différents des adultes et ressortent, comme à chaque représentation, avec le livre et le texte du spectacle.

A 16h30, nous sommes accueillis.es par Marie aux ateliers de la pensée. La rencontre est animée par une militante des Ceméa, Margaux. L’équipe artistique est représentée par le metteur en scène, François Gremaud et le comédien seul sur scène, Romain Daroles.

Durant cette heure de dialogues, les jeunes s’expriment, plusieurs jeunes prennent la parole pour dire ce qui les fait rigoler, ce qui leur plaît. Ils.elles posent leurs questions. Ils.elles vont voir les artistes à la fin, font dédicacer leur livre. Ils.elles parlent directement avec le comédien, en tête à tête.

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Les jeunes ont le visage radieux et, visiblement, sont heureux des instants passés ensemble. Le livre est devenu un objet de valeur affective forte, sur la fin de séjour, on voit le livre dans la poche, dans un sac. Le fait de rencontrer la personne qui joue sur scène renforce aussi cette charge émotionnelle.

Cette interaction personne/personnage est intéressante à vivre dans le parcours. Les jeunes se rendent compte que le personnage vu sur scène est avant tout une personne avec laquelle il est possible de discuter.

Cette expérience m’a fait prendre conscience de la portée de notre démarche d’accompagnement culturel.

  • Les jeunes ont eu le sentiment d’être accueillis.es et attendus.es dans cet espace, ils.elles ont pris le risque de s’exposer dans un contexte d’écoute, de respect. Ils.elles ont été pris·e·s en considération comme des individus.es à part entière, ils.elles l’ont ressenti. La prise de risque, provoquée mais mesurée, accompagnée permet, quand on saute dans le vide, de se sentir léger et de retomber sans se faire mal. C’est cela aussi grandir.
  • L’action, les finalités sont centrées sur le public jeune mais force est de constater qu’elles se répercutent sur les adultes lorsque le cadre posé et sécurisant est aussi ressenti par les adultes qui accompagnement les jeunes, les éducatrices spécialisées en l’occurrence. Le bilan de séjour réalisé avec le groupe permet de mesurer cet impact. Quand une éducatrice dit « je ne connaissais pas Phèdre », « je n’ai jamais lu ce texte », « je ne vais pas au théâtre », « je me questionnais sur le choix du spectacle, pas adapté à nos jeunes », on ne peut que se réjouir qu’une porte s’est ouverte qui fera peut-être évoluer le rapport personnel au spectacle, au livre. Ce vécu émotionnel fort va laisser une empreinte qui, si la personne en a envie, peut faire évoluer durablement ce rapport. C’est le pari de l’action éducative que nous portons dans les festivals.
  • La force de notre démarche et des valeurs qui sous tendent l’action, c’est qu’elle peut s’appliquer pour des jeunes, des préadolescents.es, un public qui arrive progressivement dans nos séjours. Ces jeunes questionnent le projet, questionnent la posture de l’animateur.rice, questionnent les choix de spectacle et l’adéquation de la programmation du festival pour des enfants de 11 ans.
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Pour cette expérience, nous avons formalisé la notion d’accueil dans le parcours de festivalier.ère. L’accueil, ce n’est pas uniquement les aménagements, le pot, l’organisation individualisée du petit-déjeuner etc. L’accueil est de tous les instants, en particulier dans la démarche pédagogique du projet : situations d’ateliers où nous sommes amené·e·s à sortir ou ressortir des jeux que nous faisons en colos, à réfléchir à la manière dont nous allons présenter les règles de vie, le séjour, quels mots nous allons employer.

In fine, c’est bien de permettre à ces jeunes de vivre un séjour réussi sur plusieurs plans.

Tout d’abord à titre personnel, intime, c’est l’idée de départ, de quitter un moment son environnement pour aller à la découverte d’un autre milieu. C’est ce que nous défendons pour les classes de découverte, les colos. Pour ces jeunes, c’est laisser de côté son environnement proche familial, collectif de la MECS. C’est laisser de côté des éléments désagréables de sa vie pour vivre une parenthèse où l’estime de soi, la considération vont contribuer à la construction des individus.

Et puis à cela se rajoute la dimension du rapport à l’œuvre qui convoque les émotions, l’expression des jeunes.

Ce groupe est depuis, rentré dans le Nord, les jeunes et les éducatrices sont partis.es d’Avignon avec, toutes et tous l’idée et l’envie de revenir l’année prochaine. Preuve en est de la réussite du séjour et de sa pertinence.